Les attaques djihadistes de mardi à Bamako ont fait plus de 70 morts et 200 blessés, l’un des bilans humains les plus lourds de ces dernières années dans les rangs des forces de sécurité maliennes.
Ces chiffres mettent à mal la rhétorique de la junte au pouvoir depuis 2020, selon laquelle sa stratégie de rupture, ses nouveaux partenariats étrangers et un effort militaire accru ont permis d’inverser la tendance face aux djihadistes après des années de descente aux enfers.
Au-delà du choc et des condamnations de toutes parts, de nombreux Maliens ont réclamé sur les réseaux sociaux des comptes pour ce qu’ils considèrent comme une faillite sécuritaire devant l’assaut donné à l’école de gendarmerie et à l’aéroport militaire.
Une source sécuritaire a fait état de 77 morts et 255 blessés. Un document confidentiel officiel authentifié rapporte une centaine de morts, et cite nommément 81 victimes.
L’état-major s’est contenté de reconnaître « quelques pertes en vies humaines », notamment des élèves gendarmes, alors que différentes sources faisaient déjà état d’un nombre très élevé de morts.
Le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) qui a revendiqué l’opération a assuré via ses canaux de communication que quelques dizaines de ses hommes avaient fait pendant neuf heures des centaines de morts et de blessés dans le camp adverse, dont des membres du groupe russe Wagner, allié du régime militaire. Ses combattants ont ensuite été tués, a-t-il dit.
Une cérémonie funèbre s’est déroulée à huis clos à Bamako. En guise de rare mesure en réaction à un évènement sans précédent depuis longtemps, les autorités ont annoncé la fermeture de sept marchés aux bestiaux de Bamako. Les spéculations ont cours sur l’éventualité que les djihadistes se soient dissimulés dans l’un de ces marchés, qui font vivre un grand nombre de personnes, avant de passer à l’action.
La capitale n’avait pas été le théâtre d’une telle opération depuis 2016 alors que d’autres régions du pays sont en proie à des attaques quasi quotidiennes.
Les attaques ont eu lieu le lendemain du premier anniversaire de l’Alliance des États du Sahel, qui regroupe le Mali, le Burkina Faso et le Niger, trois pays confrontés à l’expansion djihadiste et plongé dans des crises profondes.
Les régimes militaires qui en ont pris la tête à la faveur d’une succession de putschs depuis 2020 ont rompu l’alliance historique avec l’ancienne puissance coloniale française, et se sont tournés militairement et politiquement vers d’autres partenaires, dont la Russie.
« Situer les responsabilités »
Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, le président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, le gouvernement du Sénégal, voisin du Mali, et l’ambassade du Royaume-Uni ont condamné les attaques. L’ambassade de France a présenté ses condoléances.
Jean-Hervé Jezequel, directeur du projet Sahel à l’International Crisis Group, observe qu’il « faut remonter à un certain nombre d’années » pour retrouver une attaque d’une telle portée dans la capitale. Et « là, on est vraiment au cœur de Bamako, sur une école de gendarmerie puis surtout sur l’aéroport international ».
L’une des hypothèses est que « les djihadistes essaient de signifier aux autorités maliennes qu’elles peuvent les frapper partout et donc qu’il faut aussi protéger les grandes villes », et relâcher la pression dans les territoires ruraux où les djihadistes sont les plus fortement implantés, dit-il.
Les attaques ont globalement suscité au Mali des déclarations de cohésion dans l’épreuve. Dans un contexte de restriction sévère de l’expression sous la junte, quasiment aucune personnalité ne s’est fait entendre pour dénoncer une éventuelle faillite sécuritaire des autorités.
Rare voix dissonante, le quotidien Nouvel Horizon a sonné en une « l’heure de situer les responsabilités à tous les niveaux ». De nombreux Maliens ont réclamé des sanctions sur l’internet. A contrario, les soutiens de la junte ont désigné à la vindicte l’Occident, certains médias et journalistes, voire l’Ukraine.
Les attaques ont aussi fait craindre des règlements de compte contre certains groupes humains par la faute d’amalgames communautaires.
« On peut renvoyer dos à dos les politiques des dernières années qui ont toujours donné peut-être une primauté trop forte à une réponse militaire », dit Jean-Hervé Jezequel, « à côté de l’outil militaire qui reste indispensable, il faut aussi remettre sur le devant de la scène une réponse à caractère politique, un dialogue politique ». [AFP]