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Ismaïla Tilo [Hommage au Touré Kunda, par Mamadou Lamine Kamara]

Mardi 27 Février 2024

Le défunt Ismaïla Touré, du groupe Touré Kunda
Le défunt Ismaïla Touré, du groupe Touré Kunda

« La musique africaine est orpheline depuis lundi où tu es entré dans la Lumière Divine…Merci Ismaïl pour ta générosité, ta gentillesse et ton immense contribution à la musique africaine moderne »

 

C’est en ces termes qu’Alpha Blondy, monument incontestable du Reggae africain, le cite en se remémorant la scène de Bercy qu’ils ont partagé en 2000 dont il « garde un souvenir éternel et précieux ». Sylvain Foucaud, photographe talentueux, spécialiste des scènes musicales, lui dédie un texte poignant illustré par une belle photo qui porte sa signature, lors du festival Les Embrazzées de Montélimar le 3 novembre 2017. Sur l’ensemble de ses comptes officiels sur les réseaux sociaux, le président de la République du Sénégal, Macky Sall regrette et salue sa mémoire et estime que son décès est « une perte immense pour la musique sénégalaise et africaine ». Le Casa Sports, son club de cœur et équipe fanion de la ville de Ziguinchor, pleure « l’un des fils le plus valeureux de la Casamance », son fervent supporter. Barka Ba, journaliste brillant et émérite, connu pour sa maitrise des questions politiques ouest africaines, se rappelle de la « machine à hits et facteur d’unité nationale » qu’a toujours été le groupe et les beaux souvenirs qu’il garde de lui en ne manquant pas de l’élever au grade d’ambassadeur « du Sénégal sur la scène mondiale ». Mohamed Sow dit Mosow, distingué connaisseur et épieur par excellence de la musique sénégalaise, lui réserve un podcast entier en revenant sur ses fait d’armes. Couleurs tropicales, émission emblématique de RFI et tribune d’une grande audience prisée par les artistes africains à laquelle il avait été invité avec son complice et frère, Sixu en 1997 repense à lui et revient sur sa trajectoire. Une bonne partie des desks Cultures de la presse internationale revient sur son œuvre. Libération et RFI, entre autres, évoquent le grand artiste qu’il était. Youssou Ndour, Disque d’Or, Académicien, Grammy Awards, Praemium Imperiale, Docteur Honoris Causa et Roi incontesté du Mbalaax  regrette « une des plus grandes figures de la musique africaine »

 

La candeur de toutes ces voix – autant iconique que prestigieuse – qui se sont entremêlée pour rendre un dernier hommage au maestro renseigne sur la dimension exceptionnelle de l’homme, de l’artiste qu’il fut. Les hommages saluant la mémoire du génie fusaient de partout après l’annonce de la disparition d’Ismaïla Touré : des hommes politiques aux artistes de renommée mondiale en passant les médias, les intellectuels et le monde des Arts.

 

S’il est vrai que tous ces hommages lui ont été rendus à titre posthume – comme il en est le cas au Sénégal, et en Afrique plus généralement où les génies ne sont célébrés qu’après leur départ – certains ont dérogé à cette regrettable règle en lui consacrant des lignes entières (comprenez lui et son insérable frère, Sixu, au groupe Touré Kunda). C’est le cas d’Elgas, journaliste, docteur en sociologie, romancier, essayiste, grand exégète des Lettres et de l’Histoire africaine, non moins fils de la Casamance, dans une logique comparative avec d’autres génies (les frères Guissé) qui, dans une chronique, Frères Guissé et Toure, la recette de l’authenticité, en 2019, parlait de ce groupe, Touré Kunda, dont il fut membre fondateur, la figure de proue, le maillon essentiel et l’âme. 

