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Autosuffisance en riz ratée en 2017 : Les raisons d’un échec prévisible malgré de gros moyens

Jeudi 26 Avril 2018

Décrétée pour la fin de l’année 2017 par le président de la république, l’autosuffisance en riz n’a pu être atteinte sur le terrain en dépit des moyens colossaux dégagés par l’Etat. La faute à un cocktail de facteurs - dont la publication de «fausses statistiques» - contre lesquels le gouvernement gagnerait à être ferme sous peine de retarder encore un objectif essentiel pour l’économie nationale.


Une histoire tragique vécue par un agriculteur du Delta du fleuve Sénégal au cours de la dernière campagne agricole. Après avoir préparé 25 hectares rizicoles avec de gros moyens financiers, il a assisté, impuissant à la destruction d’une grande partie de ses aménagements par des oiseaux migratoires et des insectes impitoyables. Au final, il n’a récolté que cinq (5) tonnes de riz sur des prévisions d’environ 230 tonnes. Heureusement, l’assurance agricole qu’il avait souscrite auprès d’une compagnie locale lui a permis de percevoir sept (7) millions de francs Cfa de dédommagement. C’est mieux que rien, s’est-il dit.
 
Ce témoignage recueilli d’un cadre du ministère de l’Agriculture et de l’Equipement rural met en relief la question de l’assurance agricole dans un secteur très conservateur où la culture du «Yalla baakh neu» brut (Dieu est Grand) sert encore de bouclier verbal à l’écrasante majorité des cultivateurs. Mais il est d’envergure moindre face à d’autres facteurs qui ont favorisé l’échec de l’objectif d’autosuffisance en riz décrété naguère pour la fin de l’année 2017, malgré la bonne volonté de l’Etat.
 
«C’est historique, les autorités ont vraiment dégagé des moyens colossaux», confesse un fonctionnaire-paysan qui a souhaité gardé l’anonymat. «Entre les subventions diverses, notamment sur les engrais, les machines agricoles mises à la disposition des paysans, la hausse des superficies cultivables, les efforts sont louables mais cela ne suffit pas», note l’interlocuteur. Les préalables restent en effet «incontournables».
 
Surfaces aménagées et professionnalisation de la filière
 
Si le gouvernement du Sénégal veut atteindre l’autosuffisance en riz, il faut une augmentation significative des superficies cultivables, sans quoi on n’avancera pas dans l’objectif, indique un expert du domaine qui exploite lui-même quelques dizaines d’hectares dans le Delta du fleuve Sénégal.
 
«Sur les 60 mille hectares déclarés avoir été aménagés, il y a 30 à 40% qui ne sont pas exploités», explique-t-il. «C’est le gros problème à résoudre en amont» de la politique initiée par l’Etat dans ce domaine. «Les efforts doivent être consolidés à ce niveau» d’autant plus que les 240 mille hectares de la rive gauche du fleuve Sénégal sont déjà une ressource primaire importante avec laquelle il est possible de faire de grands pas dans la production nationale de riz, en attendant l’autosuffisance.
 
«Mais si la disponibilité effective des terres n’est pas résolue, il sera difficile d’y arriver», avertit le fonctionnaire cité plus haut. En plus de cette difficulté pratique, un autre facteur constitue un frein potentiel à prendre en compte: «le barrage de Diama est certes d’une grande utilité, mais il ne garantit pas l‘eau toute l’année aux producteurs.»   
 
Les causes de la non-exploitation des surfaces aménagées sont à chercher dans la salinité des sols, malgré la présence du barrage anti-sel de Diama, et une topographie peu favorable, ajoute-t-il. Néanmoins, les productions sont sensiblement à la hausse avec des rendements à l’hectare de plus en pus importants.
 
Pour l’ingénieur agronome Ada Diack sollicité par «Tribune», aménager un très grand nombre de surfaces cultivables ne suffit pas à atteindre l’autosuffisance en riz, «il faut créer les conditions durables et soutenables pour les exploitations agricoles.» A cet effet, la réalisation en amont d’«aménagements hydro-agricoles de qualité dans le Nord et dans le Bassin de l’Anambé au Sud» est une priorité, en corrélation avec «une maîtrise totale de l’eau», dit ce consultant établi dans la vallée du fleuve Sénégal.
 
En aval, l’Etat et ses démembrements publics spécialisés sont dans l’obligation de «créer les conditions incitatrices pour l’intégration des acteurs privés dans la chaîne de valeur Riz» qui comprend le triptyque production-transformation-commercialisation. Dans l’intervalle entre amont et aval, plusieurs chantiers attendent: «mettre un accent particulier sur un développement endogène de la riziculture sous pluie sur les plateaux et sur les bas-fonds ; mettre en place une subvention maîtrisée; renforcer les capacités des producteurs et des chercheurs en vue d’une ‘vraie double culture’; et élaborer puis vulgariser des normes de qualité pour le riz local», propose le chercheur, à travers une énumération non exhaustive.      
 
Détournements d’objectifs
 
Si depuis plusieurs années le gouvernement sénégalais consacre d’importants moyens financiers à la riziculture dans la vallée du fleuve Sénégal et dans le Bassin de l’Anambé, l’efficacité des investissements interroge beaucoup de professionnels du milieu, mais aussi des chercheurs.
 
Un acteur très impliqué dans le processus de financement de la riziculture rapporte ainsi un procédé qu’il qualifie de «très récurrent» dès l’entame de la saison. «Il y a de vrais détournements d’objectif sur les semences, engrais et produits phytosanitaires, par exemple. La Cncas décaisse beaucoup d’argent pour financer ces intrants, mais un nombre considérables de paysans et producteurs, avec la complicité de leurs fournisseurs attitrés, n’investissent qu’une partie de ce financement dans la filière. Par exemple, au lieu de placer 130 kg de semence à l’hectare, ils n’en libèrent que 100. A l’arrivée, ils ne récoltent que 5 à 8 tonnes sur la même superficie contre un potentiel bien supérieur», explique notre interlocuteur.
 
