Au nom de la vérité et de la justice, voici une lettre que nous avons rédigée sur le format de celle du président Emmanuel Macron relative à la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat français dans la mort de Maurice Audin[[1]]url:#_ftn1 . Elle porte sur le massacre en 1944 d’au moins 35 tirailleurs « sénégalais » selon la version officielle de l’Etat français dans le camp militaire de Thiaroye sur ordre de l’Armée française. La question est : est-il possible d’obtenir d’un président français la lettre qui suit ?
Après leur libération, en 1944, l’Armée française décide de démobiliser les tirailleurs « sénégalais » en provenance de toute l’AOF (Afrique occidentale française) qui avaient combattu pour la France. Leur nombre est estimé par certains historiens à 9 678, soit 3 261 ex-prisonniers et 6 334 rapatriés de France. Ils attendent le versement de leurs arriérés de solde, la prime de démobilisation, et les sommes versées sur des livrets d’épargne en France. Le ministre des Colonies annonce qu’ils seront démobilisés à Dakar, ce qui laissa déjà les concernés perplexes. De la France à Dakar, en passant par Casablanca, certains tirailleurs refusent d’embarquer avant que leur situation ne soit tirée au clair. Au final, les tirailleurs obtiennent juste une avance sur prime de 1 500 francs, versée avant le départ de la métropole selon certains chercheurs ou à Dakar selon d’autres.
Les tirailleurs continuent de réclamer leurs dus surtout que le montant qui leur est versé perd la moitié de sa valeur convertis en FCFA même si pour d’autres versions, les revendications portent sur l'argent versé sur les livrets d'épargne, les effets personnels et la formalisation des grades et autres droits au sein de l’Armée française. Face au refus d’embarquement vers Bamako de certains tirailleurs, le général Dagnan est dépêché à Thiaroye, un camp militaire de la périphérie de Dakar, pour s’enquérir de la situation. Il ne donne pas les réponses attendues et des échauffourées éclatent en sa présence. Le général ne décolère pas devant ce qu’il considère comme une défiance de son autorité. Avec l’autorisation de sa hiérarchie notamment le général Yves de Boisboissel, des gendarmes appelés en renfort et des tirailleurs « sénégalais » issus d’autres régiments prennent position autour du camp de Thiaroye.
Les troupes entrent dans le camp et les affrontements qui vont suivre feront 35 morts parmi les tirailleurs selon ce qui a été reconnu officiellement par l’Etat français depuis 1945. Des survivants, 34 seront jugés en mars 1945, condamnés à des peines allant de un à dix ans de prison, à verser une amende de 100 francs de l'époque, sanction assortie d’une perte des droits à l'indemnité de démobilisation. Ils sont graciés en juin 1947, lors de la venue à Dakar du président de la République française, Vincent Auriol. Mais les familles des défunts tirailleurs massacrés à Thiaroye n’ont pas eu droit à la pension.
Ces massacres ont été rendu possibles par un état d’esprit condamnable à tous égard qui animait la plupart des hautes autorités de l’Armée française à l’époque : considérer que les français colonisateurs ne pouvaient avoir la même dignité que les Africains colonisés et par conséquent, il était justifié de les traiter comme ce fut le cas à Thiaroye. Comme si les africains n’avaient pas de droits mais seulement un devoir : servir la France jusqu’à la mort s’il le faut, sans rien demander ni mériter en retour. Or, ces tirailleurs massacrés à Thiaroye n’ont demandé aucun traitement privilégié, seulement leurs dus.
L’histoire de ce massacre de Thiaroye doit être connue, assumée et reconnue par la France. Dans cette optique, je demande pardon au nom de la France aux familles des tirailleurs « sénégalais » qui, après avoir combattu pour elle, ont vu les fusils de leurs camarades se retourner contre eux. Ce fut une injustice difficilement qualifiable dont ni les Français de l’époque ni ceux d’aujourd’hui ne peuvent être fiers. L’Etat français jouera sa partition dans tout ce qui est nécessaire non pas à la guérison mais aux soins de cette plaie ouverte depuis 1944 dans le corps et le cœur des tirailleurs concernés par cette affaire mais aussi de leurs familles et de l’Afrique toute entière.
Dans une perspective de prolongement de ce travail de mémoire, je vais demander que l’accès aux archives françaises soit facilité aux historiens et à toute partie intéressée pour que la version officielle sur ce drame soit confrontée à celle des archives et des témoignages fiables. Je mettrai en place une commission chargée de me faire des propositions afin que l’Etat français procède à toutes les réparations requises en termes de restauration des grades et autres droits des défunts tirailleurs « sénégalais » concernés par ce drame ainsi que leurs familles. L’Afrique attend résolument et dignement ce travail de la France pour qu’à l’avenir, leurs relations soient bâties sur la confiance et dû à tout être humain.
