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A Alep et en Syrie, l’ONU dénonce «une honte humanitaire»

Mardi 4 Octobre 2016

Les habitants des quartiers est d’Alep se terrent et meurent quotidiennement sous les bombes des forces syriennes et de l’armée russe. Samedi 2 octobre, le centre de traumatologie de la ville a été détruit, portant à quatre le nombre d’hôpitaux visés. Totalement impuissante, l’ONU dénonce des crimes de guerre et poursuit son travail de documentation.
 
Des corps de bébés, d’enfants, de femmes et d’hommes qui pourrissent dans les décombres d’abris à vingt mètres sous terre, victimes probablement des « buster bunking », ces redoutables bombes capables de provoquer des destructions massives. Des monceaux de gravats dans les rues qui recouvrent des cadavres. Des scènes d’horreur dans les « hôpitaux », où des médecins à bout de force amputent et soignent à la chaîne, à même le sol. La mort à petit feu de ceux qui souffrent de maladies chroniques et ne peuvent plus se soigner.
 
La communauté des humanitaires le dit et le répète en boucle depuis quinze jours : la situation dans les quartiers est d’Alep, où 275 000 civils sont piégés, est devenue inqualifiable d’horreur. Aucune organisation humanitaire n’a pu s’y rendre depuis le 7 juillet, contrairement aux quartiers ouest, siège de violents combats, mais qui ont pu être approvisionnés par le Croissant-Rouge arabe syrien. Depuis le 22 septembre dernier, début de l’offensive massive des forces armées syriennes et russes contre les insurgés du groupe islamiste Ahrar Al-Cham, les habitants de l'est vivent un cauchemar, victimes de bombardements incessants, massifs et indiscriminés.
 
Samedi 1er octobre, l’hôpital M10, le principal établissement de traumatologie de la ville, dans le quartier d'Al-Sakhour, a été visé, selon des rebelles et des secouristes, par au moins sept missiles lancés par des avions russes et des hélicoptères syriens. Deux patients auraient été tués et treize autres blessés. C'est la seconde frappe de ce genre contre cet établissement. Au total, quatre hôpitaux (sur les huit existants) ont été visés par les raids aériens ces derniers jours, quatre unités chirurgicales ont été attaquées.
 
« L'hôpital [M10] est désormais complètement hors service. Des murs, des infrastructures, des équipements et des générateurs ont été détruits. Il n'y a plus aucun garde ou personnel sur place. [L'hôpital] est dans le noir complet », rapporte Mohammad Abu Rajab, radiologue de l'établissement interrogé par Reuters.

Les frappes aériennes se concentrent aussi sur les voies d'approvisionnement qui mènent aux secteurs tenus par les rebelles, la route Castello et le quartier de Malah, au nord de la ville. Les combats au sol font également rage dans le quartier de Souleiman Al-Halabi, la ligne de front au nord de la vieille ville d'Alep, et dans le quartier de Boustan Al-Pacha. En l’espace de onze jours, 338 personnes (dont 160 d’enfants), principalement des civils, ont péri et 846 ont été blessées dont 261 enfants.

À cela, s’ajoute une situation désastreuse dans tout le reste du pays. Les combats et les frappes aériennes se sont intensifiés à Deir ez-Zor, à Hama, à Homs, à Idlib, dans la région de Damas et dans d'autres gouvernorats. L’ONU estime que 861 200 Syriens vivent actuellement dans des villes difficiles d’accès ou assiégées.

« Par où commencer ? » À la tribune du Conseil de sécurité, jeudi 29 septembre, Stephen O’Brien, chef du Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA), n’a pas caché son profond désarroi, disant éprouver « une tristesse intense, de la frustration et une énorme colère devant l’horreur pure et débridée de ce qui se passe, bien au-delà de l’horreur qui prévalait déjà il y a quinze jours ». Pendant 25 minutes, il s’est livré à un terrible réquisitoire contre l’inaction de la communauté internationale, passant en revue de manière détaillée et concrète les « crimes de guerre » commis chaque jour en Syrie contre les civils, au mépris total des conventions de Genève.

 Je m’adresse à vous, le Conseil de sécurité, pour vous présenter mon rapport sur la honte humanitaire qui prévaut aujourd’hui en Syrie et à l'est d'Alep. (…) Ce n'est pas là le résultat imprévisible de forces qui sont indépendantes de notre volonté. C’est dû à l'action des parties aux conflits et c’est le résultat direct de l'inaction – que ce soit par manque de volonté ou par incapacité – de la communauté internationale, y compris ceux qui sont présents dans cette salle », a-t-il lancé, se demandant s’il existait encore, « une ligne rouge à ne pas franchir » dans la « destruction meurtrière ». La veille, le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon, avait estimé que la situation qui régnait à Alep était « pire que dans un abattoir ».
 
