La motion de censure de la coalition Yewwi askan wi contre Amadou Bâ est l’os qui a été vendu à l’opinion, une sorte de diversion. Le but visé était ailleurs.
La motion de censure est fréquente dans les démocraties où le Premier ministre est contraint de faire une déclaration de politique générale devant le parlement. Celle portée le 15 décembre par la coalition Yewwi askan wi (Yaw) face au gouvernement d’Amadou Bâ est logique, au-delà de l’échec. En 2012 déjà, le Parti démocratique sénégalais (Pds) fraîchement éjecté du pouvoir a tenté sa chance contre le gouvernement d’Abdoul Mbaye, premier PM de Macky Sall. Sans succès. En France, des partis de gauche français fédérés dans la Nupes (Nouvelle union populaire écologique et sociale) ont essuyé eux aussi un revers devant le premier ministre Elisabeth Borne après les législatives de juin dernier. La comparaison entre Bâ et Borne peut même être poussée plus loin : tous deux ont refusé de demander la question de confiance à laquelle les appelaient leurs adversaires. Ils ont refusé à juste titre car ils n’y avaient aucun intérêt ! Leurs oppositions respectives ont dû se mouiller elles-mêmes en prenant l’initiative de la motion de censure. Au final, les deux PM ont gagné : le Sénégalais a bénéficié de l’abstention des députés de la coalition Pds/Wallu ; la Française s’en est tirée grâce à l’hostilité des députés Les Républicains (LR) et Rassemblement national (RN) envers la Nupes. Les similitudes s’arrêtent là !
Le coup politique était à tenter !
Face aux députés, Birame Soulèye Diop, chef du groupe parlementaire Yewwi, a assimilé la motion de censure à une motion de défiance contre le PM Amadou Bâ. Il l’a justifiée autant pour les perspectives déclinées dans la déclaration de politique générale que pour l’ensemble de l’œuvre des gouvernements passés. Tenter le coup politique allait de soi dans un contexte de crise économique, sociale et sécuritaire aiguë. Au même moment, l’opinion était émue et scandalisée par les révélations de la Cour des comptes sur la gouvernance des fonds dédiés à la lutte contre la Covid-19.
Le texte de Yewwi a recueilli 55 votes favorables dont 2 exprimés par les opposants Mamadou Lamine Diallo (du groupe Wallu) et l’ancienne première ministre Aminata Touré (non inscrite). Il en fallait 83 sur un total de 165 députés pour espérer faire tomber le gouvernement d’Amadou Bâ nommé en septembre dernier. L’échec de Yewwi dans cette entreprise-kamikaze est patent mais il faudrait le relativiser car le but de cette bataille politique et tactique n’était pas avouable.
Lamine Thiam, président du groupe parlementaire Wallu, a justifié son opposition à la motion de censure par le fait que lui et ses camarades n’en auraient été informés que très tardivement, dénonçant en filigrane un manque de considération à leur égard. Les deux groupes, en coalition électorale aux législatives du 31 juillet dernier, avaient pourtant mis fin à l’hégémonie du groupe présidentiel Benno Bokk Yaakaar (BBY). Aujourd'hui, les fractures entre les deux ex-alliés sont béantes.
Le Pds/Wallu, groupe « non fiable »
Si les propos de Lamine Thiam sont avérés – et ils ne semblent pas encore avoir été démentis - c’est que Yewwi ne souhaitait peut-être pas associer Wallu à la motion de censure. Or, il est évident que l’on ne peut faire chuter un gouvernement en se privant de l’apport de ses alliés potentiels et alors que l’on ne dispose pas soi-même d’une majorité suffisante. Curieux ! A moins que cette absence de communication arrangeât les deux parties : Yewwi ne pouvait pas avouer son véritable objectif, Wallu ne souhaitait pas être mise à l’épreuve.
Cette démarche solitaire de la coalition Yewwi ouvre alors une hypothèse subséquente : le besoin pour elle de clarifier devant la représentation nationale la posture des forces et individualités politiques face au pouvoir. En contraignant le Pds/Wallu à l’abstention, c’est-à-dire à poser un acte de bienveillance à l’endroit d’un pouvoir menacé dans sa survie, Yewwi alerte en même temps les centaines de milliers d’électeurs qui ont voté pour l’inter-coalition lors des législatives de juillet contre la « réalité collaborationniste » du Pds/Wallu avec BBY, « l’adversaire/ennemi commun ».
« Opposition radicale »
Si Yewwi s’affiche comme l’unique pôle d’opposition en capacité de « faire face » au Président Macky Sall, c’est le Pds/Wallu qui est, du coup, renvoyé à un statut d’allié vulnérable, peu digne de confiance. Ses attitudes imprévisibles seraient indissociables à la fois des contraintes politiques propres à Abdoulaye Wade et du sort de Karim Wade. Une telle illisibilité ferait ainsi du groupe parlementaire Pds/Wallu et de ses 24 députés une entité flottante non fiable.
Cette ambiguïté volontaire de Yewwi dans la communication autour de la motion de censure n’est donc pas neutre. Finalement, son but fondamental consiste à dégager de l’espace d’opposition toute concurrence dont l’ADN ne serait pas « radicale » en perspective de la ligne droite fatidique qui débouchera sur la présidentielle de février 2024.
Quant à Amadou Bâ, il est condamné à rester un Premier ministre précaire dont le sort est entre des mains multiples. Il a échappé à ce premier traquenard parlementaire sans dommages rédhibitoires mais reste sous la menace d’une configuration inédite qui peut imploser à tout moment. Dans tous les cas de figure, cette assemblée nationale sera dissoute en 2024 par le prochain président de la république. Mais entre temps, le caractère passionnant des débats – sans les coups de poings et les jets de mobilier – est à saluer et encourager.
