Connectez-vous

AMINA MOUHAMED, MINISTRE KÉNYANE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES : « Les raisons de ma candidature à la présidence de l'Union africaine »

Mardi 27 Décembre 2016

(Interview exclusive) Fin janvier 2017, l’Union africaine choisira le président ou la présidente de la commission. Amina Mohamed, ministre des Affaires Etrangères du Kenya depuis 2013, est l'un des cinq candidats en lice. Âgée de 54 ans, première femme à gérer la diplomatie de son pays elle était de passage à Dakar lors du Forum sur la paix et la sécurité. Elle en a profité pour donner une conférence devant les étudiants du Centre d’études des Sciences et Techniques de l’Information (Cesti) de l’Université de Dakar. Dans cet entretien, la ministre Amina Mohamed décline ses visions et ambitions pour le continent.
 
En tant que candidate à la présidence de la commission de l’Union africaine, quelle est votre vision sur cette instance ?
 Il y a déjà une vision, une feuille de route, incarnée par l’Agenda 2063 qui a été adopté par l’Union Africaine en 2013. Nous avons commencé à mettre en action les dix premières années du plan d’action de cet Agenda. Il y a des priorités qu'il contient et qui sont résumées en douze points. En plus de ces priorités et points, il est important d’identifier d’autres. Dans ce cadre, la première priorité pour l’ensemble du continent, c’est l’industrialisation. Il nous faut passer par l’agrobusiness pour notre industrialisation parce qu’elle a la capacité et le potentiel pour réduire voire éradiquer la pauvreté absolue. L’agrobusiness a aussi le potentiel pour créer les emplois massifs dont nous avons besoin pour les jeunes, la plupart de nos populations étant impliquées dans l’agriculture. La deuxième priorité, c'est le commerce et les investissements. Ces deux secteurs peuvent aussi tirer beaucoup d'Africains de la pauvreté abjecte. Il y a des exemples avec la Chine et l’Inde. Pour que le commerce marche, il nous faut régler la connectivité entre les pays du continent. Nous le savons: il n'est pas facile de faire du commerce encore moins faire du business en Afrique. Ce sont des activités qui coutent cher parce qu'il est difficile de voyager d’un pays à un autre.
 
Donc, c’est quoi votre solution à ce niveau ?
Pour que le commerce et les investissements marchent, il nous faut une révolution dans les infrastructures afin que nous puissions déplacer les biens et marchandises, en plus du mouvement des capitaux, par la route, la mer, les airs. Il faut, pour ce faire, que le continent soit ouvert partout. Il nous faut aussi régler les documents de travail, notamment les visas pour voyager. Cela exige aussi que nous ouvrions les frontières au sein du continent pour que nos populations puissent se déplacer convenablement. En outre, il nous faut régler la question de la jeunesse en récoltant les avantages du dividende démographique. Pour y parvenir, il faut que nous investissions dans le développement des capacités professionnelles et le talent de nos jeunes. Il faut aussi que nous harmonisions la mise en œuvre de l’agenda 2063 avec celle de l’Agenda des Nations Unies pour les Objectifs du Développement Durable (Odd) de 2030. Sinon, nous allons dupliquer les choses et perdre beaucoup de temps. Évidemment, il nous faut développer nos ressources énergétiques en particulier les énergies renouvelables. Nous pourrons alors utiliser l’énergie solaire dans le Sahel, l’énergie géothermique pour la vallée du Rift, Hydro-électricité pour l’Afrique centrale. Il nous faut passer par cela, sinon notre industrialisation ne va pas se réaliser. Nous ne réussirons cette ambition sans avoir beaucoup d’énergie.
 
La diaspora semble un élément essentiel de votre programme.
Il nous effectivement nous tourner vers la diaspora africaine qui, elle aussi, n’a pas toujours été bien utilisée alors qu’elle recèle d’énormes potentialités. Aujourd’hui, les envois que nous recevons de cette diaspora africaine sont supérieurs aux investissements directs étrangers affluant vers l'Afrique. Pour que nous relevions ces défis de la diaspora, il nous faut investir en elle en utilisant leur expertise, expérience et leur compétence technologique. Nous devons prendre en charge toutes ces questions tout en nous assurant que nous avons une stabilité sociale sur le continent. Nous pouvons régler ce problème en surmontant l'exclusion sociale, l’extrémisme et tout ce qui vient avec la violence et le terrorisme. Par-dessus tout, il me semble indispensable que les valeurs que nous avons en partage soient reconnues et renforcées de sorte que tous les progrès et développements réalisés soient inclusifs et pour tous.   
 
