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Chronique d’Albert : Le silence de classe des intellectuels

Lundi 4 Novembre 2019

Chronique d’Albert : Le silence de classe des intellectuels
Les intellectuels africains et sénégalais ont occupé une place centrale dans l’histoire de la libération  et l’émancipation du continent africain. Ils ont contribué sous diverses formes  à la lutte de l’indépendance politique, à la revalorisation du potentiel scientifique, culturel et politique de l’Afrique et des peuples dominés. Six décennies après cette contribution énorme à l’accession à la souveraineté internationale du continent noir et du Sénégal, les intellectuels participent de moins en moins à la réflexion, aux mouvements sociaux et culturels, à la gouvernance politique et économique. Ils occupent désormais une place marginale dans la société contemporaine sénégalaise.Au mieux, ils sont des spécialistes conseillers de ceux qui gouvernent le monde.
 
L’absence brusque des intellectuels sénégalais dans les espaces médiatiques et politiques constitue un fait majeur de la société Sénégalaise post-coloniale. Elle a probablement pris une ampleur sans précédent, plus grande encore aujourd’hui. Les intellectuels ont brisé ce qui les distinguait des autres composantes de l’élite politique, économique, culturelle et religieuse.
 
La critique par la pensée, par la plume, par la parole, par la production de publications  scientifiques et par l’engagement permanent à changer l’injustice sociale dans le monde pour le mieux-être des populations et des citoyens devient épisodique, voire accidentelle. Ce phénomène de capitulation de la pensée critique et du changement social est quasi universel. Il se meut à travers le retrait massif des intellectuels du champ des bouleversements des idées et du progrès social et humain. Etre intellectuel ne signifie plus grand-chose dans la mémoire des citoyens.
 
Le mouvement du renoncement à la réflexion critique et à une participation aux transformations sociales est visible à travers les comportements collectifs et individuels des intellectuels sénégalais. Des pans entiers des intellectuels ont choisi de renoncer à la critique de l’ordre régnant et à toute forme active de participation au changement social et institutionnel. Le renoncement constitue fondamentalement un abandon des missions publiques des intellectuels.
 
La défaite de la composante intellectuelle de la société sénégalaise post-coloniale a conduit certains vers les détenteurs du pouvoir, des moyens financiers. Ils sont devenus des intellectuels au service de l’ordre régnant. Ils se sont reconvertis dans la gouvernance des affaires. D’autres ont choisi de rompre radicalement avec la politique en raison des traumatismes de l’échec des pouvoirs se réclamant de la révolution mondiale ou du panafricanisme. Ces intellectuels se sont repliés en douceur dans les espaces académiques ou ils ont choisi d’aller à l’étranger, dans les pays européens ou aux Etats-Unis, où la valeur de la pensée a encore une fonction valorisante.
 
Certains intellectuels tentent difficilement de résister, de préserver les héritages des  générations antérieures et à nourrir l’esprit critique dans la société sénégalaise contemporaine. C’est une poignée d’hommes et de femmes dans l’océan du renoncement. L’impact du discours critique reste de nos jours sans effet majeur dans la conduite de la société par les acteurs politiques. Le renoncement à la critique des intellectuels secrète évidemment des conséquences.
 
L’absence notoire des intellectuels du front des luttes politiques, sociales et culturelles est une des conséquences majeures de cet abandon de la mission critique des intellectuels. Les luttes sociales qui nourrissent  la pensée critique  ne sont plus un enjeu d’étude pour de nombreux intellectuels Sénégalais acquis à la cause des pouvoirs publics et du capital international. Que le Sénégal aille mal. Que les citoyens souffrent terriblement sous le poids de la crise. Que les acteurs politiques se transforment en des pilleurs des ressources naturelles du pays. Que le système éducatif et celui de la santé périclitent.  Que l’avenir incertain de la jeunesse se dessine à grand trait. Les intellectuels ne sont plus des porte- étendards de la lutte du peuple en souffrance.
 
Ce basculement de la posture des intellectuels explique la cassure profonde entre les intellectuels et le  peuple, d’une part,  et les réalités sénégalaises, d’autre part. Ils ne pensent plus au sort des travailleurs, des pauvres et des dominés d’une société toujours plus injuste, plus inégalitaire. La peur d’être davantage à la marge de l’exercice du pouvoir, des hautes sphères financières et politiques de la marche du monde, entretiendra longtemps le silence de classe des intellectuels.
Mamadou Sy Albert
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