Dans son adresse à la Nation, à l’occasion de l’anniversaire de « l’indépendance », le président Bassirou Diomaye Faye a décliné les priorités économiques de son mandat. Il a notamment évoqué la lutte contre la vie chère, l’emploi des jeunes, la souveraineté alimentaire et la gestion des ressources naturelles.
Le coût de la vie
C’est la principale préoccupation des populations. Les solutions apportées à ce problème seront le premier test de la sincérité des politiques de rupture annoncées par le nouveau régime. Sur ce sujet, il faudrait d’abord faire une bonne évaluation des politiques du régime précédent et proposer des mesures plus hardies et des mécanismes de contrôle plus efficaces. La lutte contre la vie chère suppose d’abord par un bon approvisionnement du marché et une bonne régulation des prix. Un tel objectif passe par la promotion du consommer local en valorisant la production nationale et en protégeant le marché contre des importations subventionnées venant des pays occidentaux. Par exemple, des investissements conséquents de l’Etat pourraient booster la production de riz dans la Vallée du fleuve Sénégal et ailleurs. De même, le soutien à la filière lait pourrait contribuer à rendre le pays autosuffisant et à éliminer, sinon réduire de manière significative, les importations de lait en poudre.
Sur ce sujet, le Président Diomaye Faye, son Premier ministre Ousmane Sonko et leur gouvernement doivent tenir un langage de vérité au peuple, sur ce qui est possible et ce qui ne l’est pas. Car, le problème de la vie chère ne sera pas réglé tout de suite. Sur le plan alimentaire, par exemple, la dépendance extérieure rendra difficile toute réduction immédiate et durable des prix des denrées, à moins de leur consacrer d’importantes subventions.
L’emploi des jeunes
Dans son discours, le président Faye a dit « pour encourager la création d’emplois je compte m’appuyer sur un secteur privé fort parce que soutenu par l’Etat ». Ici, il y a le risque de tomber dans le piège néolibéral qui prétend que c’est le secteur privé qui crée les emplois et non l’Etat. Il faut d’abord observer que la priorité du secteur privé est la recherche du profit, pas la création d’emplois. Illustration : chaque fois que les profits baissent, ce sont les travailleurs qui en payent les frais. Donc, le mythe de la « main invisible » d’Adam Smith est un conte qui appartient au 18e siècle. Ensuite, faut-il rappeler que l’Etat du Sénégal avait été le principal employeur durant les deux premières décennies de l’indépendance. Ce sont les programmes d’ajustement structurel de triste mémoire de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI) qui ont remis en cause ce rôle et depuis lors mené le Sénégal vers le précipice en l’atterrissant sur la liste des « pays les moins avancés » (PMA) depuis 2001.
Si les régimes précédents ont tous échoué sur le problème de la création d’emploi pour les jeunes, c’est parce qu’ils ont cru à la fable néolibérale du secteur privé seul créateur d’emploi. Le Président Faye, son Premier ministre Ousmane Sonko et leur équipe parlent de rupture. C’est là où la rupture doit commencer en réhabilitant l’Etat comme créateur d’emploi. Dans les pays dits « émergents », comme la Chine, le Brésil, l’Inde, ou encore la Russie, on voit le rôle central que joue l’Etat dans tous les domaines, notamment sur le plan économique et social. La Commission économique pour l’Afrique (CEA) a indiqué que la restriction de l’intervention de l’Etat avait contribué à aggraver la pauvreté sur le continent.
Certes, l’Etat peut et doit créer un environnement propice pour encourager les activités du secteur privé national et étranger dans le but de contribuer à la création d’emploi. Il faudrait alors que les entreprises privées respectent les accords signés avec l’Etat. Or, on a souvent constaté que les entreprises étrangères utilisent tous les moyens possibles pour éviter de respecter leurs obligations en matière d’investissement, d’emploi et d’impôts. Par exemple, les rapports ITIE montrent le niveau dérisoire des emplois créés pour les nationaux par les entreprises étrangères dans le secteur des mines
Tout ceci pour dire qu’un « secteur privé fort » n’est pas nécessairement créateur d’emplois !
La souveraineté alimentaire
Pour atteindre cet objectif, le président s’est engagé à « investir plus et mieux dans l’agriculture, la pêche et l’élevage. » Ce sont de très bonnes intentions. Il reste à les traduire dans des politiques concrètes. Dans le secteur de la pêche, il y a d’abord la nécessité de revoir tous les accords passés avec les pays étrangers. La plupart de ces accords contribuent au pillage des ressources halieutiques du pays et à l’appauvrissement des communautés vivant de la pêche. L’aggravation de l’émigration dite « irrégulière » est une des conséquences de ce pillage.
L’objectif de souveraineté alimentaire est très louable et doit être poursuivi avec rigueur et détermination. Le gouvernement peut compter sur beaucoup d’organisations engagées dans cette lutte, avec notamment le Cadre national de concertation des ruraux (CNCR). Chaque année, il organise la FIARA, qui propose une gamme de produits entièrement faits au Sénégal et ailleurs en Afrique.
La souveraineté alimentaire comporte plusieurs avantages. Elle permettra de valoriser les ressources locales, de créer des emplois dans les zones rurales et d’épargner des devises en rendant le pays moins dépendant de l’extérieur sur le plan alimentaire. Le succès de cette politique exige une bonne collaboration entre l’Etat et les organisations paysannes. L’échec de la politique d’autosuffisance en riz du régime précédent est dû en partie à ce manque de collaboration.
La gestion des ressources naturelles
Sur ce sujet, le président Faye a rappelé que selon la Constitution, les ressources du pays appartiennent au peuple. Donc, leur exploitation doit servir les intérêts du peuple et contribuer à son bien-être. En fait, la réussite des autres chantiers examinés plus haut dépend grandement de la souveraineté sur les ressources du pays. Il faudra alors éviter de les brader au premier investisseur venu. Certes, la politique de transparence dans les contrats est une bonne chose. Mais, le plus important est le réexamen des accords pour les rendre compatibles avec les exigences du patriotisme économique et de la souveraineté nationale. Surtout dans les secteurs des mines, du pétrole et du gaz.
Conclusion : changer de paradigme
La réussite des chantiers examinés ci-dessus nécessite un changement de paradigme. Rester dans le paradigme néolibéral va mener à l’impasse. En effet, on ne peut pas mener les mêmes politiques avec les mêmes instruments et prétendre avoir des résultats différents. Donc, le Président Bassirou Diomaye Faye et son Premier ministre Ousmane Sonko doivent faire preuve de leadership, de courage politique et de détermination, en impulsant d’autres politiques de développement, basées sur le patriotisme économique, la souveraineté monétaire et le rôle central de l’Etat.
Demba Moussa Dembélé