Pour les magistrats instructeurs, une conviction s’est imposée : Black Tidings a fonctionné comme un compte-écran entre son propriétaire singapourien, Tan Tong Han, et Papa Massata Diack. Dans les documents bancaires de FinCEN consultés par ICIJ et Cenozo, Pamodzi Sports Consulting, à partir de son compte Société générale à Dakar, a fait le 25 mars 2014 un virement de 435 000 dollars (217 millions de francs CFA) sur un compte de Black Tidings aux Etats-Unis par l’entreprise de la Standard Chartered Bank de New York.
Selon le PNF, c’est un compte bancaire de Black Tidings identifié par FinCEN qui a été utilisé ensuite pour rembourser la marathonienne russe Lilya Shobukhova à hauteur de 300 mille euros (197 millions de francs CFA). Celle-ci, sous suspension de sa fédération, faisait partie des athlètes russes convaincus de dopage mais qui affirment avoir versé de l’argent en espèces pour échapper aux sanctions de l’IAAF.
D’après les investigations des magistrats instructeurs dont nous avons eu écho, c’est Valentin Balakhnichev en personne qui aurait remis par mail à Papa Massata Diack les coordonnées bancaires de Shobukhova afin que Tan Tong Han de Black Tidings fasse le virement de remboursement.
Devant le juge d’instruction sénégalais, Pape Massata Diack, dont l’avocat sénégalais Me Moussa Sarr n’a pas donné suite à notre demande d’entretien (voir capture d’écran), a réfuté les conclusions de l’enquête du PNF sur ce point. Pour lui, ses relations avec Black Tidings sont strictement d’ordre professionnel. En lieu et place d’un remboursement, ce sont des commissions et des prestations diverses qu’il a fait parvenir à Tan Tong Han via son compte bancaire professionnel.
Papa Massata Diack est considéré, à tort ou à raison, comme un bon client d’Elysées Shopping, une société à responsabilité limitée (Sarl) parisienne spécialisée dans la vente au détail d’articles d’horlogerie et de bijouterie de luxe. Selon les enquêteurs, il y aurait acheté des montres et articles de luxe à hauteur de 1,7 millions d’euros (environ 1 milliard 115 millions de francs CFA).
Le 18 novembre 2011, il y aurait acquis une montre Cartier Ballon Bleu coûtant 2 820 euros (1 million 850 mille francs CFA). Ce cadeau, « acheté 7 jours après le vote IAAF attribuant au Maroc l’organisation de la Coupe Continentale d’Athlétisme de 2014, aurait ensuite été offert à une nièce du Roi du Maroc », Mohamed VI.
Devant le juge d’instruction sénégalais, Pape Massata Diack a réfuté les conclusions de l’enquête du PNF sur ce point. Pour lui, ses relations avec Black Tidings sont strictement d’ordre professionnel. En lieu et place d’un remboursement, ce sont des commissions et des prestations diverses qu’il a fait parvenir à Tan Tong Han via son compte bancaire professionnel.
Des traces d’autres achats d’objets de luxe auraient été retrouvées à la bijouterie Aldebert sise au Palais des congrès de Paris pour une valeur de 753 917 euros (environ 495 millions de francs CFA) entre mars 2009 et avril 2012. Chez le joaillier Dubail, Diack fils se serait payé plusieurs objets de luxe : une bague en or valant 18 000 euros (environ 12 millions de francs CFA) le 6 mars 2011 et une montre Rolex de 21 715 euros 14 millions de francs CFA).
Les règlements de ces achats de luxe auraient été faits par débits du compte de Pamodzi Sports Consulting de la Société générale de banques à Dakar.
Pour les enquêteurs, ces achats pouvaient être des cadeaux destinés à « corrompre » des personnalités ayant aidé au succès des opérations menées par Papa Massata Diack.
A ce niveau, Papa Massata Diack revendique plutôt, à travers des documents fuités dans la presse sénégalaise, des « achats faits pour (son) compte personnel » et parfaitement à sa portée au regard des « revenus commerciaux et personnels » qu’il a engrangés « entre 2012 et 2015 ».