L’Union africaine a été beaucoup critiquée sur sa gestion des crises qui secouent le continent. Si vous êtes élue, sur quels axes vous appuierez-vous pour une réponse plus adéquate face à ces crises ?
La paix et la sécurité sont prioritaires pour l’Union africaine. Sans elles, il ne peut y avoir de développement et vice versa. C’est un domaine où il y a eu beaucoup d’attention parce qu’il y a l’Architecture pour la paix et la sécurité en Afrique (Apsa), qui est la charpente mise en place par l’Union africaine pour gérer ces questions si importantes et qui présente un cadre général pour les prendre en charge. Elle a établi un Fonds pour la paix, une force d’attente rapide, un système d’alerte précoce, en somme elle a été un soutien aux missions de maintien de la paix en Afrique. La première  force de maintien de la paix en République Centrafricaine était envoyée par l’Union africaine, de même qu’en Somalie et au Darfour. Quand la Namibie a été libérée, les soldats qui sont restés là-bas pendant trois mois pour maintenir la paix, étaient Kenyans, pour le compte de l’Union africaine et des Nations unies. C’est le mandat le plus développé et utilisé de l’Union africaine. En plus de cela, il y a un Conseil de paix et de sécurité qui se réunit très régulièrement, pour évaluer l'état de la paix et de la sécurité dans le continent. Nous avons donc un bon et holistique cadre en matière de paix et de sécurité. Si nous devons améliorer quelque chose, cela doit être dans la rapidité de la réponse pour combler le fossé entre le temps où une crise commence et le temps de l’intervention.    
 
Que proposez-vous concrètement sur cette question de la paix et de la sécurité ?
C’est un secteur qui devait retenir toute l'attention de l’Union africaine, à l’avenir. Il faudrait que nous fassions de la prévention des conflits. C’est moins cher. Car c'est connu: mieux vaut prévenir que guérir. Quand il y a prévention, il y aura moins de vies humaines emportées, moins de destructions de biens et d’infrastructures. C’est plus facile de revenir sur une telle situation alors qu’après le déclenchement d’un conflit, il y a beaucoup trop de dégâts à réparer. Même entre des communautés belligérantes, ce sont des pertes en vies humaines, des déplacements de populations, une agriculture à l’arrêt, pas de développement. Rien.    
 
Le terrorisme est devenu un vrai marqueur des relations internationales et l’Afrique n’y échappe pas. Quelles solutions préconisez-vous comme candidate sur ce problème majeur ?
Il n’y a pas de solution magique : il faudra une approche holistique. Il y a beaucoup de travail à faire, des consultations, coordinations et des ressources à mobiliser. Si nous ne le faisons pas maintenant, cela va être plus cher. Cela va aussi menacer notre survie, notre futur. Fondamentalement, je pense que si nous ne réglons pas la question du terrorisme frontalement en utilisant tous les instruments à notre disposition et en impliquant toutes les parties prenantes, en étant créatifs dans la manière de faire face à cela tous les jours, nous serons dans des problèmes sérieux. Un exemple visuel pour montrer le défi unique du terrorisme qui est plus grand qu’il n’apparait de prime abord. C’est comme si on regarde le rétroviseur dans une voiture: les choses que nous voyons semblent être petites alors qu’elles sont beaucoup plus énormes qu’elles n’apparaissent sur le miroir. Le terrorisme est plus dangereux qu’il n’apparait.   
 
Les migrations constituent aussi une problématique en Afrique. Comment les aborder au niveau africain ?
Il n’y a pas beaucoup de réponses sur cette question. Il faudrait l'analyser comme une question globale. Regardez le pourcentage d’étrangers qui vivent dans les pays africains et comparez le per capita au nombre d'Africains qui vivent dans les pays du nord. Quel est celui qui a un problème de migrations ? Prenez l’exemple des pays de l’Afrique de l’ouest : certains d’entre eux ont des migrants qui sont à 2 millions, soit 10 à 20 % des populations. C’est la même chose pour nous au Kenya. Dans certaines zones, le nombre d’étrangers est supérieur à la population locale. La migration doit donc être résolue dans une vision qui parte de ces réalités- là. Elle nous concerne tous, sa résolution sera globale ou ne sera pas. Ce n’est pas un problème africain, ni asiatique, ni européen. C'est dire que les solutions à lui opposer doivent être globales.
 
