La plainte du ministère français des Affaires étrangères contre l’avocat Juan Branco pour « mise en danger » de la vie de deux coopérants français détachés au Sénégal se passe de commentaires. Au-delà de son caractère ridicule et fondamentalement discriminatoire - même si politiquement il n'est pas impossible de la comprendre - cette action judiciaire dit beaucoup et assez du degré de considération et de dignité que les autorités françaises - la France tout court - ont à l’endroit des populations non françaises, sénégalaises en l’occurrence ici.
La France officielle s’apitoie sur la couverture grillée de deux de ses fonctionnaires en mission secrète dans l’appareil sécuritaire sénégalais, mais ces deux là, Khaled Bellebad et Jean-François Gaume, sont toujours vivants, vaquent à leurs occupations d’ici et d’ailleurs sans crainte et ne risquent pas de revenir chez eux en cercueil. Le pire qui puisse leur arriver est une exfiltration par voie normale ou diplomatique pour un retour saint et sauf dans l’Hexagone. Ce qui semble plus que plausible en attendant leur éventuel remplacement.
Par contre, la patrie dite des droits de l’Homme observe un silence lourd sur les violentes répressions qui frappent les militants politiques, les activistes d’organisations de la société civile, des journalistes dans l’exercice de leur métier, de simples citoyens, tous victimes de l’autoritarisme impérial d’un pouvoir aveugle et intolérant. Aucun autre pays au monde en conflit politique avec elle ne peut espérer le silence de la diplomatie du Quai d’Orsay face à des actions aussi meurtrières des forces dé sécurité sur des populations civiles qualifiées à tort d’insurgées appuyées par des « forces occultes » dont on attend encore la désignation publique. Cette même diplomatie et ses moyens médiatiques ont quasiment harcelé l’Iran après la mort en détention de Mahsa Amini en septembre 2022 suite aux manifestations contre le port du foulard !
En réalité, la France – comme d’autres pays – a choisi de perdurer dans l’hypocrisie et le cynisme, bases consubstantielles arrimées à une diplomatie bâtie en grande partie sur des principes nationaux, égoïstes et mercantilistes.
Que peut-elle donc espérer de son silence actuel sur la violence politique et institutionnelle qui rythme les pratiques quotidiennes d’un Etat à qui elle apporte des idées punitives contre les revendications démocratiques populaires et auquel elle donne carte blanche pour faire son marché d’armes et de munitions auprès d’entreprises françaises ayant pignon sur rue aux quatre coins de l’Hexagone ? Quel message envoie-t-elle à tous ces jeunes et à leurs familles en « couvrant » - par son mutisme - le gouvernement sénégalais sur la scène internationale alors que le niveau de répression est inédit dans notre pays ? Va-t-elle encore pleurnicher sur son sort en faisant mine de découvrir un jour ou l’autre l’immensité des conséquences désastreuses du blanc-seing despotique accordé au Sénégal sous le régime du président Macky Sall ?
En dépit des tours qu’elle nous joue, l’Histoire a montré qu’il est possible que des pays maintiennent et approfondissent leurs relations en usant chacun en ce qui le concerne des principes et moyens d’indépendance que porte la souveraineté nationale. Dénoncer la trop grande facilité avec laquelle les autorités sénégalaises usent de la gâchette contre des populations non armées ne peut en rien nuire aux intérêts français. Par contre, un silence couplé à la complicité peut bien les anéantir un jour où l’on si attend le moins.
En ces moments de festivités du 14-juillet, la France ne peut oublier ce que représente pour elle la prise de la Bastille et la Révolution Française de 1789 qui allait en naître. Le Sénégal, 234 ans plus tard, n’est pas dans une perspective de Révolution. Il souhaite simplement que sa démocratie ne finisse pas en autocratie normalisée car Paris y aurait alors une vraie part de responsabilité.