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Confinement des 13 Sénégalais de Wuhan: Une Chine intransigeante impose sa loi

Lundi 10 Février 2020

La décision du président Macky Sall de ne pas rapatrier les étudiants sénégalais de Wuhan n’aurait rien à voir avec des «moyens» et de la «logistique» qui seraient hors de portée» de l’Etat sénégalais. Elle résulterait de l’intransigeance radicale de la Chine qui ne souhaite prendre aucun risque favorisant la dissémination du virus à travers une opération d’exfiltration.


« (Ses propos m’ont) brisé le cœur. Et je n'arrive toujours pas à croire que c'est lui qui a prononcé ce discours. (Pour nous) quel est l’intérêt d’être Sénégalais alors ?» Polytechnicien, Ibrahima Niang est l’un des 12 (ou 13) Sénégalais pris au piège du désastre sanitaire causé par l’irruption brutale du coronavirus à Wuhan, tristement célèbre épicentre d’une épidémie qui fait son meurtrier petit bonhomme de chemin, en Chine surtout. Dépité, cet étudiant s’insurgeait ainsi contre les propos du président Macky Sall sur l’incapacité du Sénégal à organiser le rapatriement de ses ressortissants bloqués à Wuhan.
 
Dans l’opinion publique et sur les réseaux sociaux, cette déclaration du chef de l’Etat a été diversement accueillie. Certains y voient la posture réaliste et pragmatique du président d’un pays en développement déjà confronté à des défis urgents au plan local et dont les moyens ne suffiraient pas pour monter une vraie opération d’exfiltration à plus de 10 mille km de ses frontières.
 
Proche de Macky Sall, le directeur général de la Radiotélévision nationale (RTS) approuve la méthode. «Le président de la République est un homme responsable. Il ne prendra jamais le risque de rapatrier les étudiants (sénégalais) aussi longtemps que notre pays ne réunira pas les conditions requises pour ce genre d’opération. (…) N’est-ce pas une bonne précaution que de les laisser là où on peut s’occuper d’eux», affirme Racine Talla. A sa suite, c’est l’ambassadeur de Chine qui est monté au créneau pour «rassurer les familles des étudiants». «Il n’est pas nécessaire de les rapatrier (car) il n’y a pas de péril contre eux
 
A rebours, de nombreux secteurs de l’opinion dont le collectif des parents des étudiants dénoncent une impuissance volontaire et un souci de se débarrasser à moindres frais d’un problème auquel d’autres pays africains ont décidé de faire face avec un peu plus d’imagination, en faisant appel à d’autres solutions que l’échappée solitaire. C’est le cas de la Tunisie, de la Libye et de la Mauritanie dont les ressortissants installés à Wuhan ont été rapatriés à bord d’un vol de la compagnie Air Algérie, sur demande express de leurs autorités respectives, selon la présidence algérienne. Le 3 février dernier, près de 170 Marocains avaient pu rentrer au bercail grâce à un vol spécial de la Royal Air Maroc (RAM) «sur instruction» du roi Mohammed 6. Même le Burkina Faso, actuellement dévasté par des hordes de brigands appelés jihadistes, y est parvenu. Et certains se demandent comment…
 
ZERO RISQUE
 
Le renoncement du président sénégalais est d’autant plus incompréhensible que certains se rappellent de l’efficacité et de la sérénité avec lesquelles les menaces du virus Ebola ont été neutralisées et détruites par les experts sénégalais au moment où cette maladie ravageait plusieurs centaines de morts dans certains d’Afrique de l’Ouest dont la Guinée frontalière. Incontestablement, la situation semble beaucoup plus complexe quand il s’agit de faire face, à partir d’un territoire étranger, à une épidémie inconnue des chercheurs et pour laquelle il n’existe pas encore de vaccin certifié comme c’était le cas avec Ebola. Mais cela n’empêche pas des questions sur ce qui apparaît comme une stratégie présidentielle bien calculée.
 
