On ne saura jamais en quelle occasion - et sous quel prétexte - Bassirou Diomaye Faye, investi le 2 avril 2024, se serait rendu en France si le Forum mondial pour l’innovation et la souveraineté vaccinales n’existait pas ou ne devait pas se tenir à Paris en juin 2024 ! Il aura fallu attendre près de 80 jours pour voir le 5e président sénégalais franchir les portes de l’Élysée et faire face pour la première fois à Emmanuel Macron. Depuis son arrivée au pouvoir, le plus jeune chef d’Etat de l’histoire du Sénégal a multiplié les déplacements en Afrique de l’Ouest pour asseoir les nouvelles orientations et priorités d’une diplomatie qui se veut souveraine et panafricaniste, loin de la tutelle naturelle et (souvent) paternaliste classique qu’incarn(e)ait l’ancienne puissance coloniale. Laisser un temps la France sur le bord de la route, la faire attendre et languir, la mettre sur les nerfs…jusqu’à pousser son ambassadrice à Dakar à demander et obtenir une audience avec le premier ministre sénégalais. Quelque chose semble être passée de mode dans l’historique relation franco-sénégalaise !
Bassirou Diomaye Faye et Emmanuel Macron ont donc tenu leur premier entretien en tête à tête à Paris par le truchement d’un déjeuner. Le chef de l’Etat sénégalais s’y est rendu en arborant une ostensible tenue sénégalaise (et accessoirement africaine) qui le différenciait nettement du strict costume-trois pièces de son hôte. Si rien de (journalistiquement) croustillant n’a filtré des discussions, le communiqué conjoint publié par la présidence sénégalaise est un aveu de taille sur la gravité du contentieux politique qui a opposé le pouvoir politique français à l’opposition radicale sénégalaise au cours des quatre dernières années. Il porte en lui, à travers les mots choisis, toute la colère des autorités sénégalaises contre le parti-pris de la France sous l'ancien régime, mais aussi les conditions dans lesquelles ce nouveau partenariat envisagé devra s'inscrire.
En effet, Si Faye et Macron ont fait état d’une « volonté commune de donner une nouvelle impulsion » aux relations entre la France et le Sénégal, c’est qu’ils auront revisité ou constaté le gros désastre politique et humain qu’a représenté le soutien aveugle de Paris aux vagues intempestives de répression du régime de Macky Sall contre la mouvance Pastef d’Ousmane Sonko et qui s’est soldé par plusieurs dizaines de personnes tuées. La France tenait coûte que coûte à rester le parrain d’une autocratie violente et corrompue qui, elle, se voyait encore au pouvoir en 2035. Une alliance despotique et réactionnaire balayée par l’ouragan populaire et démocratique du 24 mars 2024.
Pour la première fois depuis l’arrivée de Bassirou Diomaye Faye au pouvoir, la France semble faire son mea culpa officiel en reconnaissant de manière tout a fait diplomatique sa part de responsabilité dans les événements sanglants survenus au Sénégal entre 2021 et 2024 et qu’elle pouvait prévenir au vu des moyens de pression dont elle disposait contre Macky Sall. L’impulsion nouvelle évoquée par les deux présidents, sous-tendue par les principes de « respect mutuel » et de « partenariat équilibré au service des intérêts réciproques des deux peuples », remet à zéro le compteur des turbulences et convergences entre les deux pays. Le président français a dû écouter les griefs de son homologue sénégalais et, surtout, entendre ce qu’est une diplomatie souveraine vue de Dakar : pas d'ingérence, pas de paternalisme, respect des choix du peuple exprimés par suffrage universel direct... Après, ce qui pourrait être discuté le serait en bonne intelligence.
Emmanuel Macron et ses services ont joué et perdu certes, mais la realpolitik va finir par s’imposer à tous, même au souverainiste Bassirou Diomaye Faye. Tant mieux pour tout le monde ?