Depuis 49 ans, la réalisation du Grand Maghreb est bloquée par l'absence de solution diplomatique concernant le Sahara occidental, une ancienne colonie espagnole désertique de 266 000 km2 qui se trouve entre la Mauritanie, le Maroc et l'Algérie. 75 000 âmes arabo-berbères y vivaient.
En dépit de la mobilisation internationale (Nations Unies, Europe, Espagne, États-Unis, Union Africaine, Ligue Arabe), aucune solution acceptable par tous n'a été encore trouvée pour cette terre riche en phosphates et dont la côte atlantique est généreuse en ressources halieutiques. La persistance de ce conflit représente un coût humain, moral et financier important pour le Peuple sahraoui, le Maroc, l'Algérie et la Communauté internationale.
Le monde ne peut laisser le Peuple sahraoui dans l'impasse. Les accords d'Abraham signés à la Washington en septembre 2020 sous l'administration Trump entre Israël et certains pays arabes comme les Émirats Arabes Unis et Bahreïn ont bousculé l'échiquier régional. En échange de l'établissement de relations diplomatiques entre Rabat et Tel-Aviv, les États-Unis se sont engagés à reconnaître la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Cette décision historique survenue en décembre 2020 a aggravé les tensions entre le Roi Mohamed VI et le Président Tebboune qui y voit un casus belli contre l'Algérie. De neutres, les États-Unis sont devenus les alliés inconditionnels du royaume chérifien au grand dam du voisin algérien dont l'allié traditionnel russe est resté étrangement silencieux.
Après cinq décennies de léthargie politique, le rodéo diplomatique a fini par s'accélérer au profit de Rabat. En décembre 2021, l'Allemagne puis l'Espagne en mars 2022, enfin Paris en juillet 2024 ont emboîté le pas à Washington en apportant leur soutien au plan d'autonomie du Sahara défendu par le Maroc. Cette accélération de l'Histoire a marginalisé d'autant plus Alger - figée dans sa position onusienne d'autodétermination - qui n'arrive plus à mettre à jour son logiciel géostratégique devenu caduc et inopérant à cause d'un personnel diplomatique formé dans années 1970, âge d'or de l'Algérie sur la scène internationale. En dehors du rappel de ses ambassadeurs, Alger ne suggère rien de nouveau comme alternative et complément au plan d'autonomie proposé par Rabat.
Deux référendums
En tant que spécialistes de la région et de chercheurs de paix, nous défendons la proposition politique suivante afin de trouver une solution diplomatique durable à ce conflit crisogène et une porte de sortie acceptable et honorable pour toutes les parties en présence. Il s'agit de l'organisation de deux référendums au Sahara occidental pendant la prochaine décennie, soit en 2026 et en 2036.
A l'évidence, ces référendums devront être organisés sous l'égide des Nations-unies, seul partenaire légitime en qui tous les protagonistes du conflit ont confiance.
Certains se demandent déjà pourquoi deux référendums sur une période aussi longue ?
L'histoire nous apprend que que toute architecture de résolution d'un conflit qui n'intègre pas une dimension évolutive dans le temps est vouée à l'échec. Seul le facteur temporel conjugué à la bonne foi des acteurs sont à même de diminuer l'impact négatif des ressentiments et des haines accumulés. Nous devons donc prendre soin de ne pas renouveler les erreurs tragiques du passé, notamment les drames qui ont suivi la plupart des indépendances consécutives à l'absence de stratégie progressive de décolonisation en Afrique ou en Asie.
Dans cet esprit, si cette idée est retenue par Rabat, Alger et les Représentants des Sahraouis, le premier référendum peut être envisagé dans les 24 mois à venir en 2026. Deux questions seront posées aux Sahraouis.
1) Oui ou Non, souhaitez-vous pendant 10 ans l'autonomie dans le cadre du Royaume du Maroc ?
2) Oui ou Non, souhaitez-vous pendant 10 ans une double Souveraineté de l'Algérie et du Maroc (Condominium) sur le Sahara occidental comme la principauté d'Andorre, gérée par la France et l'Espagne ?
Dans un souci d'équité, le vote de ceux dont la présence était avérée avant le décolonisation espagnole en 1976 comptera double par rapport à ceux qui se sont installés après.
