Quel prix la présidence sénégalaise a-t-elle dû payer pour s’offrir « l’expertise » de « Team Jorge », cette société clandestine israélienne formée par des anciens agents du Mossad (espionnage) et du Shin Beth (sécurité intérieur) lors de l’élection présidentielle sénégalaise de février 2019 remportée par Macky Sall ? A moins d’un miracle, Il est peu probable que la cellule de communication et/ou le porte-parole de la présidence sénégalaise apporte un brin de lumière à cette scabreuse campagne de désinformation révélée par un consortium international de journalistes d’investigations formé autour de Forbidden Stories. Mais d’après l’enquête, la mission du mystérieux consultant israélien se monnaye aux environs de 6 millions d’euros (autour de 4 milliards de francs CFA).
Au lendemain de cette élection présidentielle, le Dr Ndiaga Guèye, président de l’Association des utilisateurs de Tic (Asutic) avait indiqué que la victoire de Macky Sall était « le résultat de la mise en œuvre par cette société française d’une stratégie d’identification et d’exécution des leviers de manipulation du processus électoral en traitant les données collectées ».
La dite société, spécialisée dans le big data, est SPALLIAN.
En gros, « Jorge », fournisseur de renseignements et d’influence, nous signale que le président sénégalais Macky Sall a contracté avec son équipe pour influencer l’élection présidentielle à travers la publication de posts à très haut degré de viralité, la propagation de fake news, le hacking d’adversaires politiques, la création et le piratage de plusieurs centaines de faux-comptes pour attaquer et discréditer des adversaires politiques et/ou des membres de la société civile, mais aussi pour manipuler deux cibles importantes que sont les médias (sites internet, journaux, blogs, etc.) et l’opinion publique. Selon le quotidien anglais The Guardian, l’équipe israélienne « impliquée dans la diffusion de la désinformation » concernant le Sénégal a utilisé des robots numériques.
Au final, le président Macky Sall figure de fait dans le lot des « 27 campagnes présidentielles couronnées de succès » que revendiquent Jorge et ses agents et associés dans une soixantaine d’Etats à travers le monde. Il avait élu au premier tour de cette élection de février 2019 avec plus de 58% des suffrages devant Idrissa Seck et Ousmane Sonko.
Sur le Tchad
« Par exemple, après avoir rapidement entré les mots « Tchad », « président », « frère » et « Déby », « Jorge » demande à l’intelligence artificielle, en présence des reporters infiltrés, de produire dix tweets négatifs sur le pouvoir tchadien. Douze secondes plus tard, les messages apparaissent : « Trop c’est trop, nous devons mettre fin à l’incompétence et au népotisme du président du Tchad, frère Deby », « Le peuple tchadien a suffisamment souffert sous le règne du président Frère Deby »… Un associé de l’entrepreneur se félicite : « Un opérateur peut gérer 300 profils, donc en deux heures, tout le pays parlera du récit [qu’on] veut ». Rapide, redoutable et terriblement efficace. »
Kenya et Nigeria
Outre le Sénégal, « Team Jorge » qui ne travaillerait que pour les pouvoirs en place, a reconnu son implication dans la récente élection présidentielle au Kenya en août 2022 où son « poulain » Raila Odinga a été battu par William Ruto. En 2015, son « soutien » au président sortant du Nigéria Goodluck Jonathan n’a pas empêché l’élection de Muhammadu Buhari.
Cette investigation mondiale coordonnée par Forbidden Stories est le 2e volet d’un projet intitulé « Story Killers ». Elle poursuit une enquête entamée par la journaliste indienne assassinée Gauri Lankesh alors qu’elle travaillait sur la désinformation.