La commémoration des 80 ans des assassinats de Thiaroye, ce 1er décembre 2024, est une page majeure écrite pour l’histoire post-coloniale de notre pays. Cet exercice de vérité inédit au Sénégal n’a rien d’une subite envie exhibitionniste visant à (re)montrer au monde les cafards qui s’entrechoquent dans la vitrine du monstre colonialiste. Il faut oser croire que son ambition, noble, légitime et souveraine, va plus loin qu’une simple parade dominicale, tactique de prestige à moindres frais à laquelle nos dirigeants nous ont habitués depuis l’indépendance.
A notre sens, cet événement du 1er décembre 2024 ne peut être que l’expression d’une volonté politique forte qui trouve sa justification et son fondement dans l’une des pires séquences de la répression coloniale à l’encontre de compatriotes sénégalais et frères africains. Il faut saluer ici la complémentarité idéologique et humaniste de Bassirou Diomaye Faye et d’Ousmane Sonko. Leur leadership partagé a permis - en un laps de temps extraordinairement réduit - d’avancer sur la reconnaissance mondiale d’un fait historique effroyable que leurs prédécesseurs n’ont pas eu le courage de prendre en charge car leur profil politique ne les y prédisposait pas. Du binôme socialiste Léopold Sédar Senghor-Abdou Diouf au diptyque affairiste libéral Abdoulaye Wade-Macky Sall, il a fallu s’en remettre à la paire Diomaye-Sonko pour que le Sénégal voit plus loin que le « privilège » des desserts offerts à ses tirailleurs par leurs vigiles français.
Le massacre de Thiaroye est comme notre mémoire dans notre peau, à l’instar du film éponyme. Il heurte notre conscience en lui imposant une cohabitation inscrite dans l’éternité et qui perdure depuis 80 ans. Déjà. Il hante notre esprit collectif sans que, jusqu’ici, nous nous soyons donné les moyens de l’exorciser définitivement. L’initiative du président Faye et du premier ministre Sonko de placer Thiaroye-44 dans l’agenda politique de leur mission met une certaine France, réactionnaire et conservatrice, devant ses responsabilités historiques. Ce ne sera pas le seul obstacle pour le pouvoir sénégalais et pour tous ceux qui s’activent pour que la lumière soit.
Depuis plusieurs décennies, les historiens qui travaillent sur les assassinats de Thiaroye cherchent encore des réponses aux questions qu’ils se posenyt. Ils ne sont pas certains d’en trouver. Les contraintes auxquelles ils sont confrontés restent autant d’obstacles à l’éclosion d’une vérité qui ferait pourtant du bien aux protagonistes de la tragédie et, surtout, aux victimes africaines et à leur descendance.
A ce niveau de difficulté, seule la volonté politique de la France officielle, l’accusée de l’histoire, est en mesure de faire solder les comptes du drame de novembre-décembre 1944 dans toutes ses dimensions. A défaut, Paris et Dakar dont les relations diplomatiques sont appelées à changer de nature avec l’arrivée au pouvoir en avril 2024 du duo Faye-Sonko entreront dans un cycle infernal de disputes mémorielles. Ici, la France serait sur un terrain qu’elle connait du bout des doigts en tant qu’ex-puissance coloniale à la réputation ternie par sa brutalité répressive. Ses rapports heurtés avec l’Algérie, par exemple, trouvent en partie leur origine dans sa propension à cultiver le déni pour protéger son moi.
A Dakar, son ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, a officiellement admis la thèse du massacre contre les revenus de guerre africains sur le sol de Thiaroye après le « mea culpa » de son président auprès de Bassirou Diomaye Faye. Mais le chemin de la reddition complète avec ses conséquences juridiques et financières risque d’être long et difficile.
Emmanuel Macron, encore deux ans et demi au pouvoir et peut-être même moins en cas d’élection présidentielle anticipée - n’aura sans doute ni le temps ni les moyens de matérialiser son approche positive de la question. Pour les autorités sénégalaises, le processus de réhabilitations des tirailleurs de Thiaroye se fera donc dans la durée, avec d’autres dirigeants français. Avec de l’espoir certes, mais sans aucune garantie d’arriver au bout d’une contre-histoire sensationnelle.