En tant que patriote, démocrate, panafricain, internationaliste et communiste sénégalais, la plus vieille rébellion indépendantiste interne aux États post-indépendants en Afrique est une douloureuse épreuve pour notre peuple dans le processus d’édification de l’État-nation hérité de la décolonisation néocoloniale françafricaine et eurafricaine.
La balkanisation de l’Afrique détruisant et interrompant par la conquête militaire le processus endogène de la construction de nations a marqué le capitalisme importé par la colonisation qui a succédé à la traite et à l’esclavage transatlantique dont l’échine prédatrice a été historiquement brisée par l’héroïque révolution indépendantiste et abolitionniste de l’esclavage de Haïti (Ayiti) au XIXéme siècle. L’Afrique a été ainsi arrimée dans le dernier wagon de l’histoire de la naissance du capitalisme en Europe puis son passage à son stade suprême l’impérialisme.
Pour coloniser, l’impérialisme a rassemblé ces conquêtes territoriales dans de grands ensembles « panafricains » comme l’AOF et l’AEF. Pour continuer de régner sur l’Afrique, le même impérialisme a ensuite divisé ces grands ensembles territoriaux en États-nations néocoloniaux indépendants.
La bourgeoisie et la petite bourgeoisie compradores y ont vu un intérêt de classe en prônant « l’intangibilité des frontières issues de la colonisation » contre le projet panafricain d’un « État, un gouvernement, un parlement, une armée du continent africain ».
L’actuelle seconde phase de libération nationale panafricaine doit remédier à la défaite du projet panafricain de la première phase libératrice de nos prédécesseurs et aller résolument vers « l’union libre des peuples libres » d’Afrique comme l’avaient proposés les communistes Lamine Arfan Senghor et Tiémokho Garang Kouyaté.
Par où commencer à partir de notre Sénégal souverain cette marche vers l’État fédéral africain ?
Le néocolonialisme et la question casamançaise
Le projet du RDA (Rassemblement Démocratique Africain) de l’indépendance dans l’unité de l’AOF/AEF a été saboté à la fois par l’Ivoirien Houphouët-Boigny rallié à la social-démocratie colonialiste puis au gaullisme néocolonialiste et par les Sénégalais Lamine Gueye, L.S. Senghor et Mamadou Dia, tous socialistes absents au congrès de Bamako en 1946, avant qu’ils ne deviennent les fossoyeurs de la Fédération du Mali pour lui substituer l’État néocolonial du Sénégal.
Mais étaient présents à Bamako au congrès fondateur du RDA en octobre 1946 les fondateurs de l’Union des Populations du Cameroun (UPC) et le fondateur, Victor S. Diatta, du Mouvement des Forces Démocratiques de Casamance (MFDC) né à Sédhiou le 4 mars 1947 comme une de ses sections territoriales. Le MFDC est donc né quasiment une année avant la fondation en 1948 du premier parti néocolonial sénégalais, le BDS de L.S. Senghor et de Mamadou Dia, après leur scission avec le parti colonial social-démocrate SFIO de Lamine Gueye.
Victor S. Diatta est décédé dans des circonstances non élucidées en 1948. Force est donc de constater que le passage du MFDC au Mouvement Autonomiste de Casamance (MAC) et son intégration dans le BDS puis l’UPS et le PS se sont opérés dans la période des années 50 à 1960 dans des circonstances non éclaircies jusque de nos jours.
La marche pacifique de décembre 1982 d’une foule d’hommes et de femmes de Casamance remplaçant notre drapeau national au nom de « l’indépendance de la Casamance » a donc été une conséquence des non-dits de l’histoire cachée du passage de notre pays du colonialisme au néocolonialisme que suggèrent les propos étonnants de L.S. Senghor lors des élections de 1978 à Sédhiou selon lesquels « si vous voulez la libération de la Casamance, votez PS ».
Les gouvernements néocoloniaux successifs de Senghor/Abdou Diouf du PS, de A. Wade du PDS et de Macky Sall de l’APR/BBY se sont évertués à exercer la solution militaire doublée de l’infestation de l’argent de la corruption sans jamais éteindre la rébellion politico-militaire en Casamance.
