C’est avec une indignation sans bornes que j’ai lu sur plusieurs sites internet les propos d’un «djihadiste sénégalais» déclarant se trouver à Syrte (en Libye) et que RFI dit avoir interrogé. J’ose espérer que vous avez pris les précautions élémentaires liées au format et au contexte de l’interview que vous avez choisi de diffuser. Je ne m’appesantirai donc point là-dessus.
Je suis indigné parce que j’estime que, au-delà de la mission stricte qui consiste à informer un maximum d’auditeurs, vous avez également le devoir de ne pas faire passer n’importe quoi sur une «radio mondiale» à l’audience que l’on peut supposer virale.
Je suis indigné parce que, justement, cet «entretien» d’un de vos journalistes avec ce «djihadiste» non identifié est un grand n’importe quoi. Vous êtes journalistes, assez avertis je crois, pour mesurer les conséquences potentiellement dangereuses et dévastatrices pour notre pays, le Sénégal, de tels délires.
Je suis indigné parce que, pour cette affaire-ci, vous avez fait le choix de violer les principes de base de la responsabilité sociale fondamentale qui colle à la profession de journaliste en laissant passer sur vos antennes un petit torrent de haine et de bêtises qui contribue à distendre les liens sociaux chez nous, en attendant impatiemment le grand déluge de bombes humaines et de voitures piégées dans nos quartiers et villes.
Je suis indigné car il ne me semble nullement évident que le bien et la tranquillité que vous voulez pour votre pays, la France, vous le souhaitiez forcément pour le nôtre. Dans le passé, je ne suis pas certain que RFI ait interviewé des autonomistes-indépendantistes basques, bretons ou corses menaçant de faire exploser des bombes à Paris, Lyon, Marseille, Bordeaux…
Je suis indigné parce que, aujourd’hui, j’ai l’intime conviction que si Salah Abdeslam, le terroriste le plus recherché de France et de Navarre depuis les attentats dramatiques de Paris et de Saint-Denis du 13 novembre 2015, vous proposait un entretien exclusif pour disserter sur ses projets funestes contre votre pays, vous l’enverriez au diable. Mieux, vous aideriez même les services français à le traquer à partir de la ligne téléphonique ayant servi à l’appel.
Je suis indigné car, de façon inconsciente ou réfléchie, Radio France Internationale a clairement fait l’apologie de la haine et du terrorisme en donnant la parole à un mystérieux individu qui promet l’enfer de la terreur sur terre à tous les Sénégalais qui auraient de l’islam une conception simplement différente de la sienne. Chez vous, et je vous le concède, un juge aurait déjà ouvert une information judiciaire et le Parquet antiterroriste de Paris serait déjà à l’œuvre… Chez nous, on n’en est pas encore à ce niveau de vigilance citoyenne et étatique, hélas !
Je suis indigné car chez vous, Christine Boutin, l’ancienne présidente du Parti chrétien-démocrate, a été condamnée en décembre 2015 à 5 000 euros d’amende pour «provocation à la haine et à la violence publique». Sa «faute», c’est d’avoir dit et assumé que «l’homosexualité est une abomination». Votre chance, pour parler trivialement, c’est que chez nous, l’autorité laisse passer les propos absolument violents et subversifs d’un djihadiste sans nom ni visage…
Je suis indigné parce qu’une radio mondiale, quel que soit le bénéfice d’audience qu’elle peut tirer d’un «scoop» bien opportunément arrivé, ne peut pas et n’a pas le droit de se rabaisser au niveau d’une radio des Mille collines. On en revient encore au principe de responsabilité sociale des médias. Avec le Rwanda, on a bien vu mais peut-être pas bien mesuré ce dont la Haine, la Politique et l’Information sont capables en termes de déchaînement et de planification de massacres à grande échelle.
Je suis indigné, enfin, car après avoir assisté à l’expression pacifique de colère contre le magazine Jeune Afrique coupable d’avoir proprement insulté une figure emblématique de l’islam et fondateur du Mouridisme, Cheikh Ahmadou Bamba, quel objectif visez-vous en rapportant dans la foulée les menaces de votre «client» médiatique contre les mourides du Sénégal ?
Demain, si une voiture explose dans un coin de Dakar, vous débarquerez à deux ou trois pour relayer des atrocités et images insoutenables auxquelles vous aurez cyniquement contribué !