Responsable de la communication et de la valorisation de la recherche pour l’Institut français de recherche et développement (IRD) au Senegal, Yacine Ndiaye aborde ici la difficulté a faire travailler chercheurs et journalistes et suggère des pistes pour y remédier.
La communication de type scientifique occupe une faible place au Sénégal, en particulier dans les médias. Quelles en sont les raisons ?
A mon avis, le problème est d’ordre structurel, au sein des rédactions sénégalaises, le journalisme scientifique n’occupe pas une position prépondérante. La primeur est souvent accordée à l’actualité politique. Le desk sciences s’exprime rarement en premier lors des réunions de rédaction.
Les exigences des rédactions en termes de contenu en rapport avec l’actualité chaude, en plus du turn over des journalistes qui changent souvent de desk ne vont pas spécialement vers l’épanouissement d’un journalisme spécialisé.
Rappelons-le, le temps de la recherche est un temps long, et celui de l’information est plutôt inscrit dans l’instantanéité, l’exclusivité. Ce qui fait qu’on a du mal à stabiliser la relation sciences et médias et co-construire un vrai journalisme des solutions.
A quelles difficultés êtes-vous le plus souvent confrontée dans la communication de faits ou éléments scientifiques au public par l’intermédiaire des médias ?
Dans les rédactions, il n’est pas facile, pour un journaliste qui le souhaiterait, de s’intéresser à ce lent processus de production scientifique. Les médias jouent un rôle important dans la valorisation de la recherche à destination du grand public. Aujourd’hui, l’information et la recherche scientifiques sont plus que jamais essentielles et peuvent générer des décisions à fort impact.
La principale difficulté à laquelle nous sommes confrontés est de faire comprendre que le temps des médias n’est pas celui de la recherche. Car, pour celui dont le métier est d’être au plus près des faits, il n’est pas toujours aisé de comprendre que le résultat d’une recherche n’est pas encore de la connaissance stabilisée, mais de la science qui est en train de se construire. Nous en avons eu des exemples patents pendant la Covid ou les connaissances sur la maladie et les moyens de prévention se sont affinés au fil des semaines et des mois.
Nous avons aussi du mal à créer une vraie synergie entre les instituts de recherche et les journalistes. C’est-à-dire que la relation reste malgré tout ponctuelle. Sur un événement, par exemple un colloque ou un atelier nous n’avons aucun mal à mobiliser les médias. Par contre, il n y a pas souvent de la part des journalistes de sollicitations pour des reportages en profondeur hors événement. Il n y a pas encore ce réflexe de venir vers les instituts de recherche, de venir à la source de l’information scientifique.
Vos messages sont-ils bien perçus ?
D’une manière générale, je pense que nos messages sont bien perçus. Il peut tout de même y avoir un problème de traduction du jargon scientifique et le rendre compréhensible à un plus large public.
Face à ce constat, il doit être envisagé de la part du monde de la recherche, un effort d’acculturation disons de formation continue de journalistes aux problématiques scientifiques. C’est ce que nous essayons d’initier à l’IRD au Sénégal (Institut de recherche pour le développement) en mettant en place par exemple , des ateliers d’écriture pour renforcer les capacités des journalistes en matière de traitement de l’information scientifique.
LIRE: Sénégal : l’immense défi de la communication scientifique dans les médias
Ces sessions permettent d’accompagner les journalistes dans l’identification des sujets de reportages à caractère scientifique, l’organisation des interviews avec les chercheurs et la réalisation de reportages qui vont aller en profondeur sur le traitement des thématiques de recherche. L’idée ici est de favoriser un apprentissage par la pratique, pour notamment amener à échanger avec des chercheurs, à s’habituer à leur jargon, apprendre à décrypter les données scientifiques pour une exploitation éditoriale adéquate.
Quelles formes de partenariat entre médias et organismes scientifiques pourraient aider dans ce sens ?
Les notions d’indépendance, d’éthique et de déontologie sont essentielles à l’existence d’une relation saine entre les scientifiques et les médias. Elles doivent être le fondement de la relation. L’indépendance des médias doit tout d’abord être financière pour éviter toute influence ou dépendance. Différentes formes de partenariats peuvent être envisagées : l’existence au sein des instituts de recherche d’un volet « culture scientifique » sous forme de bourses aux médias pour financer des sujets de recherche scientifique, la création des réseaux de journalistes spécialisés, le co-développement de cursus science au sein des écoles de formation au journalisme, la formation continue de journalistes en activité au sein des médias.
Propos recueillis par Momar Dieng