 

La Casamance, on le sait, par sa position géographique et la diversité des groupes ethniques qui l’abritent, a toujours été une pépinière de fabrique de talents. L’histoire d’Ismaïla tient ses origines de cette ville, notamment Santhiaba. Créé avant l’indépendance du Sénégal, Santhiaba est un quartier au cœur de Ziguinchor dont l’emblème reste le religieux Chérif Younouss Aïdara. Ainsi, il n’est nullement nécessaire d’une acuité d’écoute pour que le nom de ce quartier revienne en boomerang dans l’œuvre magistrale du groupe. C’est dans ce quartier que la famille Touré est domiciliée et où est née la fratrie qui constituera le Touré Kunda : Amadou, Cheikh Tidiane dit Sixu, Ousmane et Ismaïla.

 

Ismaïla fait ses premiers pas dans le monde de la culture sous l’impulsion de son grand frère Amadou qui l’intégra ainsi que Sixu dans la troupe théâtrale La Fraternelle. Bien que très jeune, cette troupe servira de tremplin à Ismaïla ou, du moins, aux frères Touré car c’est à l’Esperanza Jazz de Ziguinchor qu’ils finiront, toujours sous le mentorat du frère ainé, Amadou. C’est dans cette mixité musicale entre les sonorités locales et la musique Afro-cubaine qu’Ismaïla et ses frères lanceront leur carrière avant la conquête de la musique mondiale.

 

Jeune, candide, ambitieux, plein d’espoir, le temps de l’exil – nécessaire dans l’éclosion de tout potentiel et marqueur remarquable dans la trajectoire de nombreuses éminences, arriva. Ismaïla prit le chemin de la Gambie voisine où il s’installa. Quelques années plus tard, en 1975, il embraya pour la capitale française, Paris. Sa passion pour la musique ne le quitta pas malgré l’absence de son acolyte, Sixu qui le rejoindra deux ans après, en 1977.

 

L’ossature du groupe ainsi obtenue, le temps de la gloire sonna enfin. Les premières fois ont toujours ce mérite de désépiner et de frayer le chemin pour les suivants. C’est ce mérite que le Touré Kunda a. Dans une capitale française populeuse dans laquelle toute nouveauté devient méfiante, le Touré Kunda a su se trouver une voie avec une musique traditionnelle et des instruments venus du Sénégal et de la Casamance. Les chants de circoncision, essentiellement en mandingue, constitueront la charpente de la musique du groupe.

 

Salya, Emma, Fatou Yo, Guerilla, Sol Mal, Sili Béto, Nénam, Karadindi et Natalia sont entre autres autant de chefs-d’œuvre absolus qui ont bercé mon adolescence à Kolda et celle de nombreuses générations. Nombreux d’entre nous ont eu, dans une totale ignorance des compositeurs, à fredonner inconsciemment leurs formidables morceaux qui avaient une facilité inexplicable de percer les vérandas les plus hermétiques.

 

Dans toute la formidable discographie de la fratrie, Ismaïla reste un maitre incontournable. Il avait ce don sur la gestion des scènes. Sa voix suave teintée de mélancolie et sa parfaite maitrise du mandingue lui donnaient souvent le privilège des premiers couplets. Ses pas de dense, le dialogue qu’il initiait avec le public, sa capacité d’impliquer tout l’orchestre, faisaient d’Ismaïla un artiste d’une dimension exceptionnelle.

 

La Gloire, les Prix, la Notoriété, le Sommet, Ismaïla en a connus. Premier groupe africain a jouer au Japon devant un public monstrueux, les Disques d’Or, Médailles et Breloques, les plus grands festivals dans le monde et les scènes dans les antres diplomatiques et chancelleries, partout le groupe a été reçu avec tout ce qui va avec des invités de marque. L’homme, au nom du groupe, a été récipiendaire de tous les honneurs possibles pour des artistes musiciens. 

 

C’est dans le 93, à Montreuil, le 27 février 2023, il y a un an, que la course d’Ismaïla s’arrêta définitivement bien qu’à travers son œuvre, il restera éternellement dans les esprits et dans les cœurs. Sixu perd son jumeau et complice, le monde de la musique, un professeur de classe exceptionnelle, un maitre ; le Sénégal, un ambassadeur chevronné ; la Casamance, un de ses plus illustres fils. 

 

Adieu Ismaïla ! Adieu l’Artiste ! Merci pour l’œuvre !

Mamadou Lamine Kamara dit Kamou                

 
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