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L’indépendance d’une République chahutée

Jeudi 20 Avril 2017

Par Adama Gaye
 
Alors que le réveil des nationalismes est l’un des phénomènes marquants du monde actuel, remettant en doute les bienfaits d’une mondialisation longtemps vantée, la célébration, le 4 avril, de la fête de l’indépendance du Sénégal, est un moment légitime pour revisiter l’état de cette république.
 
Le flux d’argent qui se déverse ces temps-ci sur lui pourrait donner à croire qu’il est en puissance un pays de cocagne. Surtout que son avenir est rendu plus prometteur par les récentes découvertes de gisements d’hydrocarbures, s’ajoutant à d’autres richesses naturelles, en plus de celles immatérielles qu’explique le renouveau de l’image du continent africain, en raison de ses multiples potentialités, si elles sont bien gérées. Contexte n’a jamais été aussi porteur pour le Sénégal dont les atouts l’autorisent à se mettre sur les starting-blocks d’un possible décollage.
 
Il fête son indépendance non loin de l’idéal que définissait le défunt choriste Alla Seck, dans un wolof qui capturait avec précision le rêve du peuple sénégalais. «Indépendance, avec de l’argent, c’est le pied», chantait-il, avec son mentor, Youssou Ndour, dans un titre éponyme.
 
C’était il y a une trentaine d’années, à une époque où le Sénégal vivait alors de difficiles péripéties alourdies par les ajustements structurels au plan économique et des tensions politiques à leur summum.
 
La fête de son indépendance cuvée 2017 survient dans un différent contexte. Le pays n'est plus comme naguère perçu comme l’un des Etats sahéliens, voué à crapahuter entre sécheresses et pauvreté endémique, ancré dans la catégorie des délaissés de la manne céleste, sans ressources naturelles, contraint de survivre dans une terre aride, au moyen d’une agriculture arriérée, de subsistance.
 
L’indépendance du Sénégal est de la même veine que celles cha-cha-cha intervenues ailleurs en Afrique après la deuxième guerre mondiale lorsque fut mise en œuvre la doctrine de l’autodétermination des peuples conçue par Roosevelt-Churchill, en 1941, à Terre-neuve, sur les côtes du Canada, dans un bateau où s’étaient retrouvés le Président américain d’alors et son homologue, Premier ministre Britannique, les deux chefs de file d’un monde en turbulence.
 
Mais en retrouvant sa souveraineté internationale, le Sénégal avait l’avantage de compter sur un embryon d’élites intellectuelles comme Léopold Sédar Senghor, son premier Président, Lamine Guèye, un avocat-politicien emblématique, ou encore l’universitaire engagé, Cheikh Anta Diop. Du fait aussi de son statut de capitale régionale de l’Afrique de l’ouest francophone, il avait bénéficié d’infrastructures absentes ailleurs, y compris une université, des lycées, des services administratifs et sanitaires en plus des infrastructures routières et ferroviaires.
 
La reprise en mains –théorique - des destinées du pays par ses fils était facilitée par l’existence d’un vigoureux débat politique interne malgré les tentatives de le museler.
 
Sans nul doute, en dehors d’une période florissante, un pic, comme sur le reste du continent où les exportations de produits agricoles et minéraliers, énergétiques, étaient favorisées par les accords préférentiels tissés avec les ex-puissances coloniales, la progression économique du pays fut vite ralentie. Pour n’avancer qu’à pas de tortue, par la suite, à la manière des taux lents rendus célèbres par l'Inde jusqu'à l'avènement de ses réformes économiques, en 1991.
 
Ce qui était cependant remarquable, c’était le sentiment qu’une nation se forgeait, transcendant les différences ethniques ou linguistiques locales. L’école était un égalisateur. Un capital social puissant, assis sur une religiosité non-feinte, ajoutait à ce climat fondateur d’une nation unie par une volonté de vie commune, selon le mot du poète-président.
 
Tout a commencé à changer en profondeur avec la démocratisation ouverte à tous les courants politiques, aussitôt perçue comme le sésame sur la voie d’un développement accéléré.
 
Le constat est hélas l’inverse. A la pauvreté de naguère a succédé désormais une situation nationale où plus personne ne retrouve les siens. D’un seul coup, le rêve promis par les alternances démocratiques, à savoir le changement et la prospérité, a débouché sur le triomphe des népotismes, des malversations financières, des inégalités, des injustices et des incompétences pendant que l’obscurantisme, notamment religieux, montait en puissance.
 
C’est dire que le Sénégal qui a acquis son brevet de démocratisation par deux alternances politiques transparentes et découvert des ressources naturelles qu’il n’espérait plus, dans tous les domaines (or, zircon, fer, bois, pétrole, gaz etc), se trouve paradoxalement mal loti alors que tout milite pour qu’il monte dans le cercle restreint des ligues les plus avancées dans la compétition inter-et-intra-étatique.
 
Qu’il soit aujourd’hui parmi les vingt-cinq pays les plus pauvres au monde selon un des classements internationaux en dit long sur le gâchis qu’il représente.
 
C’est parce que 57 ans après avoir retrouvé son statut de nation indépendante, la république sur laquelle il est adossé est chahutée, vandalisée, inapte à promouvoir les valeurs et vertus d’une gestion collective au profit de tous, d’abord par la célébration du culte de l’intérêt général, national.
 
Le résultat est là, consternant : nul n’a la tête à la fête, personne ne croit aux lubies de l’émergence, et, sur tous les plans, la société, la nation, le pays sont embarqués dans une impasse –un mortel sable mouvant.
 
Indépendance ak khaliss –indépendance avec l’argent, selon le mot de l’artiste, ça ne suffit plus.
 
Il faut alors retourner au tableau pour que les forces nationalistes, les particularismes éthno-religieux ici, le prurit social, ne viennent jeter cette république mal en point, inéquitable et vénale, sur les falaises qui bordent l’océan Atlantique.
 
La République se trouve dans un coma provoqué par l’œuvre de politiciens souvent immoraux plus soucieux de s’en servir que de la servir!
 
 
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