«Ces pratiques fragilisent le secteur et éloignent des objectifs visés, dit-il avec un air de résignation. L’Etat et ses structures d’encadrement peuvent y mettre fin s’ils le veulent bien sinon ça va perdurer.» Dans le lot des «détourneurs», souffle un connaisseur du milieu en fonction dans un organisme dédié, un grand nombre de «paysans du dimanche», une armée de «marabouts aux bras assez longs» pour capter des financements non négligeables, une flopée de «recommandés» d’en haut de la pyramide, etc. Avec d’autres mots moins incendiaires, l’ingénieur agronome Ada Diack flétrit les «subventions incontrôlées» et les «détournements déguisés» qui installent un réflexe de la mauvaise qualité de services dans la filière rizicole.
 
Respect du calendrier cultural
 
Pour la plupart de nos interlocuteurs, respecter les échéances du calendrier de production rizicole est «une nécessité primordiale» pour tous les acteurs. «Si les services de l’Etat et les producteurs ne prêtent pas une attention soutenue à cela, les déboires vont continuer car le riz a ses exigences», souligne un fonctionnaire de l’Agriculture.
 
«La saison hivernale normale va de juin à novembre, mais entre le 15 juin et le 31 août de chaque année, il faut impérativement avoir terminé les semis. Au-delà, on entre dans la saison sèche alors que le riz aime la chaleur», explique un technicien qui a requis l’anonymat. L’étape suivante va de mi-février à mi-mars. «C’est une période de contre-saison chaude et si elle est dépassée, on risque d’entrer dans l’hivernage avec des risque de pertes de production du fait que le riz déteste les pluies», ajoute-t-il.
 
Matériel agricole
 
L’Etat a montré sa volonté de promouvoir la mécanisation du secteur en subventionnant le matériel. «Mais l’écrasante majorité des paysans-producteurs n’ont pas les moyens d’investir 80 à 90 millions de francs Cfa sur une moissonneuse-batteuse. Seuls les riches le peuvent avec une subvention publique qui peut atteindre 30% du montant de la machine», rappelle un acteur établi dans la Vallée du fleuve Sénégal. Toutefois, déplore-t-il, «il faut trouver une solution à la mauvaise qualité des machines agricoles venues d’Inde ou du Brésil, et le casse-tête des pièces de rechange qui s’en mêle.»
 
Aujourd’hui, l’Etat est certes toujours déterminé à parvenir à l’autosuffisance en riz, ainsi que l’a réaffirmé le président de la république. «J’engage le gouvernement à amplifier ses efforts pour faire de notre pays le grenier de l’Afrique de l’Ouest, et surtout en faire prochainement un pays exportateur de riz qui constitue un actif important de notre pays», a souligné Macky Sall lors d’une cérémonie de réception de matériel agricole d’une valeur de 32 milliards de francs Cfa. Des tracteurs, moissonneuses-batteuses, motopompes, engins pour le génie civil, etc. tirés de la coopération avec l’Inde.
 
«Maîtriser la production réelle»
 
«Prochainement», a pris soin de préciser le président Sall. Après le rendez-vous manqué de 2017, la prudence semble désormais de rigueur en ce qui concerne le délai à l’issue duquel l’autosuffisance deviendra une réalité.
 
Interrogé par «Tribune» sur cet objectif, Mbaye Sylla Khouma, ingénieur d’Agronomie tropicale, y voit au moins deux enjeux qui en justifient la pertinence. D’une part, «l’indépendance alimentaire est une question de souveraineté et de dignité», et d’autre part, elle constitue un frein positif contre la dégradation continue de notre balance commerciale.
 
«Nous avons ‘donné’ annuellement plus de 100 milliards de francs Cfa aux pays d’Asie. Si au cours de ces 50 dernières années, cet argent était resté dans notre monde rural, plusieurs milliers de milliards auraient pu être injectés dans nos compagnes avec la création d’un cercle vertueux dans lequel nos paysans n’auraient eu rien à envier aux urbains…»
 
«Prochainement», a donc indiqué le chef de l’Etat. Mais d’autres acteurs de la filière riz veulent être plus précis en ce qui concerne la date. Selon un des interlocuteurs cités plus haut, «l’objectif est sans atteignable, mais il ne le sera pas plutôt qu’en 2022 à condition que les correctifs nécessaires soient sérieusement apportés au fonctionnement du système. «Quand le président de la république avait fixé l’échéance à décembre 2017, beaucoup de techniciens et de chercheurs avaient fait part de leurs doutes en toute objectivité. La réalité leur a donné raison car les contraintes étaient loin d’avoir été levées: amenée d’eau, irrigation, pompage, tarif de l’électricité, matériel de qualité, en plus des errements de la Saed et du Pracas», explique un responsable ministériel ayant requis l’anonymat.   
 
Saliou Sarr, expert agricole et président d’honneur du Comité national interprofessionnel de la filière riz, soulignait il y a quelques années que tant que les pouvoirs publics ne tireront pas les leçons des échecs déjà récoltés, l’autosuffisance en riz resterait une chimère. Du reste, un constat unanime s’est dégagé des propos de toutes les sources que nous avons contactées, ce ne sont pas les statistiques en décalage avec la réalité des productions effectives qui pourront aider à parvenir au but visé. Ce que l’ingénieur agronome Ada Diack appelle avec pudeur «la non maîtrise de la production réelle».
 
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