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France "Quatre services de sécurité connaissaient les fournisseurs d’armes de Coulibaly"

Lundi 27 Juin 2016

« Tiens tant que j’y pense, est-ce que tu pourrais demander à Pierre, s’il peut, de regarder si je ne suis pas recherché en France stp ? »


En juin 2015, via cet échange sur messagerie, Antoine Denevi, 27 ans, ancien hooligan, ex-responsable pour le Nord-Pas-de-Calais de l’organisation dissoute Troisième voie, cherchait à savoir s’il était à l’abri. Il s’était installé à Malaga, en Espagne, après avoir dénoncé à la police les activités d’un réseau de vente d’armes remilitarisées auquel il appartenait. Ce réseau avait, sans le savoir, armé Amedy Coulibaly fin 2014. « T’as des soucis ? » lui demande-t-on en réponse. « Bah normalement je suis passé entre les mailles du filet mais je préfère être sûr », répond-il.
 
Après être resté près d’un an en Espagne, Antoine Denevi a été interpellé le 13 avril à Malaga par des policiers français et espagnols. Remis à la France, il a été mis en examen et incarcéré à Lille le 27 avril. Il a donc rejoint en prison l’ancien militaire français Claude Hermant, incarcéré en janvier 2015, deux semaines après l’attaque de l’HyperCacher de la Porte de Vincennes.

La mise en cause des deux hommes accable désormais les services de sécurité français. En effet, Claude Hermant a révélé, dès son arrestation, avoir été un informateur immatriculé de la Section de recherche (SR) de la gendarmerie et de la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED). Et avoir ainsi infiltré certains réseaux criminels pour le compte de ces services en leur « injectant » des armes. Quant à Antoine Denevi, il a informé la police judiciaire lilloise lors de deux dépositions, les 24 juin et 30 juillet 2014, de l’importation et de la remilitarisation d’armes slovaques, obtenues par Claude Hermant auprès de la société slovaque AFG, et des contacts d’Hermant « avec des gendarmes et des policiers ». Cinq mois avant les attentats.

À la suite de la première déposition de l’ancien hooligan, des planques ont permis à la PJ, dès juillet 2014, de prendre en photo et d’identifier les acheteurs d’armes de ce réseau. Mais un quatrième service de sécurité – outre la gendarmerie, les douanes et la PJ –, la DCRI, était aussi au fait de l’activité du réseau. En mars 2014, la Direction zonale du renseignement intérieur (DZRI) a en effet indiqué à la PJ disposer d’informations faisant état de « l’implication » de Claude Hermant « dans la revente d’armes à feu sur la région Nord-Pas-de-Calais » à partir d’un local utilisé « pour la remise en service d’armes démilitarisées ».
Comme Mediapart l’a déjà souligné (ici et ), la justice ne s’est décidée à agir qu’après les attentats – et l’identification des armes utilisées par Coulibaly. Claude Hermant a été interpellé quinze jours après l’attaque de Charlie Hebdo et de l’HyperCacher, mais la justice antiterroriste a encore attendu onze mois pour faire officiellement le lien et interroger le Lillois, en décembre 2015. 
 
Chef du groupuscule Troisième voie pour le Nord-Pas-de-Calais, Antoine Denevi rendait compte par mail de ses activités militantes à son chef, Serge Ayoub, jusqu’à la dissolution du mouvement, à la suite de la mort de Clément Méric, en 2013. Il avait rencontré Hermant, créateur et animateur de la Vlaams Huis (VH, la Maison flamande), lieu de rendez-vous de l’extrême droite identitaire lilloise, avant d’être brièvement employé par ce dernier dans une friterie.

En juin 2014, Denevi explique aux policiers qu’Hermant lui a promis qu’il pourrait être payé grâce aux ventes d’armes qu’il ferait. Il dénonce ses contacts avec le trafiquant belge Christian Halluent qui a fait l’acquisition chez AFG de 174 armes entre juillet 2013 et mai 2014 – parmi lesquelles l’un des fusils d’assaut qui sera utilisé par Amedy Coulibaly. Il livre aussi le nom d’un des plus importants clients du réseau, Samir L., qu’Hermant avait ciblé de même qu’Halluent, en accord avec les gendarmes. Il identifie aussi Samir sur une planche photo : « C’est quelqu’un de très prudent, il est calme, il a du sang-froid. Physiquement, il change souvent d’aspect, je ne lui connais pas de voiture », relate Denevi.
À la question : « Est-ce que Claude est protégé ? », Denevi répond qu’il sait « qu’il a des contacts avec des gendarmes, des policiers de la sûreté urbaine, des douaniers ». « Claude a l’habitude de filmer tous ses rendez-vous, et il conserve ces enregistrements à toutes fins utiles », assure-t-il. Un enregistrement audio d’une réunion avec le douanier Sébastien Lemaire a d’ailleurs été retrouvé
 