La motion de censure est fréquente dans les démocraties où le Premier ministre est contraint de faire une déclaration de politique générale devant le parlement. Celle portée le 15 décembre par la coalition Yewwi askan wi (Yaw) face au gouvernement d’Amadou Bâ est logique, au-delà de l’échec. En 2012 déjà, le Parti démocratique sénégalais (Pds) fraîchement éjecté du pouvoir a tenté sa chance contre le gouvernement d’Abdoul Mbaye, premier PM de Macky Sall. Sans succès. En France, des partis de gauche français fédérés dans la Nupes (Nouvelle union populaire écologique et sociale) ont essuyé eux aussi un revers devant le premier ministre Elisabeth Borne après les législatives de juin dernier. La comparaison entre Bâ et Borne peut même être poussée plus loin : tous deux ont refusé de demander la question de confiance à laquelle les appelaient leurs adversaires. Ils ont refusé à juste titre car ils n’y avaient aucun intérêt ! Leurs oppositions respectives ont dû se mouiller elles-mêmes en prenant l’initiative de la motion de censure. Au final, les deux PM ont gagné : le Sénégalais a bénéficié de l’abstention des députés de la coalition Pds/Wallu ; la Française s’en est tirée grâce à l’hostilité des députés Les Républicains (LR) et Rassemblement national (RN) envers la Nupes. Les similitudes s’arrêtent là !
Le coup politique était à tenter !
Face aux députés, Birame Soulèye Diop, chef du groupe parlementaire Yewwi, a assimilé la motion de censure à une motion de défiance contre le PM Amadou Bâ. Il l’a justifiée autant pour les perspectives déclinées dans la déclaration de politique générale que pour l’ensemble de l’œuvre des gouvernements passés. Tenter le coup politique allait de soi dans un contexte de crise économique, sociale et sécuritaire aiguë. Au même moment, l’opinion était émue et scandalisée par les révélations de la Cour des comptes sur la gouvernance des fonds dédiés à la lutte contre la Covid-19.
Le texte de Yewwi a recueilli 55 votes favorables dont 2 exprimés par les opposants Mamadou Lamine Diallo (du groupe Wallu) et l’ancienne première ministre Aminata Touré (non inscrite). Il en fallait 83 sur un total de 165 députés pour espérer faire tomber le gouvernement d’Amadou Bâ nommé en septembre dernier. L’échec de Yewwi dans cette entreprise-kamikaze est patent mais il faudrait le relativiser car le but de cette bataille politique et tactique n’était pas avouable.
Lamine Thiam, président du groupe parlementaire Wallu, a justifié son opposition à la motion de censure par le fait que lui et ses camarades n’en auraient été informés que très tardivement, dénonçant en filigrane un manque de considération à leur égard. Les deux groupes, en coalition électorale aux législatives du 31 juillet dernier, avaient pourtant mis fin à l’hégémonie du groupe présidentiel Benno Bokk Yaakaar (BBY). Aujourd'hui, les fractures entre les deux ex-alliés sont béantes.
Le Pds/Wallu, groupe « non fiable »
Si les propos de Lamine Thiam sont avérés – et ils ne semblent pas encore avoir été démentis - c’est que Yewwi ne souhaitait peut-être pas associer Wallu à la motion de censure. Or, il est évident que l’on ne peut faire chuter un gouvernement en se privant de l’apport de ses alliés potentiels et alors que l’on ne dispose pas soi-même d’une majorité suffisante. Curieux ! A moins que cette absence de communication arrangeât les deux parties : Yewwi ne pouvait pas avouer son véritable objectif, Wallu ne souhaitait pas être mise à l’épreuve.
Cette démarche solitaire de la coalition Yewwi ouvre alors une hypothèse subséquente : le besoin pour elle de clarifier devant la représentation nationale la posture des forces et individualités politiques face au pouvoir. En contraignant le Pds/Wallu à l’abstention, c’est-à-dire à poser un acte de bienveillance à l’endroit d’un pouvoir menacé dans sa survie, Yewwi alerte en même temps les centaines de milliers d’électeurs qui ont voté pour l’inter-coalition lors des législatives de juillet contre la « réalité collaborationniste » du Pds/Wallu avec BBY, « l’adversaire/ennemi commun ».
« Opposition radicale »
Si Yewwi s’affiche comme l’unique pôle d’opposition en capacité de « faire face » au Président Macky Sall, c’est le Pds/Wallu qui est, du coup, renvoyé à un statut d’allié vulnérable, peu digne de confiance. Ses attitudes imprévisibles seraient indissociables à la fois des contraintes politiques propres à Abdoulaye Wade et du sort de Karim Wade. Une telle illisibilité ferait ainsi du groupe parlementaire Pds/Wallu et de ses 24 députés une entité flottante non fiable.
Cette ambiguïté volontaire de Yewwi dans la communication autour de la motion de censure n’est donc pas neutre. Finalement, son but fondamental consiste à dégager de l’espace d’opposition toute concurrence dont l’ADN ne serait pas « radicale » en perspective de la ligne droite fatidique qui débouchera sur la présidentielle de février 2024.
Quant à Amadou Bâ, il est condamné à rester un Premier ministre précaire dont le sort est entre des mains multiples. Il a échappé à ce premier traquenard parlementaire sans dommages rédhibitoires mais reste sous la menace d’une configuration inédite qui peut imploser à tout moment. Dans tous les cas de figure, cette assemblée nationale sera dissoute en 2024 par le prochain président de la république. Mais entre temps, le caractère passionnant des débats – sans les coups de poings et les jets de mobilier – est à saluer et encourager.