Préserver les éléments de preuves des crimes de guerre
Stephen O’Brien a qualifié de « triste distraction » l’annonce par les Américains et les Russes, le 10 septembre, d’un cessez-le-feu qui a été violé par les deux parties. Ce qui a permis de repousser, une fois de plus, la mise en place de « pauses humanitaires » hebdomadaires d’au moins 48 heures pour évacuer les nombreux blessés, réclamée depuis des mois par l’ONU, le CICR et différentes ONG.
 
Le directeur de OCHA a répété que les prétendus « corridors humanitaires » mis en place unilatéralement par la Russie ne fonctionnaient pas, très peu de gens se risquant à les emprunter. « Vous feriez la même chose si vous n’aviez aucun endroit où aller et si vous saviez qu’à chaque instant un sniper peut vous tirer dessus [quand vous empruntez ces corridors] », a-t-il lancé aux membres du Conseil de sécurité, rappelant que des militaires étaient postés au point d’entrée et de sortie de ces couloirs, avec aussi le risque d’être arrêté. « Nous l’avons souvent dit : les civils ne peuvent pas se déplacer avec un tel degré d’insécurité. »
 
Le responsable onusien a assuré qu’« un jour viendra où les individus et les institutions qui ont perpétré de manière impitoyable et cynique ces crimes de guerre ne pourront plus se cacher » et qu’il était du devoir de l’ONU «  de préserver les éléments de preuve [de ces crimes] et de pointer du doigt le ou les États membres et leurs responsables, ainsi que les militaires, qui en sont responsables ».

Samedi 2 octobre, dans un nouveau communiqué, Stephen O’Brien a appelé à cesser « la démagogie politique ou la défense étroite des positions politiques et militaires [des parties au conflit] » pour reconnaître « la gravité et l’horreur de la situation actuelle et agir avant qu’il ne soit trop tard »
 
Le ciblage systématique des structures et des personnels de santé par l’armée syrienne et l’aviation russe, constitutif de crimes de guerre, est désormais au centre de l’attention de l’ONU. Et il continue à être méticuleusement documenté par différentes agences onusiennes et par la Commission d’enquête sur la Syrie qui lui a consacré un rapport en août dernier.   

Vendredi, à Genève, Rick Brennan, le chef des urgences humanitaires de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), a tiré la sonnette d’alarme, disant n’avoir « jamais vu cela en 23 ans de carrière sur le terrain dans différentes zones de conflit ».
 
À Alep-Est, seuls deux hôpitaux fonctionnent encore avec 135 lits et 30 médecins en activité. « Ils étaient 35 la semaine dernière », a précisé le docteur Brennan. Le 24 septembre, lors de frappes aériennes dans le quartier Jisr Al-Haj qui ont en partie détruit des entrepôts du Croissant-Rouge arabe syrien, l’un d’entre eux a été tué, en compagnie de son épouse, une sage-femme.
 
Rick Brennan reste en contact, par vidéoconférence, avec la plupart de ces médecins qui travaillent jour et nuit « dans des conditions qui dépassent l’imagination ». « Ici à Genève, nous sommes souvent proches du désespoir, alors vous pouvez imaginer ce qu’ils ressentent là-bas ! » « Ces gars sont totalement épuisés, vidés physiquement et émotionnellement, mais ils continuent malgré tout à travailler. Ce sont des héros. Ils ont toute notre admiration et notre respect », a-t-il ajouté, décrivant la grande misère des structures médicales qui sont encore debout et manquent de tout. Il y a quelques jours, quatre enfants sont morts dans les couloirs, alors que l’unité de soins intensifs était pleine. « Les conventions de Genève interdisent les attaques contre les structures de santé et garantissent la neutralité des établissements et du personnel médical », a-t-il rappelé.
 
(…) Vendredi 30 septembre, le Conseil des droits de l’homme (CDH), basé à Genève, a adopté à la majorité une résolution qui prévoit l’organisation, en mars 2017 (sic !), « d’une table ronde de haut niveau sur la situation des droits de l'homme en République arabe syrienne ». Cette réunion devrait aborder le problème des disparitions forcées et des détentions arbitraires, et elle se penchera sur « la nécessité de faire répondre de leurs actes les responsables de violations et d'atteintes qui y sont liées ». Des Syriens seront invités à s’y exprimer.
 
Sans surprise, la Russie qui est membre du CDH a voté contre, aux côtés de la Chine, de Cuba, du Venezuela, de l’Algérie, de la Bolivie et du Burundi, estimant que ce texte était « biaisé » et ne visait « qu'à imputer la faute de la situation en Syrie aux autorités légitimes et à détourner l'attention de ceux qui commettent des actes constitutifs de crimes contre l'humanité ». « Au lieu de soutenir les efforts en cours pour la paix, les auteurs, parmi lesquels figurent des pays qui appuient des groupes armés, préfèrent mettre l'accent sur la situation des droits de l'homme », a expliqué le représentant russe, accusant « Washington et ses alliés d'œuvrer en réalité contre des enfants innocents ».
 (Mediapart)

 
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