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Afrique du Sud : Pourquoi l'ANC a perdu sa majorité absolue ?

Vendredi 19 Juillet 2024

Diagne Fodé Roland
Diagne Fodé Roland

Les élections législatives sud-africaines ont confirmé que le Congrès National Africain (ANC) qui a été le fer de lance de la libération du pays de l’apartheid en 1993 et qui a depuis dominé la scène politique, est en plein déclin. L’électorat de l’ANC a chuté de 57,5 % lors des élections de 2019 à environ 40 %. 

 

Les jours heureux « d’un humain = une voix » de l’ANC s’acheminent vers la fin après avoir obtenu l’abolition de l’apartheid politique et l’égalité citoyenne formelle entre toutes les nationalités qui composent la « nation arc en ciel ». Ce compromis historique sud africain porté par le Communiste Nelson Mandela à la tête du front de toutes les classes sociales anti-apartheid a évité le bain de sang inter-ethnique blanc noir, la revanche des victimes noirs, indiens et métis du racisme systémique par le droit de vote, le dialogue national « vérité et justice » et la discrimination positive qui a favorisé l’émergence d’une classe bourgeoisie et « moyenne » noire, indienne et métis intégrée au capitalisme en position très souvent subalterne et dépendante de firmes monopolistes dans le secteur des mines (charbon, or, etc).

 

L’élimination physique, notamment par la CIA, des Communistes dirigeants du Parti Communiste Sud Africain (PCSA) membre de l’ANC comme Chris Hani son Secrétaire Général dirigeant de la Branche armée Umkhonto We Sizwe, ma camarade Dulcie September, représentante de l’ANC en France, etc et la marginalisation de Winnie Mandela ont été opérées pour imposer la mise à l’écart temporaire de la question centrale de la terre donc de l’abrogation de l’apartheid foncier.

 

A cet égard, Robert Mugabe avait fait un compromis équivalent au Zimbabwe lors des « accords de Lancaster House » par lesquels les parrains impérialistes anglais et étatsuniens avaient promis de subventionner la réforme agraire ré-installant progressivement sur les terres les paysans noirs expropriés par les colons fermiers blancs. C’est le non-respect de cet engagement des impérialistes qui a amené Mugabe à organiser souverainement la réappropriation sur la base de la « terre à ceux qui la travaillent » tant décriée par les médias impérialistes qui l’ont diabolisé.

 

D’une manière générale, le soutien électoral à l’ANC est aujourd’hui en déclin parce que justement sévissent l’apartheid économique et social sur le plan agricole, du chômage massif, de la misère sociale, de l’abandon des services sociaux, des services publics, de l’aggravation de l’exploitation, de la corruption éhontée et de l’explosion des profits patronaux des actionnaires milliardaires blancs, indiens, métis et noirs.

 

Les votes se sont dispatchés sur la DA (Alliance Démocratique) avec 21 % des voix qui est un parti libéral dominé par les Blancs et financé par le capital blanc, l’EFF les Combattants pour la liberté économique de Julius Malema issu du PCSA/ANC, parti révolutionnaire anti-apartheid socio-économique panafricain qui a recueilli un peu plus de 9 % des voix et MK, une scission dissidente de l’ANC de l’ex-président corrompu de l’ANC Jacob Zuma qui a surfé sur une vague de nationalisme zoulou pour recueillir 14,83 % des voix. Jacob Zuma viré en 2018 suite à ses fastes de la tête de l’ANC et du gouvernement a donc capté une partie du mécontentement populaire contre l’ANC et a donc une possibilité de monnayer une place avec la majorité en déclin de l’ANC.
 

Conformément à la préconisation des médias impérialistes, la nouvelle coalition au pouvoir a été concoctée entre l’ANC et la DA. Cet attelage trouve sa source dans le programme libéral partagé par l’ANC de l’ex-syndicaliste devenu milliardaire Ramaphosa et la DA qui a mis pour le moment sous le boisseau son opposition à la « discrimination positive » en faveur des noirs, indiens et métis à l’origine de l’émergence d’un patronat et d’une « classe moyenne » « arc en ciel » intégrés au capitalisme sud africain.

 

Toutefois, l’ANC est en opposition avec les impérialistes occidentaux Otano/US/UE. Le rôle actif de l’Afrique du Sud au sein des BRICS et son plaidoyer en faveur de la multipolarité et de la « dédollarisation », sa démarche audacieuse devant la CIJ contre le génocide perpétré par Israël à Gaza, sa proximité avec la Russie et la Chine, etc. vont devenir un enjeu dans le cadre des tractations politiques internes et pour les intérêts occidentaux dans la situation mondiale actuelle.

 

La « nation arc en ciel » va de plus en plus être confrontée à la montée en puissance de la lutte des classes révélée par les massacres d’ouvriers de Marikana sur fond de lutte contre l’apartheid socio-économique et foncier. La question de la terre que l’on retrouve derrière le vote des 14,83 % pour MK et les 9 % pour EFF va comme au Zimbabwe revenir au devant de la scène politique comme une ligne de partage entre réformisme et révolutionnaire, y compris au sein même de l’ANC/PCSA.

 

Zuma a convaincu 2,3 millions de Sud-Africains de voter en promettant de renforcer le pouvoir des chefs traditionnels, nationaliser les banques et exproprier les terres de l’apartheid foncier sans compensation.

 

L’EFF de Julius Malema se définit comme anti-impérialiste, panafricaniste, marxiste-léniniste et préconise de prendre les terres des fermiers blancs et de nationaliser les mines, les banques et d’autres secteurs stratégiques sans compensation. Il affirme que l’apartheid n’a pas pris fin en 1994 et que le règlement démocratique a laissé l’économie aux mains du « capital monopolistique blanc » ce qui résonne dans un pays où quatre adultes sur dix sont au chômage.

 

La période de l’ANC rassembleuse pionnière dans le renversement de la domination de la minorité blanche et de la fin de l’apartheid politique s’achève et cède peu à peu la place à la nécessité d’une alternative à l’apartheid socio-économique et foncier.

 

Le compromis historique, un moment nécessaire, qui fonde « la nation arc en ciel » commence à prendre fin. S’ouvre donc la nouvelle période de la libération sociale anti-impérialiste. Les monstres d’une ethnicisation du clair obscur gramscien doivent être battus pour que vive l’Afrique du sud débarrassée de l’apartheid socio-économique et terrien sur la voie de la libération nationale et l’émancipation sociale.

18/07/24 

Diagne Fodé Roland

 
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