Autoritaire, le Président Macky Sall ? Les avis peuvent diverger entre Me Mame Adama Guèye (membre de la société civile), Pathé Mbodj (journaliste et psychologue) et Mame Less Camara, journaliste et observateur politique. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, ce dernier explique comment et pourquoi le chef de l’Etat, incarnation de l’autorité suprême, est contraint de se réajuster pour ne pas donner l’impression que c’est un homme sans poigne qui trône à la tête du pays. Vous trouverez par ailleurs les positions de Me Guèye et de M. Mbodj.
MAME LESS CAMARA (JOURNALISTE)
«Macky Sall glisse vers une posture un peu plus autoritaire»
L’autoritarisme de Macky Sall, comme hypothèse, l’avez-vous senti venir ou non ?
Le président de la république a été élu dans un consensus tellement large que, à force de réconcilier tout le monde, lui-même s’est fait conciliant. Conciliant lorsque son parti était plus radical. Conciliant lorsqu’à l’intérieur de son parti il y avait un désordre que l’opinion déplorait. Et pourtant, c’est lui qui avait commencé à se faire la réputation d’un homme qui ne sait pas s’imposer, qui ne prend pas de décision, d’autant plus que s’il lui arrivait de prendre une décision c’était pour y revenir au bout d’un certain temps. Cela a donné une image assez inquiétante d’un homme instable, qui ne garde pas un cap, mais surtout d’un homme qui, sur son entourage, n’avait pas d’autorité. Des personnages comme Moustapha Cissé Lô disaient du Président de la république des choses dont on se demande si un citoyen lamda disant idem ne se serait pas retrouvé devant un juge du fait de l’auto-saisine d’un procureur. Il y a également le fait qu’avec la famille du Président un peu trop présente, on a l’impression qu’il ne met pas de l’ordre chez lui, au plan affectif.
Ces éléments l’auraient-ils incité à changer ?
Tout cela fait que le président – c’est une interprétation libre que je fais là – dit à un moment : il faut que je montre de quel bois je me chauffe sinon c’est toute ma gouvernance qui risque d’être négativement affectée, éclaboussée, par une réputation qui n’est peut-être pas justifiée. Il y a des remontées de bretelles assez fermes qu’il a faites en conseil des ministres. Et si la presse en parle dès le lendemain, c’est que quelqu’un s’est occupé de donner aux journalistes des éléments de modification du comportement du président : il sait remettre à leur place les ministres qui ne travaillent pas ; il peut dire à son parti : je ne peux pas compter sur vous à l’exclusion de tout autre allié pour renouveler mon mandat… Bref, les événements ont dû le pousser à modifier l’image d’un homme qui, à force d’exceller dans les conciliations, en devenait faible. Mais il y a aussi d’autres aspects.
Lesquels ?
Ils sont relatifs à notre propre culture. Certains présidents – et ils sont encore vivants – sont rappelés littéralement à l’ordre par des gens qui émanent de groupes traditionnels ; qui ne sont jamais loin du pouvoir, et qui ont presque la mission – si c’est la guerre – d’imposer l’héroïsme à un roi qui n’est pas un héros né ; et si c’est la gouvernance de lui imposer plus de rigueur. On dit d’un de nos anciens présidents que son griot préféré lui disait «Buur da fay sokhor » (Un roi doit être méchant).
Donc on doit le craindre non parce qu’il est au-dessus de tout le monde, mais parce qu’il dispose de capacités de répression extraordinaires. Je pense que le Président, en son âme et conscience, a dû se rendre compte qu’il y avait un peu d’électrons libres, et que lui a été élu pour être, entre autres, le facteur d’ordre à l’échelle du pays et au niveau de toutes les instances dans lesquelles il est impliqué. Un ministre (ndlr : Moustapha Diop) a pu dire à une instance de contrôle «allez-vous faire voir !» ; un autre ministre (ndlr : Serigne Mbaye Thiam) a pu également dire à la Cour suprême : «je ne reconnais pas votre décision.» Je crois que c’est par nécessité que Macky Sall est en train de glisser vers une posture un peu plus autoritaire.
Quelle peut être la conséquence d’un tel virage ?
Le danger, c’est que s’il voit, s’il s’aperçoit que l’autoritarisme a du bon, qu’il s’y complaise et qu’il installe le pays dans une atmosphère pareille.