Mais depuis, Antoine Denevi est apparu lui-même comme un protagoniste du trafic, en contact avec Samir L. et Christian Halluent. Plusieurs armes remilitarisées, achetées à la firme slovaque AFG par un hooligan dont il est proche, Nicolas B., ont été découvertes lors d’une perquisition, puis lors d’une rixe. Placé en garde à vue, Nicolas B. a avoué qu’il avait commandé une quinzaine d’armes pour un tiers, et l’enquête fait apparaître ses échanges avec Denevi. L’ancien hooligan aurait aussi lui-même commandé des armes chez AFG sous la fausse identité de « Nicolas Sarkozette » (sic), sans émouvoir le moins du monde la firme slovaque.

Selon des correspondances par messagerie versées au dossier d’instruction lillois, l’ancien hooligan se vante d’avoir joué un mauvais tour à Claude Hermant : « C’est l’arroseur arrosé », « on a appliqué ses règles », s’amuse Denevi, qui s’inquiète des représailles. « Quand je remonte, je passe même pas par Lille, vu ce que tout le monde doit penser de moi, confie-t-il. J’ai jamais osé reprendre contact avec personne… On doit penser que je suis une salope… » Mais Claude Hermant « ne bougera pas » avant le procès, tente de le rassurer un ami, « trop risqué pour lui ».

« Puis, faut pas croire, il est seul, approuve Denevi. Y’a pas d’armée avec lui. » « Non, c’est sûr, opine son ami. Après, t’as pas besoin d’une armée pour bouger. Mais bon, […] à part peut-être des extérieurs que je ne connais pas, y’a rien de sérieux. » « C’est clair, mais en cas de soucis, je pense qu’on est aussi capable d’avoir du lourd », certifie Antoine Denevi. L’ancien hooligan assure aussi que l’affaire aura « servi de leçon à tout le monde ». « Je ne le referais pas, perso », lâche-t-il dans une sorte d’aveu
 
Le récit de Claude Hermant devant les policiers, le 22 janvier 2015, montre qu’il s’est douté très vite que les armes qu’il avait livrées avaient pu servir aux attentats. « Les dernières actualités que l’on a pu voir sur nos télés, ces événements horribles, je parle bien des attentats de Paris, ont fait tilt dans ma tête, déclare-t-il. En détaillant ce qui a pu paraître dans la presse, et notamment le type d’armes cité, j’ai pris conscience que ces armes avaient pu être des armes que j’ai été amené à fournir à Samir. »

Hermant relate avoir rencontré Samir dix mois plus tôt, à l’occasion « d’opérations d’infiltration pour le compte de la gendarmerie ». « Il a établi des commandes, j’ai fait une première transaction. La première chose que j’ai faite, c’est prendre la plaque d’immatriculation de son véhicule. » « Les gendarmes m’ont dit qu’ils prenaient en compte l’information et qu’ils allaient travailler dessus », poursuit-il. « Je lui ai fourni entre 40 ou 45 pièces. Je ne peux vous dire précisément quelle quantité pour chaque type d’armes. […] Pour moi, Samir est encore en possession de VZ 61 [pistolet mitrailleur Scorpio – ndlr] car il m’a demandé récemment 50 cartouches de 7,65. » « Je tiens à vous dire que lorsque je lui ai demandé pour les faits de Paris, s’il était impliqué, il m’a dit qu’après cette dernière commande il allait se mettre au vert », révèle-t-il.

Malgré cette mise en cause très directe, la PJ attendra encore trois mois avant de placer Samir L. en garde à vue. Connu des services de police, l’acheteur présumé nie les faits, avant que des photos d’armes soient retrouvées dans la mémoire du téléphone portable d’un de ses amis. Les juges lillois le mettent en examen le 30 avril 2015. Le même jour que le douanier mis en cause. (Mediapart, 7 mai 2016)
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