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Institutionnalisation des Affaires religieuses : menace ou opportunité pour le vivre-ensemble ?

Dimanche 21 Avril 2024

Ismaïla NDIAYE
Ismaïla NDIAYE

Le Président de la République du Sénégal, Son Excellence Bassirou Diomaye Diakhar Faye, vient d'achever sa première visite officielle en République Islamique de Mauritanie voisine, symbole de la volonté du nouveau régime de rompre avec le passé et de promouvoir une diplomatie de bon voisinage. Ce voyage au pays des Chinqiit en terre mauritanienne, où vivent plus de 4500 chrétiens qui pratiquent leur foi en toute liberté et dans le respect des lois et règlements de leur pays, coïncide avec un débat qui fait rage dans certains milieux intellectuels, appréciant de manières différentes la transformation du Bureau d'assistance aux Daara et aux diplômés de l'enseignement de l'arabe, autrefois logé à la Présidence de la République, en Direction des affaires religieuses et de l’Insertion des diplômés de l'enseignement Arabe.

 

Ce débat a donné lieu à des avis divergents entre des europhones, qui considèrent cette mesure comme excessive, craignant qu'elle ne compromette le principe de laïcité de notre État, et les arabophones, dont certains ont exprimé leur mécontentement, se sentant toujours marginalisés dans l'action publique, car s’attendant peut-être à une dimension d’ancrage institutionnel plus importante, un ministère de ˝plein exercice˝ ou à tout de moins, un secrétariat d'État, capable de prendre en charge le secteur des affaires religieuses dans sa forme multidimensionnelle. 

 

Cependant, certains acteurs moins réticents comprennent la portée de ce changement et la pertinence du choix, et félicitent le nouveau régime pour son courage et son engagement en faveur de cette cause nationale qui intéresse au premier chef les arabophones et les " Doomou Daara ", victimes d'une injustice séculaire et pour la réparation de laquelle le programme de campagne présidentielle du candidat de la coalition Diomaye Président s'était engagé.

 

Il ne s'agit pas pour nous dans le cadre de cet article, de faire le procès de la laïcité au Sénégal, avec ses défenseurs et ses détracteurs, aux côtés des porteurs d'alternatives mieux adaptées à nos réalités socioculturelles. Ce qui importe et reste remarquable dans ce débat, c'est que l'opposition à la création d'une Direction en charge des affaires religieuses est exprimée principalement par des Sénégalais de confession musulmane, soulignant ainsi leur attachement à la laïcité de l'Etat, garante selon eux de la stabilité nationale. En même temps, ces compatriotes sénégalais veulent manifester le respect qu'ils ont pour leurs compatriotes non-musulmans. Cette prise de position met en évidence la singularité du modèle sénégalais, l'exemplarité de notre unité nationale, le caractère éminemment humain de notre cohésion sociale et notre conscience républicaine qui, au-delà de nos différences ethniques, sociales et religieuses, font de nous une nation unie et indivisible.

 

Toutefois, force est de reconnaitre que malgré les aspirations à une laïcité que certains voulaient intangible de l'État, considérée comme fondamental par une catégorie d’acteurs, il est incontestable que celle-ci n'a pas toujours servi son objectif de renforcer l'unité nationale. Au contraire, elle a parfois été perçue par d’autres catégories d’acteurs et de citoyens comme une assurance fictive et imaginaire de notre vivre-ensemble, sans réellement favoriser la coexistence harmonieuse entre les différentes communautés religieuses du pays. En réalité, le concept de laïcité n'a rien apporté à nos relations sociales et intercommunautaires. D'ailleurs, là où les gens connaissent moins les dispositions de notre Constitution en la matière, les relations entre compatriotes sénégalais, parents et amis de différentes confessions se portent très bien.

 

Il convient de souligner, pour dissiper certaines craintes, que le concept de laïcité à la sénégalaise diffère de beaucoup d’autres. La laïcité à la sénégalaise est envisagée dans le contexte de sa propre histoire et de sa diversité religieuse, c’est ainsi qu’au Sénégal, l’implication de l’Etat dans le religieux est ostentatoirement manifeste. L’Etat finance le culte, décrète des fêtes religieuses, accompagne la modernisation des villes religieuses, institutionnalise le Waqf, intègre l’enseignement religieux dans les curricula de l’Education nationale, subventionne par des budgets conséquents, les écoles et organismes confessionnels, est même membre de l’Organisation pour la Coopération Islamique, et assiste aux événements religieux de tout bord avec des représentations de très haut niveau.

 

C’est d’ailleurs pour codifier cette pratique de la laïcité à la sénégalaise que les initiateurs des Assises nationales ont eu l’intelligence de proposer une définition de la laïcité telle qu’elle devra être appliquée, la rendant plus inclusive et respectueuse des croyances religieuses de chacun, tout en permettant à l'État d'accompagner les citoyens dans leur épanouissement temporel et spirituel.

 

Dans ce contexte, au vu des enjeux liés à une meilleure organisation des affaires religieuses, particulièrement musulmanes, le besoin étant quasiment inexistant ailleurs, il est impératif que des questions comme la prise en charge de la problématique des daaras, la question de la mendicité des enfants souvent rattachée aux conditions d’apprentissage dans les daaras, les enjeux liés à la finance islamique, les leviers sociaux de solidarité musulmane (Zakat et Waqf), le pèlerinage dans les lieux saints de l’Islam, la marginalisation des diplômés arabophones dans les recrutements du service public, alors qu’ils sont légitimes à occuper des fonctions d’Etat importantes comme leurs homologues dans d’autres pays et d’autres questions; soient gérées dans le cadre d’une politique plus cohérente. Et pour ce faire, la mise en place d’une Direction des affaires religieuses et de l’Insertion des diplômés de l’Enseignement Arabe peut de manière coordonnée, et en partenariat avec toutes les administrations concernées, donner une réponse à toutes ces interpellations. 

 

S’agissant de nos concitoyens de confession non musulmane, leur bonne organisation et la structuration harmonieuse de leurs relations avec l'État qui datent d’avant les indépendances, laissent entrevoir une prise en charge adéquate de leurs besoins religieux.

 

La mise en place d'une administration dédiée aux affaires religieuses et à une meilleure intégration des arabophones dans le service public, aux côtés du Ministère de l'Intérieur, chargé du culte en relation avec la sécurité intérieure et d'autres ministères et administrations, permettra sans doute à notre Etat de saisir toutes les opportunités nationales et internationales liées à ce secteur, et de contribuer à une politique religieuse plus cohérente, renforçant ainsi l'exceptionnalité de la démocratie sénégalaise, sa coexistence interconfessionnelle et sa définition particulière de la laïcité, qui s'adapte sans complexe à ses réalités sociales et culturelles.

 

Ismaila NDIAYE,

ismandiaye777@yahoo.fr

 
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