Quand on devient autoritaire par nécessité, ne tombe-t-on pas dans l’artificiel ?
Vous savez, en grande partie, Macky Sall incarne un personnage de composition, non pas du fait de la nécessité de sa fonction mais également du fait qu’il subit des influences multiples venant de gens qui ont des cultures et des caractères différents. Il veut satisfaire des gens qui ne le conseillent pas dans la même direction. De par sa fonction même de Président, il incarne nécessairement quelque chose d’artificiel, mais par une sorte de personnalité jugée insuffisamment mûrie pour la fonction présidentielle, oui il a un comportement de compensation pour éviter que sa posture normale ne lui attire plus d’ennemis et des adversaires plus audacieux.
Cette tentative de construction d’une personnalité ne devient-elle pas dangereuse pour l’Etat et les citoyens ?
Bien sur ! Il faut que le Président de la république ait une posture car – et c’est une des normes de la bonne gouvernance – il doit être prévisible. Ses actions, quelles qu’elles soient, doivent être inscrites dans le marbre de la loi et ne doivent pas en sortir. Et quand on n’a pas de charisme inné, il faut se construire un leadership. Le Président en a les moyens. Mais effectivement, le problème est qu’un individu insuffisamment mûri soit à la tête d’un Etat et que ses adversaires le comprennent à l’interne. Voyez ce que les gens du Pds ont dit du Président Macky Sall au point que le procureur a dû s’autosaisir pour traîner certains d’entre eux et pas des moindres. Voyez au plan international ce que des chefs d’Etat comme Alpha Condé ou Yaya Jammeh s’autorisent comme types de propos et de relations avec un homme qu’ils prennent comme un piétant. C’est donc dire qu’un Président doit incarner avec suffisamment de rigueur et d’efficacité, sans tomber dans l’autoritarisme, les fonctions qui sont les siennes. La moindre faille sera fatalement et nécessairement exploitée par un adversaire, au plan national et international.
Le poids de la famille présidentielle a-t-il pu jouer un rôle dans le changement de comportement du Président ?
La famille d’un chef d’Etat est souvent son premier conseiller. Quelle que soit la rigueur d’un Président, au dîner, on parle toujours d’un ou de deux points concernant les affaires publiques. La famille constitue également une sorte d’instance de monitoring, de surveillance de l’opinion qui dit au Président quels sont les défauts que lui reconnaissent les populations et comment y remédier. Et si l’on perçoit qu’il y a dans l’attitude des populations beaucoup d’inquiétudes sur les capacités du chef de l’Etat à incarner l’autorité à la tête du pays, alors quelqu’un le lui dira d’une manière ou d’une autre, en plaisantant ou en l’attirant dans un coin !
Sommes-nous en présence d’un Président par défaut ?
En tout cas, il a été élu grâce à la décision des Sénégalais de se débarrasser d’Abdoulaye Wade. Vous savez, après la victoire de Wade contre Diouf, quelqu’un avait dit : «même devant une chèvre, Abdou Diouf aurait perdu.» Macky Sall a été élu un peu dans ces conditions là. Abdoulaye Wade, qui que fût son adversaire au second tour en 2012, aurait perdu la bataille car ce qui animait la majorité de l’électorat, c’était beaucoup de faire partir Wade que d’élire quelqu’un. Le peuple n’a pas élu pour lui-même mais contre Abdoulaye Wade.
Dans son discours au lancement du dialogue national, le chef de l’Etat a usé du «Je» une vingtaine de fois en un quart d’heure à peu près. C’est un signe ?
Je crois qu’un psychologue en aurait dit plus et mieux que moi. Le moi est haïssable, dit le proverbe, mais le fait est que le Président communique beaucoup et selon des formes convenues. Et que le «Je» peut être une sorte d’élément de langage qui doit être répété le plus fréquemment possible pour que l’on puisse domicilier l’autorité chez celui qui affirme sa volonté sur l’action publique. De cette manière, dire «Je» en lieu et place du «Nous» de majesté est une façon de s’affirmer et de se forcer à sortir d’une sorte de coquille et de son isolement.
On se fait violence !