Le tout répressif et la militarisation contre des rebelles retranchés dans la forêt casamançaise n’ont cessé de mettre de l’huile sur le feu sans régler quoi que ce soit des fléaux que sont le silence coupable sur ce qui s’est vraiment passé entre le MFDC et le PS, les spoliations foncières, la tragédie meurtrière du bateau le Joola, les bombardements successifs, les morts de civils et de militaires, l’exil des populations, les mandats d’arrêts contre les dirigeants politico-militaires du MFDC, les arrestations, les emprisonnements, y compris d’écrivain journaliste casamançais, les accusations farfelues de « rebelle » visant le premier leader sénégalais souverainiste d’opposition d’origine casamançaise, les embargos et autres répressions ethniquement ciblées, etc. Ces politiques répressives sont les marques inhérentes à l’État bourgeois françafricain. La politique néocoloniale se révèle en réalité comme une prolongation négrifiée du système colonial.
L’externalisation de la solution militaire a été un échec en Gambie avec la défunte « Confédération Sénégambienne » imposée qui a duré de 1981 à 1989, puis avec à la fin des années 90 l’intervention militaire en Guinée Bissau et récemment sous couvert de la CEDEAO en Gambie.
L’édification d’une nation ne peut être exclusivement un attribut de la force, ni être attribuée dans la durée à l’armée, ni à l’argent corrupteur, mais doit être éminemment une stratégie souveraine consécutive à l’objectif de la décolonisation politique, économique, culturelle et historique. La nation et l’État multinational résultent de la lutte de libération nationale contre l’oppression impérialiste.
Toutes ces politiques apatrides néocoloniales répressives sont anti-nationales et ne font qu’aggraver le sentiment anti-national que « les Casamançais sont des Sénégalais entièrement à part » au lieu d’être « des Sénégalais à part entière ».
Le souverainisme anti-impérialiste et la question casamançaise
L’avènement du nouveau pouvoir souverainiste issu de la rébellion de la jeunesse contre la mal-gouvernance néocoloniale libérale et le pillage impérialiste de nos richesses nationales est une opportunité pour chercher et trouver une solution souveraine politique, démocratique à cette douloureuse division néocoloniale à partir du double principe suivant : le droit au divorce n’est pas automatiquement et forcément synonyme de l’obligation de divorcer. Si tout mariage comporte le droit au divorce à respecter, la prise en compte de la contradiction principale qu’est l’émancipation anti-impérialiste de l’Afrique est une équation posée et à résoudre par les deux parties. Ainsi le droit à l’autodétermination, à la séparation légitime doit être compatible avec l’objectif tout aussi légitime de l’union libre des peuples libres d’Afrique.
Notre Sénégal en marche vers la souveraineté nationale anti-néocoloniale doit rompre avec les politiques exclusivement répressives néocoloniales françafricaines sur la question casamançaise.
La « rupture et la transformation systémique » contre le néocolonialisme doivent s’exercer par le renvoi à terme des bases militaires française, états-unienne, la fin des diktats libéraux du FMI/Banque Mondiale, du franc colonial CFA, des « accords de coopération » léonins françafricains, des APE, d’une diplomatie servile françafricaine, mais aussi par le traitement politique souverain démocratique et panafricain de « la crise casamançaise ».
Rappelons que le MFDC originel après le congrès de Bamako du RDA est né sur une orientation panafricaine. Notre nouveau pouvoir souverainiste proclame aussi son option panafricaine.
Tenant compte du lien historique, démographique, culturel entre les populations de la Casamance, de la Guinée Bissau et de la Gambie, il y a donc là une opportunité pour opérer une démarche vers l’État fédéral africain par cercle concentrique de proximité à laquelle notre État souverainiste peut et doit associer le MFDC.
Dans cette optique, nous proposons :
- l’annulation de tous les mandats d’arrêts visant les dirigeants politico-militaires du MFDC;
- la libération de tous les prisonniers politiques membres ou non du MFDC;
- l’enseignement dans nos programmes scolaires de l’histoire résistante anti-colonialiste de la Casamance et de ses héros, notamment l’héroïne Aline Sitowe Diatta;
- l’ouverture d’un dialogue participatif démocratique avec le MFDC dans cette optique panafricaine;
- ce dialogue avec le MFDC doit être un premier pas suivi du dialogue commun avec la Gambie et la Guinée Bissau et ensuite avec l’AES, étapes dans la longue marche vers l’État Fédéral Démocratique Africain.
16/11/24
Diagne Fodé Roland