Après le coup d'Etat de mai 2014 en Thaïlande, les généraux au pouvoir se sont éloignés de Washington et rapprochés de Pékin pour séduire touristes et investisseurs chinois, espérant que ces derniers participent au maximum à un projet d'infrastructures titanesque de près de 40 milliards d'euros (45,5 milliards de francs).
L'approche des législatives du 24 mars, les premières depuis 2011 dans le royaume, a été marquée par l'épisode de la candidature de la soeur du roi au poste de Premier ministre, sous l'étiquette d'un parti ouvertement anti-junte. Mais les ambitions de la princesse Ubolratana ont été torpillées par son frère qui s'est opposé à sa candidature, retirée depuis.
Une bonne nouvelle pour Prayut Chan-O-Cha. Le chef de la junte est bien parti pour conserver le pouvoir et, par là même, maintenir des liens étroits avec le grand frère chinois.
Tourisme
Aujourd'hui, «la Thaïlande montre des signes d'hyperdépendance au marché chinois», dont le tourisme est la partie la plus visible, analyse Michael Montesano, spécialiste du pays à l'institut ISEAS-Yusof de Singapour.
En 2018, la barre des dix millions de touristes chinois a été franchie, sur un total de quelque 40 millions de visiteurs étrangers.
«Ce n'est pas cher de voyager ici», relève le Chinois Wang Ziying, venu allumer des bâtonnets d'encens au sanctuaire Erawan, dans le centre de Bangkok, populaire auprès des touristes de l'Empire du milieu.
Ceux-ci affluent par bus et charters entiers, notamment pendant la période de Nouvel An lunaire qui vient de s'achever. L'Autorité du tourisme de Thaïlande (TAT) a estimé que 330'000 touristes chinois visiteraient le pays rien que pendant cette période allant du 4 au 10 février.
La TAT et le ministère chinois de la Culture ont multiplié les évènements culturels pour l'occasion: opéra chinois, acrobates, chanteurs, danseurs... Les autorités ont vu grand cette année, au-delà des traditionnelles célébrations dans le quartier de Chinatown de Bangkok.
Elite sino-thaïe
La communauté chinoise, qui a immigré au cours des siècles en Thaïlande, est très influente dans le royaume: la minorité sino-thaïe est devenue l'élite économique du pays et des descendants d'immigrés chinois sont à la tête de plusieurs grands groupes.
Malgré cette proximité historique et géographique avec Pékin, Bangkok s'était affichée au cours du XXe siècle comme un allié de Washington, notamment pendant la guerre du Vietnam où la Thaïlande lui servait de base arrière.
Le royaume continue d'accueillir l'opération Cobra Gold, un des plus importants exercices militaires de l'armée américaine en Asie, qui doit débuter dans quelques jours. Mais avec la junte, le curseur s'est nettement déplacé vers Pékin. Au cœur du mouvement, le titanesque projet d'infrastructures baptisé «Eastern economic corridor» (EEC).
Ce plan ambitieux des autorités thaïlandaises prévoit notamment le développement de hubs technologiques et d'une voie de chemin de fer à grande vitesse. Coût global: près de 40 milliards d'euros.
Plusieurs pays européens, les Etats-Unis, la Corée du Sud ou le Japon sont courtisés par Bangkok pour investir dans l'EEC.
«Mais sans les investissements qu'ils espèrent avoir de la Chine, l'Easter economic corridor ne décollera pas», analyse Benjamin Zawacki, auteur de «Thailand: Shifting Ground between the US and a Rising China» («La Thaïlande, entre Etats-Unis et Chine montante»).
Sous-marins chinois
La junte a réussi à convaincre de la pertinence du projet Jack Ma, le fondateur d'Alibaba (mastodonte de la vente en ligne), qui a investi l'an dernier plus de 300 millions d'euros dans l'EEC et s'est rendu à Bangkok pour l'annoncer.
L'été dernier, la capitale thaïlandaise a aussi accueilli plus de 500 responsables économiques chinois, leur faisant visiter les lieux pressentis pour développer l'EEC.
Mais le rapprochement spectaculaire avec Pékin ces dernières années nourrit aussi un certain ressentiment au sein de la population, notamment avec le scandale créé par l'achat dispendieux de sous-marins chinois par l'armée thaïlandaise.
«Le basculement vers Pékin sous cette junte est clair, rien qu'à voir les avantages accordés à la Chine dans le projet de train à grande vitesse ou dans les achats d'armement» comme les sous-marins chinois, largement jugés inutiles, critique Sasiwan Chingchit, analyste indépendante thaïlandaise. (ats/nxp)