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La cohabitation entre pathologie, phobie et lubie !

Vendredi 16 Juin 2017

Pour plus d’efficacité électorale, Khalifa Sall aurait dû diriger la liste départementale de Dakar, seule circonscription où pour le moment, il a eu à faire ses preuves, plutôt que de se disputer la tête de liste nationale avec le PDS, premier parti de l’opposition, par la représentativité électorale et parlementaire


La cohabitation entre pathologie, phobie et lubie !
Par Maurice Soudieck DIONE (*)

La compétition aux suffrages, dans les joutes présidentielles, législatives ou locales, repose sur la recherche d’une majorité. Dans le cas où la majorité présidentielle est différente de la majorité parlementaire, on parle alors de cohabitation. Dans un tel scénario, le président de la République coexiste avec une majorité politique qui lui est opposée à l’Assemblée nationale.
 
C’est pourquoi la cohabitation semble être pour les tenants du pouvoir, une véritable phobie, c’est-à-dire une très vive aversion, une réaction d’angoisse et de répulsion ressentie par rapport à cette situation, dans le sens où le président de la République se trouverait dans une position marquée par l’incapacité à continuer à dérouler son programme politique.
 
On comprend dès lors que le régime en place ait augmenté le nombre de députés de 150 à 165, et mis en concurrence l’essentiel des sièges, 105 sur 165, sur la base du scrutin majoritaire à un tour, au niveau départemental, où le vainqueur remporte tous les postes quel que soit l’écart de voix, même une seule ; alors que les 60 autres députés sont élus sur la base de la représentation proportionnelle, au niveau national.
 
Dans cette optique, la majorité présidentielle déjà formée semble favorisée par ce mode de scrutin, de nature à assurer la cohésion et la cohérence de l’ordonnancement institutionnel. Dès lors, l’opposition ne peut triompher qu’à la condition de se réunir et de s’unir. Auquel cas, la cohabitation ne serait plus une lubie : une idée extravagante, déraisonnable et capricieuse, mais une hypothèse plausible.
 
Mais, l’opposition ne semble pas avoir analysé suffisamment les législatives pour elles-mêmes. Car, alors même que la meilleure combinaison aurait été, pour espérer gagner dans les départements, là où la compétition est plus rude et décisive, d’aligner en tête de liste des leaders de premier plan, les querelles de préséance entre le PDS et les partisans de Khalifa Sall pour diriger la liste nationale ont dynamité Mankoo Taxawu Senegaal.
 
Or, pour plus d’efficacité électorale, Khalifa Sall aurait dû diriger la liste départementale de Dakar, seule circonscription où pour le moment, il a eu à faire ses preuves, plutôt que de se disputer la tête de liste nationale avec le PDS, premier parti de l’opposition, par la représentativité électorale et parlementaire.
 
Or une négociation n’est rien autre qu’un processus de formalisation juste et judicieuse des rapports de forces politiques. Est-ce à dire alors que les présidentiables de Mankoo ont cherché subrepticement à affaiblir le PDS pour créer un équilibre de la puissance en perspective de 2019 ?
 
Si tel était le cas, ce serait une erreur stratégique, car dans la division, ils risquent de s’affaiblir eux-mêmes, psychologiquement et donc politiquement, en cas de défaite dans les départements qui correspondent à leurs fiefs électoraux : Thiès pour Idrissa Seck, Guédiawaye pour Malick Gakou, Dakar pour Khalifa Sall, etc.
 
La multiplication effrénée des listes, et surtout la dislocation de Mankoo Taxawu Senegaal en trois blocs constitués autour du PDS, de Khalifa Sall et de Modou Diagne Fada, limitent les chances de victoire de l’opposition, et donc d’avènement d’une cohabitation, comme expression des contradictions de la volonté populaire.
 
Car, à la vérité, la cohabitation peut être assimilée à une pathologie, entendue comme l’ensemble des manifestations d’une maladie et de ses effets morbides, qui renvoie ici par analogie, à des risques élevés de dysfonctionnements des pouvoirs. Car, depuis la crise de 1962 entre Senghor et Dia, la Constitution concentre pratiquement tous les pouvoirs entre les mains du président de la République, qui nomme et met fin aux fonctions du Premier ministre (article 49 alinéa 1) ; en plus, le président de la République détermine la politique de la Nation (article 42 alinéa 4), laquelle est conduite et coordonnée, sous la direction du Premier ministre, par le gouvernement, qui est doublement responsable devant le président de la République et l’Assemblée nationale (article 53).
 
La cohabitation crée donc potentiellement les conditions d’un conflit au sommet et au cœur de l’État, où les protagonistes, le président de la République et son Premier ministre issu d’une majorité parlementaire autre, usent des ressources que la Constitution leur confère pour s’affronter, ce qui contrarie la gestion des affaires publiques.
 
La France a connu trois périodes de cohabitation, deux sous le Président Mitterrand (1986-1988 ; 1993-1995), et une sous le Président Chirac (1997-2002). Elle a rationalisé son système politique pour éviter de telles situations, par la suppression du septennat au profit d’un quinquennat, par la loi constitutionnelle n° 2000-964 du 2 octobre 2000, pour aligner sur une même durée les mandats présidentiel et législatif ; et en inversant le calendrier électoral, par la loi organique n° 2001-419 du 15 mai 2001, pour que la présidentielle précède les législatives de deux mois.
 
Au Sénégal, on aurait pu obtenir le même résultat, si le Président Sall avait tenu sa promesse de réduire son mandat de 7 à 5 ans. C’est alors en 2017 qu’on aurait organisé la présidentielle, et deux à trois mois après les législatives, afin de minimiser autant que possible la probabilité des cohabitations. 
 
Il reste que dans un contexte historique où il n’est pas sûr de se fier à la culture démocratique présumée des acteurs politiques, la cohabitation continue de constituer un spectre pour le système politique sénégalais ! 

(*) Docteur en Science politique, Enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis.
 
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