On se fait violence, on dit «Je», on dit «Moi», surtout pour quelqu’un qui a quand même été une dizaine d’années durant ministre, premier ministre, président de l’assemblée nationale… Mais une fois qu’il incarne l’autorité suprême, il est normal que dans certaines de ses interventions pour galvaniser les populations, leur inculquer un sentiment de sécurité, il puise leur dire «Moi», «Je»…
(Entretien paru dans Nouvel Hebdo)
MAME LESS CAMARA (JOURNALISTE)
«Macky Sall glisse vers une posture un peu plus autoritaire»
L’autoritarisme de Macky Sall, comme hypothèse, l’avez-vous senti venir ou non ?
Le président de la république a été élu dans un consensus tellement large que, à force de réconcilier tout le monde, lui-même s’est fait conciliant. Conciliant lorsque son parti était plus radical. Conciliant lorsqu’à l’intérieur de son parti il y avait un désordre que l’opinion déplorait. Et pourtant, c’est lui qui avait commencé à se faire la réputation d’un homme qui ne sait pas s’imposer, qui ne prend pas de décision, d’autant plus que s’il lui arrivait de prendre une décision c’était pour y revenir au bout d’un certain temps. Cela a donné une image assez inquiétante d’un homme instable, qui ne garde pas un cap, mais surtout d’un homme qui, sur son entourage, n’avait pas d’autorité. Des personnages comme Moustapha Cissé Lô disaient du Président de la république des choses dont on se demande si un citoyen lamda disant idem ne se serait pas retrouvé devant un juge du fait de l’auto-saisine d’un procureur. Il y a également le fait qu’avec la famille du Président un peu trop présente, on a l’impression qu’il ne met pas de l’ordre chez lui, au plan affectif.
Ces éléments l’auraient-ils incité à changer ?
Tout cela fait que le président – c’est une interprétation libre que je fais là – dit à un moment : il faut que je montre de quel bois je me chauffe sinon c’est toute ma gouvernance qui risque d’être négativement affectée, éclaboussée, par une réputation qui n’est peut-être pas justifiée. Il y a des remontées de bretelles assez fermes qu’il a faites en conseil des ministres. Et si la presse en parle dès le lendemain, c’est que quelqu’un s’est occupé de donner aux journalistes des éléments de modification du comportement du président : il sait remettre à leur place les ministres qui ne travaillent pas ; il peut dire à son parti : je ne peux pas compter sur vous à l’exclusion de tout autre allié pour renouveler mon mandat… Bref, les événements ont dû le pousser à modifier l’image d’un homme qui, à force d’exceller dans les conciliations, en devenait faible. Mais il y a aussi d’autres aspects.
Lesquels ?
Ils sont relatifs à notre propre culture. Certains présidents – et ils sont encore vivants – sont rappelés littéralement à l’ordre par des gens qui émanent de groupes traditionnels ; qui ne sont jamais loin du pouvoir, et qui ont presque la mission – si c’est la guerre – d’imposer l’héroïsme à un roi qui n’est pas un héros né ; et si c’est la gouvernance de lui imposer plus de rigueur. On dit d’un de nos anciens présidents que son griot préféré lui disait «Buur da fay sokhor » (Un roi doit être méchant).
Donc on doit le craindre non parce qu’il est au-dessus de tout le monde, mais parce qu’il dispose de capacités de répression extraordinaires. Je pense que le Président, en son âme et conscience, a dû se rendre compte qu’il y avait un peu d’électrons libres, et que lui a été élu pour être, entre autres, le facteur d’ordre à l’échelle du pays et au niveau de toutes les instances dans lesquelles il est impliqué. Un ministre (ndlr : Moustapha Diop) a pu dire à une instance de contrôle «allez-vous faire voir !» ; un autre ministre (ndlr : Serigne Mbaye Thiam) a pu également dire à la Cour suprême : «je ne reconnais pas votre décision.» Je crois que c’est par nécessité que Macky Sall est en train de glisser vers une posture un peu plus autoritaire.
Quelle peut être la conséquence d’un tel virage ?
Le danger, c’est que s’il voit, s’il s’aperçoit que l’autoritarisme a du bon, qu’il s’y complaise et qu’il installe le pays dans une atmosphère pareille.
Quand on devient autoritaire par nécessité, ne tombe-t-on pas dans l’artificiel ?