L’échange d’amabilités entre le président Macky Sall et le numéro un chinois Xi Jinping bien relayé dans la presse locale n’est pas passé inaperçu. Les Chinois sont très sensibles aux marques de soutien qui leur parviennent dans une situation pareille, à l’instar des Asiatiques d’ailleurs. Mais ici, des intérêts bien compris, prioritairement de type sanitaire, semblent prédominants. Et c’est l’ambassadeur de Chine à Dakar qui en défend le principe avec une intransigeance feutrée. Selon Zhang Xun, «Le gouvernement chinois est en train de tout faire pour sécuriser les populations de Wuhan.» Entre les lignes, on peut entrevoir la volonté de Beijing de ne prendre aucun risque d’évacuation des étudiants sénégalais qui aggraverait l’épidémie en touchant d’autres Chinois. Le président Macky Sall, briefé par les services diplomatiques sénégalais, a compris le message. D’où sa surprenante décision de laisser les Chinois s’occuper des étudiants confinés à Wuhan.
 
PROTEGER LE SOMMET CHINE-AFRIQUE 2021
 
D’autre part, il faut rappeler que c’est le Sénégal qui accueillera en (septembre) 2021 le Forum pour la coopération entre l’Afrique et la Chine (FOCAC). Par delà les relations bilatérales que Beijing entretient avec les Etats africains, le Focac est le rassemblement tri-annuel par excellence à travers lequel la Chine renouvelle et densifie ses engagements économiques et financiers envers le continent.
 
«Si Macky Sall veut préserver ses bons rapports avec la Chine en perspective du Focac, peut-il raisonnablement espérer entretenir des relations plus stratégiques avec la Chine que la Russie qui, elle-même, a évacué ses ressortissants», s’interroge un expert économique sénégalais qui a requis l’anonymat. La volonté de ne pas froisser des autorités chinoises déjà suffisamment préoccupées par la rapidité de dissémination mortelle du coronavirus aurait donc conduit le chef de l’Etat sénégalais à ne pas être trop exigeant envers cet allié qui lui est très précieux dans le cadre de sa politique économique nationale.
 
Pour ce haut cadre de l’administration sénégalaise depuis plusieurs décennies, il pourrait y voir eu chantage ou marchandage entre les deux exécutifs non seulement autour des risques sanitaires partagés mais aussi sur les conséquences politiques et diplomatiques pour le Sénégal à vouloir évacuer ses ressortissants de Wuhan. «Le désir de tenir le Focac à tout prix à Dakar vaut-il le sacrifice des fils du pays», s’interroge derechef notre interlocuteur qui fut naguère au cœur de l’économie nationale. A ses yeux, le mystère de la décision présidentielle de fermer toutes portes aux étudiants sénégalais de Wuhan comporte trop de mystères.
 
«Il sera difficile de faire croire que le Sénégal qui a traité et guéri le seul cas connu de fièvre Ebola ne peut mettre en cantonnement 12 étudiants a priori sains. Ce que la Mauritanie a réussi, y a-t-il une raison que notre pays ne le réussisse pas étant entendu qu’il peut solliciter l’aide logistique de la France, et à défaut celle de la Turquie dont une partie du territoire est en Asie», persiste-t-il. 
 
MAROC, ALGERIE, ETC.
 
La mise en relation brutale d’une partie de l’Afrique avec la tragédie de Wuhan est un révélateur du fossé géant qui sépare encore certains pays en termes de développement économique et social. En même temps, elle (re)pose l’éternelle problématique entre investissements «prioritaires» et investissements «secondaires» dans des environnements de pays dits pauvres où les ressources financières disponibles se contractent de plus en plus. Il n’est pas surprenant que le Maroc et l’Algérie, sans oublier la Tunisie, aient pu réussir le rapatriement de leurs ressortissants de Wuhan en quelques jours seulement.
 
Au plan de la technologie médicale, ils disposent d’une longueur d’avance sur le reste du continent africain à l’exception de l’Afrique du Sud et de quelques autres rares pays, ce qui leur a permis par ailleurs de développer un tourisme médical dont les principaux clients proviennent de l’Europe et du…Sénégal, par exemple. Justement, un pays comme le Sénégal peut-il investir près de 1500 milliards de francs Cfa dans un train express régional (TER), un système BRT (Bus Rapid Transit), un stade olympique et une arène nationale de lutte alors que le secteur de la santé est un objet quotidien d’inquiétude pour des millions de citoyens ?
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