La nouveauté de ce référendum tient à la deuxième question posée. Il s'agit de la proposition originale d'un Condominium algéro-marocain sur le Sahara occidental parrainé par les Nations-Unies. Le mérite de cette question est de crever l'abcès politique et de mettre fin au flou diplomatique qui entoure le rôle de l'Algérie en sa qualité de tuteur officieux du Front Polisario, seul représentant du peuple sahraoui, dont 24 États reconnaissent à ce jour la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD) qu'il a créée en février 1976.
Qu'est-ce qu'un Condominium ?
Un Condominium est un territoire sur lequel plusieurs États souverains exercent une souveraineté conjointe. La durée d'un Condominium est variable. Elle peut être courte comme pour le cas des Îles Samoa dans le Pacifique entre 1889 et 1899 (10 ans) entre les États-Unis, l'Allemagne et le Royaume-Uni. Moyenne, à l'exemple du Soudan qui a été administré entre 1899 et 1956 (57 ans) dans le cadre d'un Condominium anglo-égyptien. Ou longue, comme la Principauté d'Andorre, qui se trouve entre la France et l'Espagne. Depuis 1278 jusqu'à nos jours (846 ans), elle est sous l'autorité de deux co-princes qui sont l’Évêque d'Urgell et le Président de la République française.
Comparaison entre le plan d'autonomie du Sahara présenté par le Maroc et le Condominium Algéro-Marocain.
Depuis avril 2007, le Maroc a présenté un plan d'autonomie du Sahara dans le cadre de la souveraineté marocaine. C'est un très bon plan que nous approuvons à 100%. Cependant, le Polisario et l'Algérie s'y opposent car ce plan d'autonomie rejette le principe de l'autodétermination auquel ils sont fortement attachés depuis 1975.
La proposition du CONDOMINIUM Algéro-Marocain provisoire de 10 ans sur le Sahara à établir dès 2026 présente l'avantage indéniable de concilier intelligemment et progressivement les positions des trois parties en conflit tout en leur sauvant la face : le Maroc, le Polisario et l'Algérie.
Là où depuis 49 ans, leurs positions semblaient contradictoires, le Condominium réussit l'exploit de les rendre complémentaires pour leurs intérêts respectifs tout en diminuant drastiquement les dépenses militaires qui freinent considérablement le développement économique des cinq pays du Maghreb.
Au Maroc,
Le Condominium lui permet au moins pendant 10 ans de lui garantir une souveraineté de jure (légale) à la souveraineté de fait qu'il exerce illégalement depuis 1975 sur 80% du territoire sahraoui. Il favorisera la réouverture immédiate des frontières algéro-marocaines, vitale pour le développement des régions Est du Royaume chérifien.
Au Polisario,
Le Condominium lui donnera l'occasion d'expérimenter une cogestion autonome de 100% du territoire saharaoui sous la supervision du Maroc et de l'Algérie, alors que jusqu'à maintenant, il ne gérait que 20% de sa partie désertique.
A l'Algérie,
Le Condominium l'associe directement pendant 10 ans - bien que de façon provisoire - à la gestion du Sahara, à la stabilisation de la région, et au lancement de très importants projets économiques en partenariat avec le Maroc dans le cadre de la relance de l'Union maghrébine que 100 millions de Nord-africains attendent de leurs vœux depuis 68 ans.
D'ici 2036, au bout de 10 années de gestion commune et légale du territoire sahraoui, la résolution définitive du conflit ne sera plus un enjeu fondamental pour les trois parties concernées. Du statut de priorité régionale, le Sahara deviendra une problématique secondaire à laquelle chacun des protagonistes y trouvera son compte.
Rivalité algéro-marocaine
La Communauté internationale est consciente que l'absence d'entente entre l'Algérie et le Maroc depuis 49 ans est la raison principale du statu quo dans la région. Ces deux pays partagent pourtant les mêmes langues arabo-berbère, la même histoire et la même culture. La concertation entre l’Algérie et le Maroc, qui se disputent le leadership régional, contribuerait de façon décisive à une solution politique pérenne du conflit et à la prospérité de la région qui perd 2 points de PIB selon la Banque Mondiale à cause de cette mésentente.
