Bientôt un an que le législateur fiscal a réajusté le droit à déduction de la TVA que les entreprises supportent à l’occasion des services rendus par des prestataires non établis au Sénégal (" TVA pour compte'') [1].
De façon schématique, ce recadrage consiste à limiter le droit à déduction de la TVA pour compte aux prestations de services qui comportent un ‘’transfert de savoir-faire’’ dont la loi laisse à l’autorité fiscale, à savoir le ministre des finances et du budget le soin d’en définir les contours.
Les modalités d’application de ce changement viennent d’être précisées par un arrêté [2] , lequel, il est important d’insister là-dessus programme une régularisation obligatoire au plus tard le 15 janvier 2022, des déductions opérées, le cas échéant, à tort.
A ce stade, on peut d’ores et déjà confirmer que les régularisations porteront potentiellement sur la TVA pour compte déduite au titre des fonctions de support rendues par des prestataires étrangers [3] intervenant généralement en tant que sièges et/ou mères de succursales ou filiales sénégalaises. A cette cible initiale, le nouveau dispositif du droit à déduction vise la TVA portant sur tous les services [4] rendus par tous les professionnels libéraux non installés au Sénégal ainsi les services récurrents et répétitifs.
En cette période de travaux de régularisation de l’exercice 2021, qu’il nous soit permis de revenir sur la situation avant et après le 1er janvier 2021 du visage’’ du droit à déduction de la TVA pour compte.
1). CONFIGURATION AVANT LE 1ER JANVIER 2021
La TVA pour compte n’était pas déductible si [5] le bénéficiaire de la rémunération, en l’occurrence le prestataire étranger n’était pas ‘’imposable’’ à un impôt sur le revenu au Sénégal’’ [6] .
En effet, le point f°) de l’article 383 indiquait clairement que « la TVA pour compte sur les prestations de services, n’était pas déductible quelle que soit la dénomination du service, lorsque le bénéficiaire de la rémunération n’est pas imposable à un impôt sur le revenu au Sénégal sur lesdites rémunérations ».
La situation était simple en l’absence d’une convention fiscale entre le Sénégal et le pays du prestataire étranger ; le versement de rémunérations de prestations de services par une entreprise sénégalaise déclenche automatiquement l’obligation d’acquitter la retenue à la source [7]. Ce faisant, la TVA pour compte était systémiquement déductible, en l’absence d’une convention fiscale.
La situation devenait moins simple lorsqu’il existe une convention fiscale entre le Sénégal et le pays du prestataire étranger.
Sous ce rapport, la résolution de la question du droit à déduction de la TVA pour compte impliquait la lecture, en dernier ressort, des stipulations conventionnelles applicables.
Donc, à chaque fois que la convention prévoyait une retenue à la source, hypothèse correspondant théoriquement aux rémunérations qualifiables de ‘’redevances’’ en fiscalité internationale, la TVA pour compte était déductible.
En raison de la complexité de l’analyse susmentionnée, les services opérationnels de l’Administration avaient développé une lecture pragmatique du droit à déduction de la TVA pour compte ; notamment lors de la revue des déclarations fiscales et des demandes de restitution de crédit TVA des assujettis : la TVA pour compte est déductible si une retenue à la source a été effectivement collectée sur les rémunérations payées ou payables.
Certes discutables dans ses fondements théoriques et légaux car le terme ‘’imposable’’ de l’ancienne rédaction de l’article 383 sous f°) laisse penser que la déduction peut être opérée alors même que la retenue n’a pas encore été effectivement acquittée ; en effet, dès lors que le revenu à percevoir par le prestataire étranger est potentiellement passible d’une imposition au Sénégal.
2). SITUATION A COMPTER DU 1er JANVIER 2021
Il ressort des dispositions de l’article 383 sous f°) nouveau que la TVA pour compte n’est pas déductible sur «les prestations de services, quelle que soit leur dénomination, lorsque le bénéficiaire de la rémunération n’est pas établi au Sénégal, à l’exception des prestations comportant un transfert de savoir-faire définies par arrêté du Ministre chargé des Finances ».
Une lecture littérale de la rédaction ci-dessus autoriserait à conclure que le curseur permettant d’apprécier la déductibilité de la TVA pour compte a été déplacé. Manifestement, la condition tenant à la taxation à l’impôt sur le revenu au Sénégal du bénéficiaire des rémunérations semble donc être abandonnée.
