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Le Protocole de Rebeuss-Doha, entre veston et turban

Jeudi 7 Juillet 2016

Prisonnier d’abord, exilé ensuite, réfugié politique en fin de compte. Le destin de Karim Wade s’est accéléré nuitamment quand Macky Sall a signé le décret de grâce en faveur de l’ancien ministre d’Etat. Un deal d’Etat orchestré de nuit sous la houlette de Macky Sall et du Cheikh Al-Thani, émir du Qatar.
 
Ils extirpent Karim Wade de la prison centrale de Rebeuss à 1H30 du matin, dans la nuit du 23 au 24 juin. Ils le fourguent dans une voiture banalisée qui déposent le «colis empaqueté» à Fann-Résidence. Le quidam se fait une petite toilette dans les appartements d’un proche des Wade, accorde quelques audiences. Il est remis dans la bagnole, sous la surveillance de hauts responsables de l’administration pénitentiaire, balancé dans un Jet de la famille régnante du Qatar. Direction Doha ( ?). Pendant ce temps, les réseaux sociaux sont momentanément et opportunément perturbés pour couvrir ce sombre épisode d’une affaire surréaliste.
 
ROCAMBOLESQUE
Après avoir passé 32 mois d’incarcération pour enrichissement illicite et corruption, l’ex ministre «du ciel et de la terre» troque son statut de prisonnier VIP sans stress pour celui de réfugié politique de luxe à durée indéterminée au Qatar. C’est le deal négocié, avec son accord, entre Macky Sall et l’Emir du Qatar par le truchement de son Procureur général. Un jour, le Protocole de Doha révèlera son contenu, en dépit des papotages médiatiques auxquels se livrent des hâbleurs impénitents.

Mal à l’aise face aux journalistes auxquels il a dû faire face huit heures après l’exfiltration rocambolesque de Karim Wade vers le Qatar, le ministre de la Justice n’a rien dit ou fait pour éclairer la lanterne des confrères. «Maintenant, les supputations, on voudrait bien les faire, on ne peut empêcher personne de le faire. Mais la réalité, elle est ce qu’elle est. Elle signifie tout simplement que des gens ont bénéficié d’une mesure de grâce.» Puis c’était au tour du porte-parole du gouvernement d’y aller de son couplet. «Il n’y a aucun deal, aucun protocole de Rebeuss, ni de protocole de Doha. S’il y a un deal au niveau international, ceux qui le disent devraient nous dire quel est le montant de leur commission en tant que médiateurs des différentes parties», a indiqué Seydou Guèye.
 
CACOPHONIE
Devant cette impuissance évidente – à moins qu’ils ne soient tous les deux au courant de tout - à informer l’opinion publique, on se rabat sur des éléments factuels. Pourquoi la libération de Karim Wade s’est-elle faite de nuit et pas de jour ? Pourquoi ne l’a-t-on pas laissé libre de ses mouvements ? Pourquoi le directeur de l’administration pénitentiaire et le régisseur de la prison de Rebeuss l’ont-ils étroitement accompagné jusqu’à ce qu’il quitte l’aéroport de Dakar ? Le Jet Bombardier privé de la famille régnante du Qatar, était-il pré-positionné par hasard sur le tarmac de Léopold Sedar Senghor ? Que faisait à Dakar depuis 48 heures le Procureur général du Qatar dont Jeune Afrique rapporte d’ailleurs qu’il a été reçu en audience par le Président Macky Sall le jour de l’élargissement du fils Wade ?  

Le meilleur démenti apporté à ce refus de transparence dans l’évocation des termes de ce deal d’Etat est venu de…Karim Wade lui-même. Dans sa déclaration rendue publique après son départ de Dakar, l’ex prisonnier ne manque pas de se plaindre. «Mon vœu le plus cher était d’aller, dès ma libération, dans nos villages et dans nos villes, à la rencontre des millions de Sénégalais qui m’ont assuré de leur soutien, m’ont accompagné de leurs prières et qui n’ont jamais douté de mon innocence pour les en remercier. J’imagine leur peine mais, malheureusement, les conditions de ma sortie de prison en ont décidé autrement.»
Ce sont ces «conditions» là que le pouvoir se plaît maladroitement à cacher, comme si elles étaient inavouables… La cacophonie entre les versions censées expliquer le deal n’a fait que confirmer des soupçons devenus réalités.

(Moussa Touré)
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