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Cedeao: La doctrine Jammeh!

Mardi 31 Janvier 2017

Par Adama Gaye (*)
Yaya Jammeh, le désormais déchu Président de la Gambie, a réussi à se placer sous les feux de la rampe en une semaine où le monde avait de multiples raisons de se détourner de ses ultimes hoquets. Comment-a-t-il pu le faire ? Surtout au moment où la planète était sollicitée par les lourds enjeux derrière la passation de service entre Barack Obama, le déjà ancien président des Etats-Unis d’Amérique, et Donald Trump, son successeur, lors de la cérémonie d’investiture, le 20 Janvier, de celui que tous s’accordent à dire qu’il va ajouter à la confusion régnante dans le monde du fait de ses penchants isolationnistes et de ses méthodes brusques, imprévisibles.

Certes, le Trumpisme, néo-Reaganisme du 21ème siècle, n’a pas eu le même impact que celui du Président cow-boy dont l’arrivée au pouvoir en janvier 1980 avait coïncidé avec la libération des otages américains longtemps détenus en Iran par les islamistes alors au sommet de leur révolution. La révolution Reaganienne était ensuite venue conforter le tsunami néolibéral déclenché un an plus tôt sur le monde par le Premier ministre britannique, Margareth Thatcher, étape décisive pour subjuguer l’alternative communiste, forcée à rendre les armes, au bout d’une coûteuse compétition idéologique.
 
En dépit de ses rodomontades, Trump est, lui, encore loin d’avoir eu une morsure sur le marché politique mondial. Que son investiture n’ait même pas pu reléguer en arrière-plan les postures loufoques du petit dictateur de Kanilaï en dit long sur le peu d’impact que les leaders actuels, comme le nouveau Chef de la Maison Blanche, ont sur la marche des affaires du monde. D’autres raisons auraient dû placer Jammeh en bas de pile des priorités du moment : la nécessité d’évaluer les deux mandats d’Obama, premier Président noir des USA, et l’analyse de ce que porte le premier qui commence pour son successeur, l’ouvertement raciste Trump.
 
Il y a aussi de quoi s’arrêter sur la tuerie terroriste de Gao (des dizaines de victimes), survenue au lendemain d’un sommet en mode ronron de la France-Afrique, preuve de l’inanité des acteurs politiques franco-africains, plus portés par leurs egos que par le souci de résoudre les vrais problèmes qui fracturent le Mali et l’ensemble de leur espace de coopération géopolitique.
 
Les revendications des militaires Ivoiriens peu impressionnés par les taux de croissance de leur pays salués avec emphase par les institutions internationales, Fmi en tête, n’ont même pas pu évincer cette Gambie des grands titres de l’actualité. A tel point que j’ai même dû me retrouver à en analyser les ressorts alors que je me trouvais la semaine dernière en Carinthie, sur les hauteurs enneigées de l’Autriche: la BBC service mondial, Aljazeera, Africa 24 ou encore Bbc radio 4 n’ont pas trouvé à redire que j’en fasse la recension de si loin.
 
Si le cas Gambien intéresse autant, c’est sans doute parce qu’il y a des raisons explicatives plus profondes de ce soudain intérêt vis-à-vis de ce petit pays Ouest africain d’à peine 10000 km2, enfoncé dans le Sénégal, et surtout symbole le plus patent des hérésies coloniales Occidentales d’il y a 150 ans. C’est que par la force du destin, un fou, un dictateur, un criminel, un autocrate s’est retrouvé comme le puissant vecteur pour la mutualisation des volontés des peuples et dirigeants africains pour se défaire de ce qui incarne, plus que tout, le mal d’une région pourtant travaillée par le terrorisme, la pauvreté et les divisions ethniques : la prévalence d’une gouvernance autocratique et erratique !
 
Par ses atermoiements et ses reniements, Jammeh a permis aux pays de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) de faire l’union sacrée pour mobiliser le Conseil de Sécurité de l’Organisation des nations-unies (ONU), instance chargée du maintien de la paix en vertu de sa Charte, mais aussi l’Union africaine, l’institution panafricaine qui porte le projet politique continental. Ce faisant, il a rendu un énorme service à une région qui semblait avoir perdu ses repères.
Par ses bêtises, Jammeh ne restera pas qu’une seule notice en bas de page des manuels d’histoire dans la catégorie des dictateurs criminels. Il y a en effet fort à parier qu’on retiendra plus tard que ses bourdes ont créé les conditions de la naissance d’une doctrine sur la démocratie et la gouvernance en Afrique de l’Ouest et sur l’ensemble du continent.
 
Rien ne sera plus comme avant puisque les manipulateurs d’élection et d’opinion y seront désormais soumis. Logique implacable : les peuples, a l’instar de celui de la Gambie, sont capacités par les nouveaux moyens d’information pour se rebiffer contre les autocrates, et la Cedeao, comme l’Union africaine, ne peuvent plus se permettre de laisser un autre trafiquant électoral sans le traquer…
 
On peut sous ce rapport se poser la question de savoir comment les louveteaux politiques revêtus du manteau démocratique, mais vrais adversaires des normes du pluralisme, vont se comporter demain quand ils devront passer par le test Jammeh. Beaucoup de dirigeants Ouest-africains si bavards pendant la chasse au faux-lion de Kanilaï auront-ils la décence de se plier à la démocratisation réactivée grâce à la lutte contre le fou du village ?
 
Depuis l’adoption, en 1992, d’une Déclaration de principes politiques urgeant les Etats membres de la CEDEAO à emprunter la voie de la démocratie, il a donc fallu un dictateur pour l’y installer. Enfin. Le spectacle commence après la chute de Jammeh : prenez vos popcorns!
(*) Journaliste & consultant
 
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