Donc, à chaque fois que le test de transfert de savoir-faire à est satisfait par le service rendu par le prestataire étranger, la loi admet le principe de déduction de la TVA pour compte ; l’imposition dudit prestataire au Sénégal à une retenue devenant plus obligatoire.
Devant le doute historique entourant le concept de transfert de savoir-faire, notamment en matière de retenue BNC, le législateur a ainsi laissé à l’autorité fiscale le soin d’en circonscrire le contenu.
S’il est admis que cette approche devrait permettre de dissiper les problèmes d’interprétation pratique de cette notion, il n’en demeure pas moins que le tableau proposé par la nouvelle circulaire innove ‘’peu’’ [8].
La définition de la notion de transfert savoir-faire retenue par la circulaire synthétise les définitions usuellement retenues en matière de retenues à la source [9].
La circulaire ne s’est pas arrêtée en si bon chemin. Et, fort heureusement.
En sus de définir la notion de transfert de savoir-faire ouvrant droit à déduction de la TVA pour compte du nouvel article 383 sous f°), la circulaire procède, par rajout à la loi, à un listing de prestations non constitutives de transfert de savoir-faire mais dont la déduction de la TVA pour compte serait admise, si l’impôt sur le revenu est acquitté au Sénégal.
Si l’on observe de près cette liste, aucune des prestations citées ne pourrait objectivement être classée ou classable comme emportant un transfert de ‘‘savoir-faire’’.
Autant dire que ce listing permet à l’administration de rattraper les inconséquences pratiques et non souhaitables de la loi.
Désormais, il est clair que les prestations supports de routine rendus par les sièges ou les mères étrangères ainsi que les prestations de professionnels libéraux et d’études, la TVA pour compte n’est plus déductible.
Au final, la circulaire procède à un retour en arrière par une synthèse des conditions de déduction de la TVA pour compte testées et expérimentées durant pratiquement les 20 dernières années :
1992 : la non déduction de la TVA pour compte sur les prestations d’assistance technique et les frais de sièges ;
2012 : la non déduction de la TVA pour compte sur les revenus non passibles de l’impôt sur le revenu au Sénégal ;
2021 : la non déduction de la TVA pour compte, à l’exception des prestations de transfert de savoir-faire.
FINALEMENT, TOUT ÇA POUR ÇA, DIRONS-NOUS !
Pourtant, nous n’étions pas d’emblée convaincus de l’opportunité de la réforme de 2021 sur ce point précis en raison de l’originalité pratique du dispositif sénégalais de déduction de TVA pour compte avant 2021. Nous nous sommes longtemps faits à nous- même l’objection que certains d’entre vous ne manquent probablement pas de concevoir : s’agissant des règles de déduction de TVA avec un effet direct sur la trésorerie, il y a un évident besoin de stabilité pour assurer la sécurité économique des entreprises, en cette période difficile.
Force est de constater que sous ce nouvel habillage, le dispositif de déduction tel que lifté par l’arrêté n’est pas à l’abri de la critique des contribuables ayant intérêt à agir, notamment sur le terrain du ‘’recours en excès de pouvoir’’.
En définitive, le nouveau dispositif devrait impacter le modèle opérationnel :
Des entreprises recevant traditionnellement de services de support de pays dont la convention fiscale prévoit systématiquement une retenue à la source. Les filiales et succursales du Maroc et du Portugal seraient concernées.
Les entreprises bénéficiant du service support de sièges et/ou mères installés, professionnels libéraux de pays non liés avec le Sénégal par une convention fiscale.
Une question demeure en suspens: les prestations constitutives de transfert de savoir-faire ouvraient-elles droit à déduction de la TVA pour compte même si aucune retenue à la source n’est applicable au Sénégal.
Nous ne serions pas choqués intellectuellement qu’une telle déduction soit admise. Quoi qu’il en soit, cette question recouperait les rares hypothèses suivantes :
** le bénéficiaire des prestations services au Sénégal relevant d’un régime fiscal dérogatoire au regard des retenues à la source au Sénégal
** la convention fiscale applicable prévoit sur toutes les prestations de services une retenue à la source de 0%.
Ousmane Niang,
Senior Partner, TaX africa LLP Dakar
De façon schématique, ce recadrage consiste à limiter le droit à déduction de la TVA pour compte aux prestations de services qui comportent un ‘’transfert de savoir-faire’’ dont la loi laisse à l’autorité fiscale, à savoir le ministre des finances et du budget le soin d’en définir les contours.
