Au sud du Sénégal, nichées dans le bassin fertile d’Anambé, les femmes de Djimini, un petit village proche de la commune de Vélingara, mènent une révolution agricole. Fondée en 2004 par Lamine Biaye, la ferme Biolopin a permis à ces femmes d’adopter des pratiques agricoles co-amicales et de prendre le contrôle de leurs moyens de subsistance.
Pour atteindre Djimini, situé à 130 km de Kolda, un départ anticipé est indispensable en raison du trafic imprévisible entre le village et Vélingara. Malgré des perturbations occasionnelles dues au débordement de la rivière, l’accès à la fin du mois de septembre depuis Vélingara demeure relativement facile.
Lamine Biaye s’est installée dans ce village à prédominance fulani, entouré de verdure luxuriante, pour promouvoir l’agroécologie. Grâce à ses efforts, les femmes locales sont devenues des pionnières de l’agroécologie dans la zone sud. Sous son mentorat, ces femmes démontrent comment l’agroécologie peut relever les défis climatiques tout en assurant leur indépendance financière. Ces initiatives favorisent les techniques qui enrichissent le sol, réduisent la dépendance aux intrants chimiques et soutiennent l’économie locale tout en améliorant la sécurité alimentaire du pays.
Croissance prometteuse et défis
L’agroécologie au Sénégal gagne du terrain avec plus de 104 initiatives communautaires et de la société civile depuis 2020, soutenues par un soutien politique important. Le gouvernement précédent (2012-2024) a intégré l’agroécologie dans le Plan Sénégal Émergent Vert, en insistant sur une agriculture durable.
Des projets concrets ont été lancés, comme celui de l’association SOL qui sensibilise les jeunes générations aux pratiques agroécologiques à travers son projet Biofermes Sénégal.
Cependant, le nouveau gouvernement dirigé par le président Bassirou Diomaye Faye élu en mars 2024 se concentre largement sur l’agriculture, l’environnement et la gestion des ressources naturelles dans son 'Cadre de référence 2050', sans initiatives agroécologiques spécifiques. Ces initiatives favorisent les techniques qui enrichissent le sol, réduisent la dépendance aux intrants chimiques et soutiennent l’économie locale tout en améliorant la sécurité alimentaire du pays.
Bien que les investissements publics dans l’agriculture aient augmenté, ils restent insuffisants pour répondre aux besoins croissants du pays. L’agriculture du Sénégal, à prédominance familiale et peu mécanisée, reste vulnérable au changement climatique et à la désertification. Le pays, qui est un pays pilote en agroécologie depuis 105 ans, doit poursuivre ses efforts pour réussir la transition vers des pratiques agricoles durables.
Depuis 2018, les investissements agricoles du Sénégal ont augmenté de plus de 30%, selon des rapports du ministère de l’Économie et de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD). Ceci s’inscrit dans le cadre du Plan Sénégal Émergent qui vise à donner la priorité aux pratiques agricoles durables pour renforcer la résilience climatique. L’agroécologie a reçu 15 % du financement public agricole en 2023, contre 5 % en 2018.Des initiatives comme le Programme de développement de l’agriculture écologique lancé avec la FAO en 2021 et doté de 10 milliards de francs CFA illustrent ce virage vers une agriculture durable.
Les femmes qui dirigent le changement
Au-delà des techniques agricoles, l’agroécologie est un outil d’émancipation des femmes. Les femmes sont traditionnellement reléguées à des rôles secondaires dans l’agriculture, même si elles fournissent la majeure partie du travail. Coumba Sidibé, président d’un des groupes de maraîchage de Djimini, est l’exemple de cette transformation. Autrefois dépendante de la culture du coton, avec sa récolte annuelle unique et ses ferterlisers chimiques coûteux et nocifs, Sidibe cultive diverses cultures tout au long de l’année, améliorant ainsi les revenus et la qualité de vie de sa famille.
Sidibe est fière de présenter le jardin du marché de son groupe, un hectare d’oignon, de patates douces, d’oignons et plus encore. ‘La plupart de leurs maris sont partis travailler dans les villes environnantes, ils doivent donc subvenir aux besoins de leur famille par eux-mêmes », explique Lamine Biaye.
En franchissant les portes du jardin que cultivent Coumba Sidibé et ses camarades, vous tombez sur une plante de coton qui a été déchirée et qui est morte à côté des plants d’oignons qui viennent d’être plantés pour servir de pépinières. Une rangée de plantes, où poussent le gombo, l’aubergine et l’oseille, est soigneusement désherbée. Ces pousses encore fragiles portent tout l’espoir de ces femmes, qui ont dû apprendre à tirer le meilleur parti de la terre d’une manière plus saine. "L’agroécologie ne nourrit pas seulement nos familles mais répond également à d’autres besoins par la vente", explique Sidibé.
Autonomisation économique par l’agroécologie
L’agroécologie a non seulement transformé les pratiques agricoles mais aussi renforcé l’autonomie financière des femmes de Djimini. Des revenus diversifiés stables soutiennent désormais leurs ménages, ce qui démontre l’impact économique plus large de l’agroécologie.
« Ce type d’agriculture nous soutient toute l’année. Nous pouvons cultiver tout au long de l’année, une partie de la récolte sert à nourrir nos familles et le reste est vendu, ce qui nous permet de répondre à d’autres besoins », explique-t-elle.
Cette transformation souligne le rôle de l’agroécologie dans l’autonomisation des femmes rurales, la préservation de la diversité et l’atténuation des défis climatiques. Le succès de Djimini illustre le potentiel de l’agroécologie pour favoriser l’égalité des sexes dans l’agriculture en intégrant les femmes aux initiatives de développement durable.
Pour Lamine Biaye, le succès de ces femmes est la preuve que l’agroécologie n’est pas seulement une solution aux problèmes environnementaux mais aussi un puissant levier pour autonomiser les femmes rurales. ‘Ce sont eux qui sont sur la ligne de front », dit-il.
En adoptant des pratiques respectueuses de l’environnement, ces femmes contribuent non seulement à préserver la biodiversité locale, mais elles apportent également une réponse concrète aux défis posés par le changement climatique.
Vers une agriculture résiliente et inclusive
Le succès des femmes de Djimini montre que l’agroécologie peut jouer un rôle crucial dans la lutte pour l’égalité des sexes dans le secteur agricole. Autrefois marginalisées dans la production et la gestion des ressources agricoles, ces femmes sont aujourd’hui au centre des initiatives de développement durable dans la région. L’histoire de Djimini est un exemple inspirant de la façon dont l’agroécologie peut être un moteur de changement positif pour les femmes rurales, leurs familles et leurs communautés.
Par Diomma DRAMÉ
Cet article a été réalisé par l’Africa Women’s Journalism Project (AWJP) avec le soutien du Centre International des Journalistes (ICFJ) dans le cadre de la Bourse Reportage pour les Journalistes Femmes en Afrique Francophone