Vous savez, en grande partie, Macky Sall incarne un personnage de composition, non pas du fait de la nécessité de sa fonction mais également du fait qu’il subit des influences multiples venant de gens qui ont des cultures et des caractères différents. Il veut satisfaire des gens qui ne le conseillent pas dans la même direction. De par sa fonction même de Président, il incarne nécessairement quelque chose d’artificiel, mais par une sorte de personnalité jugée insuffisamment mûrie pour la fonction présidentielle, oui il a un comportement de compensation pour éviter que sa posture normale ne lui attire plus d’ennemis et des adversaires plus audacieux.
Cette tentative de construction d’une personnalité ne devient-elle pas dangereuse pour l’Etat et les citoyens ?
Bien sur ! Il faut que le Président de la république ait une posture car – et c’est une des normes de la bonne gouvernance – il doit être prévisible. Ses actions, quelles qu’elles soient, doivent être inscrites dans le marbre de la loi et ne doivent pas en sortir. Et quand on n’a pas de charisme inné, il faut se construire un leadership. Le Président en a les moyens. Mais effectivement, le problème est qu’un individu insuffisamment mûri soit à la tête d’un Etat et que ses adversaires le comprennent à l’interne. Voyez ce que les gens du Pds ont dit du Président Macky Sall au point que le procureur a dû s’autosaisir pour traîner certains d’entre eux et pas des moindres. Voyez au plan international ce que des chefs d’Etat comme Alpha Condé ou Yaya Jammeh s’autorisent comme types de propos et de relations avec un homme qu’ils prennent comme un piétant. C’est donc dire qu’un Président doit incarner avec suffisamment de rigueur et d’efficacité, sans tomber dans l’autoritarisme, les fonctions qui sont les siennes. La moindre faille sera fatalement et nécessairement exploitée par un adversaire, au plan national et international.
Le poids de la famille présidentielle a-t-il pu jouer un rôle dans le changement de comportement du Président ?
La famille d’un chef d’Etat est souvent son premier conseiller. Quelle que soit la rigueur d’un Président, au dîner, on parle toujours d’un ou de deux points concernant les affaires publiques. La famille constitue également une sorte d’instance de monitoring, de surveillance de l’opinion qui dit au Président quels sont les défauts que lui reconnaissent les populations et comment y remédier. Et si l’on perçoit qu’il y a dans l’attitude des populations beaucoup d’inquiétudes sur les capacités du chef de l’Etat à incarner l’autorité à la tête du pays, alors quelqu’un le lui dira d’une manière ou d’une autre, en plaisantant ou en l’attirant dans un coin !
Sommes-nous en présence d’un Président par défaut ?
En tout cas, il a été élu grâce à la décision des Sénégalais de se débarrasser d’Abdoulaye Wade. Vous savez, après la victoire de Wade contre Diouf, quelqu’un avait dit : «même devant une chèvre, Abdou Diouf aurait perdu.» Macky Sall a été élu un peu dans ces conditions là. Abdoulaye Wade, qui que fût son adversaire au second tour en 2012, aurait perdu la bataille car ce qui animait la majorité de l’électorat, c’était beaucoup de faire partir Wade que d’élire quelqu’un. Le peuple n’a pas élu pour lui-même mais contre Abdoulaye Wade.
Dans son discours au lancement du dialogue national, le chef de l’Etat a usé du «Je» une vingtaine de fois en un quart d’heure à peu près. C’est un signe ?
Je crois qu’un psychologue en aurait dit plus et mieux que moi. Le moi est haïssable, dit le proverbe, mais le fait est que le Président communique beaucoup et selon des formes convenues. Et que le «Je» peut être une sorte d’élément de langage qui doit être répété le plus fréquemment possible pour que l’on puisse domicilier l’autorité chez celui qui affirme sa volonté sur l’action publique. De cette manière, dire «Je» en lieu et place du «Nous» de majesté est une façon de s’affirmer et de se forcer à sortir d’une sorte de coquille et de son isolement.
On se fait violence !
On se fait violence, on dit «Je», on dit «Moi», surtout pour quelqu’un qui a quand même été une dizaine d’années durant ministre, premier ministre, président de l’assemblée nationale… Mais une fois qu’il incarne l’autorité suprême, il est normal que dans certaines de ses interventions pour galvaniser les populations, leur inculquer un sentiment de sécurité, il puise leur dire «Moi», «Je»…
(Entretien paru dans Nouvel Hebdo)