Les modalités d’application de ce changement viennent d’être précisées par un arrêté [2] , lequel, il est important d’insister là-dessus programme une régularisation obligatoire au plus tard le 15 janvier 2022, des déductions opérées, le cas échéant, à tort.
A ce stade, on peut d’ores et déjà confirmer que les régularisations porteront potentiellement sur la TVA pour compte déduite au titre des fonctions de support rendues par des prestataires étrangers [3] intervenant généralement en tant que sièges et/ou mères de succursales ou filiales sénégalaises. A cette cible initiale, le nouveau dispositif du droit à déduction vise la TVA portant sur tous les services [4] rendus par tous les professionnels libéraux non installés au Sénégal ainsi les services récurrents et répétitifs.
En cette période de travaux de régularisation de l’exercice 2021, qu’il nous soit permis de revenir sur la situation avant et après le 1er janvier 2021 du visage’’ du droit à déduction de la TVA pour compte.
1). CONFIGURATION AVANT LE 1ER JANVIER 2021
La TVA pour compte n’était pas déductible si [5] le bénéficiaire de la rémunération, en l’occurrence le prestataire étranger n’était pas ‘’imposable’’ à un impôt sur le revenu au Sénégal’’ [6] .
En effet, le point f°) de l’article 383 indiquait clairement que « la TVA pour compte sur les prestations de services, n’était pas déductible quelle que soit la dénomination du service, lorsque le bénéficiaire de la rémunération n’est pas imposable à un impôt sur le revenu au Sénégal sur lesdites rémunérations ».
La situation était simple en l’absence d’une convention fiscale entre le Sénégal et le pays du prestataire étranger ; le versement de rémunérations de prestations de services par une entreprise sénégalaise déclenche automatiquement l’obligation d’acquitter la retenue à la source [7]. Ce faisant, la TVA pour compte était systémiquement déductible, en l’absence d’une convention fiscale.
La situation devenait moins simple lorsqu’il existe une convention fiscale entre le Sénégal et le pays du prestataire étranger.
Sous ce rapport, la résolution de la question du droit à déduction de la TVA pour compte impliquait la lecture, en dernier ressort, des stipulations conventionnelles applicables.
Donc, à chaque fois que la convention prévoyait une retenue à la source, hypothèse correspondant théoriquement aux rémunérations qualifiables de ‘’redevances’’ en fiscalité internationale, la TVA pour compte était déductible.
En raison de la complexité de l’analyse susmentionnée, les services opérationnels de l’Administration avaient développé une lecture pragmatique du droit à déduction de la TVA pour compte ; notamment lors de la revue des déclarations fiscales et des demandes de restitution de crédit TVA des assujettis : la TVA pour compte est déductible si une retenue à la source a été effectivement collectée sur les rémunérations payées ou payables.
Certes discutables dans ses fondements théoriques et légaux car le terme ‘’imposable’’ de l’ancienne rédaction de l’article 383 sous f°) laisse penser que la déduction peut être opérée alors même que la retenue n’a pas encore été effectivement acquittée ; en effet, dès lors que le revenu à percevoir par le prestataire étranger est potentiellement passible d’une imposition au Sénégal.
2). SITUATION A COMPTER DU 1er JANVIER 2021
Il ressort des dispositions de l’article 383 sous f°) nouveau que la TVA pour compte n’est pas déductible sur «les prestations de services, quelle que soit leur dénomination, lorsque le bénéficiaire de la rémunération n’est pas établi au Sénégal, à l’exception des prestations comportant un transfert de savoir-faire définies par arrêté du Ministre chargé des Finances ».
Une lecture littérale de la rédaction ci-dessus autoriserait à conclure que le curseur permettant d’apprécier la déductibilité de la TVA pour compte a été déplacé. Manifestement, la condition tenant à la taxation à l’impôt sur le revenu au Sénégal du bénéficiaire des rémunérations semble donc être abandonnée.
Donc, à chaque fois que le test de transfert de savoir-faire à est satisfait par le service rendu par le prestataire étranger, la loi admet le principe de déduction de la TVA pour compte ; l’imposition dudit prestataire au Sénégal à une retenue devenant plus obligatoire.
Devant le doute historique entourant le concept de transfert de savoir-faire, notamment en matière de retenue BNC, le législateur a ainsi laissé à l’autorité fiscale le soin d’en circonscrire le contenu.
S’il est admis que cette approche devrait permettre de dissiper les problèmes d’interprétation pratique de cette notion, il n’en demeure pas moins que le tableau proposé par la nouvelle circulaire innove ‘’peu’’ [8].