Aldis Global LLP
C’est une société britannique dont le propriétaire serait un Russe basé en Lettonie avec une adresse à Londres, Dmitry Kholomkin. Les documents dont nous disposons indiquent que Pamodzi Sports Marketing lui a versé 400 000 dollars (200 millions de francs CFA) le 23 janvier 2015. La somme, tirée du compte de la Société générale à Dakar pour créditer un compte de la Swedbank AS à Riga (capitale de la Lettonie), était destinée à régler des factures dont l’objet n’a pas été précisé dans les documents.
D’après un registre en ligne de compagnies que nous avons consulté, ALDIS GLOBAL LLP, société de type « Partenariat à responsabilité partagée », a été dissoute le 6 décembre 2016. Ses derniers comptes ont été arrêtés au 31 mars 2015.
Le groupe Aérospatiale THALES semblait être un actionnaire d’ALDIS GLOBAL LLP.
Sur le site de la Radio publique de Lettonie, Dmitry Kholomkin est présenté comme « le chef de l’AKNIIPO de la Russie », la société de recherche et de fabrication d’appareils radioélectriques dans le domaine de l’aérospatiale et à usage militaire. AKNIIPO est liée à l’entreprise publique russe ROSTEH, la holding d’Etat spécialisée dans le développement de produits industriels civils et militaires.
IN FINE - La volonté sénégalaise d’organiser un procès en question
Reclus à Dakar mais sous mandat d’arrêt international depuis le 16 décembre 2015, Papa Massata Diack n’a donc pas été entendu par les magistrats du PNF français, ni à Dakar ni à Paris, en dépit d’une commission rogatoire internationale (CRI) adressée aux autorités sénégalaises. Le Sénégal n’extradant pas ses ressortissants, selon une doctrine défendue par les autorités, l’ex-consultant marketing de l’IAAF a néanmoins été inculpé en novembre 2019 par Samba Sall, le Doyen des juges d’instruction du tribunal hors classe de Dakar, pour « association de malfaiteurs, blanchiment aggravé, corruption active et corruption passive. »
Dénonçant une enquête à charge et non contradictoire effectuée par l’Agence mondiale antidopage (AMA) à l’origine de l’affaire, Diack a également fustigé la violation du principe de la présomption d’innocence à son détriment et à celui de son père.
Tout au long de la procédure ouverte à Dakar, la ligne de défense adoptée par Papa Massata Diack ne semble pas avoir varié. Sur son rôle dans le financement des campagnes électorales sénégalaises de 2009 et 2012, sur les nombreux virements qui auraient été effectués par la VTB Bank dans des comptes bancaires liés à sa personne, sur ses nombreux voyages en Russie entre 2009 et 2013 (au moins une trentaine entre 2007 et 2013 selon nos sources), il s’est employé à apporter des réponses dont certaines auraient pris le contre-pied des déclarations de son père. Comme sur le financement présumé russe de campagnes politiques sénégalaises.
Intervenant en juin dernier sur une radio locale, le ministre sénégalais de la Justice, Me Malick Sall, avait tenté de rassurer sur les intentions du Sénégal dans ce dossier : « Ce que le juge français a demandé, le juge sénégalais l’a fait. L’enquête a été faite. Les rapports ont été transmis par les juges sénégalais aux juges français… (Papa Massata Diack) peut être jugé à Paris par défaut, mais les juges sénégalais aussi feront leur travail. »
En février 2016, l’homme d’affaires sénégalais, ancien agent marketing du football sénégalais, est entendu durant plusieurs heures par la Sûreté urbaine (SU), une des branches de la police sénégalaise. Cette audition faisait suite à l’ouverture d’une information judiciaire par le procureur de la République concernant une « affaire locale » en lien avec une commission rogatoire sur la même affaire instruite par le Parquet national financier de Paris.
C’est seulement en novembre 2019 qu’il fait face pour la première fois à un juge d’instruction sénégalais concernant ces deux dossiers. Trois ans d’immobilisme du côté sénégalais qui ont irrité les magistrats instructeurs du PNF selon qui les autorités sénégalaises ont fait preuve de mauvaise volonté en termes de coopération judiciaire. Depuis, la machine judiciaire sénégalaise voudrait agir en mettant en place les bases d’un futur et/ou hypothétique procès contre Papa Massata Diack. Une perspective qui semble assez peu populaire dans l’agenda immédiat des Sénégalais…
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