Ahmadou Makhtar Kanté
Imam, écrivain et conférencier
Fait à Dakar, le 16/09/2018
Après leur libération, en 1944, l’Armée française décide de démobiliser les tirailleurs « sénégalais » en provenance de toute l’AOF (Afrique occidentale française) qui avaient combattu pour la France. Leur nombre est estimé par certains historiens à 9 678, soit 3 261 ex-prisonniers et 6 334 rapatriés de France. Ils attendent le versement de leurs arriérés de solde, la prime de démobilisation, et les sommes versées sur des livrets d’épargne en France. Le ministre des Colonies annonce qu’ils seront démobilisés à Dakar, ce qui laissa déjà les concernés perplexes. De la France à Dakar, en passant par Casablanca, certains tirailleurs refusent d’embarquer avant que leur situation ne soit tirée au clair. Au final, les tirailleurs obtiennent juste une avance sur prime de 1 500 francs, versée avant le départ de la métropole selon certains chercheurs ou à Dakar selon d’autres.
Les tirailleurs continuent de réclamer leurs dus surtout que le montant qui leur est versé perd la moitié de sa valeur convertis en FCFA même si pour d’autres versions, les revendications portent sur l'argent versé sur les livrets d'épargne, les effets personnels et la formalisation des grades et autres droits au sein de l’Armée française. Face au refus d’embarquement vers Bamako de certains tirailleurs, le général Dagnan est dépêché à Thiaroye, un camp militaire de la périphérie de Dakar, pour s’enquérir de la situation. Il ne donne pas les réponses attendues et des échauffourées éclatent en sa présence. Le général ne décolère pas devant ce qu’il considère comme une défiance de son autorité. Avec l’autorisation de sa hiérarchie notamment le général Yves de Boisboissel, des gendarmes appelés en renfort et des tirailleurs « sénégalais » issus d’autres régiments prennent position autour du camp de Thiaroye.
Les troupes entrent dans le camp et les affrontements qui vont suivre feront 35 morts parmi les tirailleurs selon ce qui a été reconnu officiellement par l’Etat français depuis 1945. Des survivants, 34 seront jugés en mars 1945, condamnés à des peines allant de un à dix ans de prison, à verser une amende de 100 francs de l'époque, sanction assortie d’une perte des droits à l'indemnité de démobilisation. Ils sont graciés en juin 1947, lors de la venue à Dakar du président de la République française, Vincent Auriol. Mais les familles des défunts tirailleurs massacrés à Thiaroye n’ont pas eu droit à la pension.
Ces massacres ont été rendu possibles par un état d’esprit condamnable à tous égard qui animait la plupart des hautes autorités de l’Armée française à l’époque : considérer que les français colonisateurs ne pouvaient avoir la même dignité que les Africains colonisés et par conséquent, il était justifié de les traiter comme ce fut le cas à Thiaroye. Comme si les africains n’avaient pas de droits mais seulement un devoir : servir la France jusqu’à la mort s’il le faut, sans rien demander ni mériter en retour. Or, ces tirailleurs massacrés à Thiaroye n’ont demandé aucun traitement privilégié, seulement leurs dus.
L’histoire de ce massacre de Thiaroye doit être connue, assumée et reconnue par la France. Dans cette optique, je demande pardon au nom de la France aux familles des tirailleurs « sénégalais » qui, après avoir combattu pour elle, ont vu les fusils de leurs camarades se retourner contre eux. Ce fut une injustice difficilement qualifiable dont ni les Français de l’époque ni ceux d’aujourd’hui ne peuvent être fiers. L’Etat français jouera sa partition dans tout ce qui est nécessaire non pas à la guérison mais aux soins de cette plaie ouverte depuis 1944 dans le corps et le cœur des tirailleurs concernés par cette affaire mais aussi de leurs familles et de l’Afrique toute entière.
Dans une perspective de prolongement de ce travail de mémoire, je vais demander que l’accès aux archives françaises soit facilité aux historiens et à toute partie intéressée pour que la version officielle sur ce drame soit confrontée à celle des archives et des témoignages fiables. Je mettrai en place une commission chargée de me faire des propositions afin que l’Etat français procède à toutes les réparations requises en termes de restauration des grades et autres droits des défunts tirailleurs « sénégalais » concernés par ce drame ainsi que leurs familles. L’Afrique attend résolument et dignement ce travail de la France pour qu’à l’avenir, leurs relations soient bâties sur la confiance et dû à tout être humain.
Ahmadou Makhtar Kanté
Imam, écrivain et conférencier
Fait à Dakar, le 16/09/2018
[[1]]url:#_ftnref1 https://www.nouvelobs.com/monde/afrique/20180913.OBS2283/la-declaration-de-macron-qui-reconnait-la-responsabilite-de-l-etat-dans-la-mort-de-maurice-audin.html