La définition de la notion de transfert savoir-faire retenue par la circulaire synthétise les définitions usuellement retenues en matière de retenues à la source [9].
La circulaire ne s’est pas arrêtée en si bon chemin. Et, fort heureusement.
En sus de définir la notion de transfert de savoir-faire ouvrant droit à déduction de la TVA pour compte du nouvel article 383 sous f°), la circulaire procède, par rajout à la loi, à un listing de prestations non constitutives de transfert de savoir-faire mais dont la déduction de la TVA pour compte serait admise, si l’impôt sur le revenu est acquitté au Sénégal.
Si l’on observe de près cette liste, aucune des prestations citées ne pourrait objectivement être classée ou classable comme emportant un transfert de ‘‘savoir-faire’’.
Autant dire que ce listing permet à l’administration de rattraper les inconséquences pratiques et non souhaitables de la loi.
Désormais, il est clair que les prestations supports de routine rendus par les sièges ou les mères étrangères ainsi que les prestations de professionnels libéraux et d’études, la TVA pour compte n’est plus déductible.
Au final, la circulaire procède à un retour en arrière par une synthèse des conditions de déduction de la TVA pour compte testées et expérimentées durant pratiquement les 20 dernières années :
1992 : la non déduction de la TVA pour compte sur les prestations d’assistance technique et les frais de sièges ;
2012 : la non déduction de la TVA pour compte sur les revenus non passibles de l’impôt sur le revenu au Sénégal ;
2021 : la non déduction de la TVA pour compte, à l’exception des prestations de transfert de savoir-faire.
FINALEMENT, TOUT ÇA POUR ÇA, DIRONS-NOUS !
Pourtant, nous n’étions pas d’emblée convaincus de l’opportunité de la réforme de 2021 sur ce point précis en raison de l’originalité pratique du dispositif sénégalais de déduction de TVA pour compte avant 2021. Nous nous sommes longtemps faits à nous- même l’objection que certains d’entre vous ne manquent probablement pas de concevoir : s’agissant des règles de déduction de TVA avec un effet direct sur la trésorerie, il y a un évident besoin de stabilité pour assurer la sécurité économique des entreprises, en cette période difficile.
Force est de constater que sous ce nouvel habillage, le dispositif de déduction tel que lifté par l’arrêté n’est pas à l’abri de la critique des contribuables ayant intérêt à agir, notamment sur le terrain du ‘’recours en excès de pouvoir’’.
En définitive, le nouveau dispositif devrait impacter le modèle opérationnel :
Des entreprises recevant traditionnellement de services de support de pays dont la convention fiscale prévoit systématiquement une retenue à la source. Les filiales et succursales du Maroc et du Portugal seraient concernées.
Les entreprises bénéficiant du service support de sièges et/ou mères installés, professionnels libéraux de pays non liés avec le Sénégal par une convention fiscale.
Une question demeure en suspens: les prestations constitutives de transfert de savoir-faire ouvraient-elles droit à déduction de la TVA pour compte même si aucune retenue à la source n’est applicable au Sénégal.
Nous ne serions pas choqués intellectuellement qu’une telle déduction soit admise. Quoi qu’il en soit, cette question recouperait les rares hypothèses suivantes :
** le bénéficiaire des prestations services au Sénégal relevant d’un régime fiscal dérogatoire au regard des retenues à la source au Sénégal
** la convention fiscale applicable prévoit sur toutes les prestations de services une retenue à la source de 0%.
Ousmane Niang,
Senior Partner, TaX africa LLP Dakar
[1] Article 35 de la loi de finance pour 2021 portant modification de la loi 2012-31 portant Code général des impôts.
[2] Circulaire n°039532 du 02 décembre 2021 portant définition des prestations comportant un transfert de savoir-faire pour la déduction de la TVA.
[3] Frais d’assistance technique, frais de siège, dépenses de routines hors lise de la circulaire.
[4]] Assistance ponctuelle ou continue.
[5] Toutes les autres conditions de forme et forme prévues aux articles 374 aux Articles 385 du CGI étant remplies, par hypothèse.
[6] Retenue BNC ou Retenue IRC.
[7] Article 202 du CGI ‘’ Les sommes payées en rémunérations de toute nature fournies ou utilisées au Sénégal sont soumises à la retenue à la source’’.
[8] La notion de services répétitifs pourrait soulever des difficultés pratiques d’interprétation.
[9] Voir états de réponses 2012 à 2018.