Lors de votre conférence devant les étudiants du Cesti, vous avez parlé d’une dette de votre génération envers la jeunesse africaine. Qu’en est-il exactement et comment faire pour s’en acquitter ?  
C’est simple : nous leur devons un présent et un futur, ces jeunes africains ! Il nous faut créer des opportunités dont ils ont besoin pour donner à notre continent un futur viable. Les jeunes n’ont pas eu la même opportunité que notre génération. Nous voyons des jeunes qui sortent de l’université avec des diplômés très élevés mais qui se retrouvent dans une société où il n’y a pas d’emplois et ne parviennent pas à se positionner. Il faut donc accélérer le processus de notre développement économique en faisant aussi que notre croissance soit plus inclusive tout en inspirant les jeunes à devenir eux-mêmes des créateurs d’emplois. Il importe en effet qu’ils ne soient pas là toujours à attendre qu’on les emploie mais qu'ils soient eux-mêmes de recruteurs d’autres jeunes, leurs amis par exemple. Les opportunités doivent être là pour eux et c’est à nous de les créer.
 
La question du genre est toujours d’actualité en Afrique. Comment faire pour que les femmes puissent jouer réellement leur rôle en Afrique ?
Je crois que les femmes africaines jouent déjà un rôle important. La plupart des progrès que nous avons réalisés en développement ont été portés par les femmes. Regarder les femmes d’affaires en Afrique de l’Ouest ou celles qui sont dans l’agriculture en Afrique de l’Est. Notre développement a résulté du travail que les femmes ont fait. Il nous faut les soutenir en nous assurant que ce qu’elles font trouvent une expression concrète dans notre société. Pour les produits qu’elles fabriquent, qu’elles puissent trouver des marchés en Afrique et hors de l’Afrique. Si cela se fait, elles vont contribuer davantage au développement économique du continent. La plupart d’entre elles ont des petites et moyennes entreprises ou de microfinance. Nous avons créé dans certaines parties du continent des mécanismes de microfinance. Nous avons aussi des cadres où nous faisons venir des femmes pour renforcer leurs capacités en vue d'ajouter de la valeur dans leurs activités. Nous avons atteint un niveau où dans certaines assemblées nationales et niveau de responsabilité il y a une parité entre hommes et femmes. Il nous faut continuer à faire du lobbying parce que nous n’avons pas encore atteint le niveau requis. Dans beaucoup de pays, il y a des niveaux de représentation des femmes de l’ordre de 20 % et pas encore la parité. Il nous faut continuer à travailler pour cela à travers l’éducation, le travail des femmes pour développer leur confiance en soi. Quand le président Barack Obama est venu au Kenya pour parler des femmes, il a dit qu’il ne peut pas savoir comment on peut gagner un match de football avec seulement la moitié de l’équipe. En Afrique, nous avons joué sans la moitié de l’équipe. Il nous faut désormais commencer à faire les choses proprement. Il ne s'agit pas d'une action qui se fait en un jour, c’est un processus à engager résolument... 
 
Qu’elle est la différence entre votre candidature et celles des autres ?
Chaque candidat pense qu’il est le meilleur pour l’emploi, pour assumer la Présidence de l'Union africaine. Je pense que je ferai un bon travail si je suis élue grâce à mon parcours, notamment au travail que j’ai accompli jusqu’à présent, y compris l’expérience que j’ai eue au gouvernement et dans les organisations internationales. Partout où j’ai travaillé, il y a des résultats et des percées concrets. J’ai une passion et un engagement par rapport à notre continent. J’ai aussi une énergie que je peux mettre sur cet emploi. Nous les candidats, nous sommes tous des Africains et méritants. Nous sommes tous qualifiés pour diriger la présidence de la commission de l’Union africaine. Que le meilleur gagne au nom de l'Afrique ! (Propos recueillis par Moussa Touré)
 
BIO EXPRESS
Diplômée en droit de l’université de Kiev en Ukraine, elle a ensuite poursuivi des études en relations internationales, à Oxford, en Grande Bretagne. Elle a fait sa carrière dans l’administration de son pays avant d’intégrer le système des Nations Unies, jusqu’à devenir Directrice Exécutive adjointe du Programme des Nations Unies pour l’environnement (Pnue).
 
Nombre de lectures : 461 fois

Nouveau commentaire :












Inscription à la newsletter