Mais s'entendre suppose nécessairement un dialogue direct et sans tabous entre l'Algérie et le Maroc en abordant sans complexes les sujets qui fâchent et qui polluent leurs relations houleuses depuis la Marche verte de novembre 1975 orchestrée par le Roi Hassan II qui a mobilisé 350 000 Marocains en territoire sahraoui :
1) le trafic de drogue où le Maroc doit s'engager à contrôler drastiquement ses frontières
2) la contrebande aux frontières où le carburant Algérien est 6 fois moins cher que le carburant marocain à la pompe
3) les campagnes de dénigrement médiatique mutuel orchestrées quotidiennement dans les deux pays
4) la proclamation officielle de la reconnaissance définitive des frontières algéro-marocaine
5) la réouverture du gazoduc entre l'Algérie et le Maroc qui transporte le gaz algérien à destination de l'Europe du Sud. Il est fermé depuis le 31 octobre 2021
6) le rétablissement des relations diplomatiques gelées depuis le 24 août 2021
7) la réouverture des frontières terrestres (fermées depuis 1994) et aériennes (depuis septembre 2021)
8) les réparations pour les 350 000 Marocains expulsés d'Algérie et des 20 000 Algériens reconduits aux frontières en 1975.
Dans cette nouvelle perspective d'entente algéro-marocaine, le choix de l'autonomie ou du Condominium permettrait au Peuple sahraoui de ne plus être l'otage de ses deux voisins encombrants. Il pourrait envisager l'avenir avec sérénité et surtout prendre le temps nécessaire de réfléchir à l'option politique la plus avantageuse et la plus appropriée après cette période décennale. Les 600 000 réfugiés sahraouis pourraient en effet revenir s'installer au Sahara occidental et participer au développement de la région avec l'aide efficace et généreuse de la Communauté internationale.
Si la mise en place d'une autonomie régionale marocaine ou d'un Condominium algéro-marocain est approuvé démocratiquement et librement par le Peuple sahraoui, ce dernier devra au bout de 10 ans - soit en 2036 - s'exprimer à nouveau lors d'un prochain référendum portant cette fois-ci sur trois questions :
1) Oui ou Non, souhaitez-vous l'autonomie dans le cadre du Royaume du Maroc ?
2) Oui ou Non, souhaitez-vous une double souveraineté de l'Algérie et du Maroc (Condominium) sur le Sahara occidental ?
3) Oui ou Non, souhaitez-vous l'indépendance du Sahara occidental ?
La particularité de ce deuxième référendum est double. Tout d'abord, les Sahraouis devront se prononcer définitivement sur l'avenir politique de leur territoire en répondant à nouveau aux deux questions qui leur avaient été posées 10 ans plus tôt, mais sans la limite de temps fixée à 10 ans pour l'autonomie ou le condominium.
Enfin, la deuxième nouveauté de cette consultation démocratique est la présence d'une troisième question. Après une décennie d'expérience sous le régime d'autonomie ou de condominium algéro-marocain, les Sahraouis auront en plus la possibilité de voter pour l'indépendance ou pas du Sahara occidental.
La réponse souveraine qui obtiendra le plus grand nombre de suffrages, qu'il s'agisse de l'autonomie dans le cadre du Royaume du Maroc, du Condominium algéro-marocain ou de l'indépendance, clôturera une fois pour toute l'avenir politique du Sahara occidental et permettra de jeter les bases d'une stabilité régionale dans toute l'Afrique du Nord qui en a bien besoin. Une nouvelle ère pourra s'ouvrir alors au cœur de la Méditerranée, porteuse de paix et de prospérité en étroite collaboration avec l'Union européenne.
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Cécile Le Roux (diplômée de littérature romane à Stanford - San Francisco et de l'ESSEC à Paris).
Auteur d'un ouvrage à paraître : « Un papillon en terres d'Islam » (Éditions MJC, septembre 2025).
Rachid Nekkaz (diplômé d'Histoire à la Sorbonne)
Auteur : Avec les Chefs d'Etat du G7 - Clinton, Chirac, Blair, etc. - « Millenarium, quel avenir pour l'humanité ? » ( Ed. Robert Laffont, 2000) - et de « Ma lutte contre la dictature algérienne » (Ed. Max Milo, mars 2022)