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La déclaration de patrimoine : une mesure stratégique pour la bonne gouvernance et la lutte contre l’enrichissement illicite, la corruption et les conflits d’intérêts

Mardi 7 Janvier 2025

Ismaïla Ndiaye
Ismaïla Ndiaye

Lors de son discours de fin d’année, le Président de la République a annoncé une réforme majeure : la généralisation de la déclaration de patrimoine à l’ensemble des fonctionnaires de l’État en ces termes : 

 

« ...au- delà de la modification de la loi portant statut général de la fonction publique, quatre (04) lois sur la transparence et la bonne gouvernance seront soumises à la représentation nationale. Elles portent sur la protection des lanceurs d’alerte, la réforme de l’organe de lutte contre la corruption, l’accès à l’information et la déclaration de patrimoine. 

Concernant la déclaration de patrimoine, elle sera généralisée à tous les agents de la fonction publique, sans exception, ainsi qu’à tous les postes électifs ou nominatifs impliquant une gestion budgétaire ». 

 

Cette initiative de généraliser la déclaration de patrimoine, si elle trouve l’adhésion de nombre d’observateurs n’a pas manqué de susciter l’interrogation d’autres sur sa pertinence et les modalités qui devront rendre sa mise en œuvre effective et efficace. 

 

La réflexion qui suit se propose (A) d'examiner les fondements juridiques de la déclaration de patrimoine, sa portée pratique dans la gouvernance moderne d’une part et les perspectives de renforcement de cet outil crucial de prévention contre l’enrichissement illicite et de lutte contre la corruption par sa généralisation à tous les agents de la fonction publique et au-delà, d’autre part (B). 

 

A. La Déclaration de patrimoine : cadre juridique et enjeux 

 

Appelée déclaration de situation financière, déclaration de revenus et de patrimoine et déclaration de situation patrimoniale, la déclaration de patrimoine (DP) consiste en la démarche pour une personne de rédiger son bilan patrimonial aux fins de sa transmission à l’autorité étatique dédiée à la réception et au traitement des dossiers de déclaration de patrimoine 1 ; le patrimoine couvrant l’ensemble des biens et dettes de l’agent public assujetti 

 

Il s’agit d’une exigence essentielle inscrite dans les principaux instruments internationaux, régionaux et nationaux de prévention de l'enrichissement illicite et de lutte contre la corruption. 

 

Au niveau international, la Convention des Nations Unies Contre la Corruption adoptée le 31 décembre 2003 impose en son Article 8, aux agents publics, de déclarer leurs activités, avoirs et avantages susceptibles de générer des conflits d’intérêts. De même, la Convention de l’Union Africaine sur la corruption adoptée le 11 juillet 2003 et ratifiée le 15 février 2007 exige, via son Article 7, une déclaration de patrimoine au début, pendant et à la fin du mandat des agents publics. Par ailleurs, le Protocole de la CEDEAO sur la corruption, en son Article 5, oblige les fonctionnaires à déclarer leurs biens, y compris ceux appartenant à leurs proches. 

Sur le plan national, le Sénégal s’est déjà inscrit dans cette dynamique à travers la loi n° 2024-07 du 9 février 2024 modifiant la loi n°2014-17 du 2 avril 2014 relative à la déclaration de patrimoine, qui prolonge les principes de la loi n°2012-22 du 27 décembre 2012 portant Code de transparence dans la gestion des finances publiques. Cette dernière, transposition de la Directive n°1/2009/CM/UEMOA, réaffirme que les détenteurs d’autorité publique, élus ou hauts fonctionnaires, doivent déclarer leur patrimoine. En vertu de son article 7.1, l’exercice des hautes fonctions impose un devoir de responsabilité, de probité et d’intégrité, écartant toute appropriation illégitime des ressources publiques2

 

Ces mesures forment un cadre juridique solide de la déclaration de patrimoine devant promouvoir la transparence et renforcer la lutte contre l’enrichissement illicite et la corruption à tous les niveaux. 

 

L’objectif est ici clair : instaurer une culture de transparence et de reddition des comptes qui, si elle est bien appliquée, peut prévenir les abus de pouvoir, rétablir la confiance des citoyens envers les institutions et renforcer la gouvernance publique. 

 

S’agissant des enjeux de la DP, il est évident que l’instauration d’une culture de transparence et de reddition des comptes est essentielle pour rétablir la confiance des citoyens envers les institutions publiques. Dans cette perspective, la participation des citoyens et leur adhésion aux mesures de contrôle renforcent la légitimité des actions que les pouvoirs publics sont appelés à mener. 

Conforme au tryptique Jub Jubal Jubbanti3, le cadre mis en place met l’accent sur le rôle fondamental de l’intégrité des agents publics dans la construction d’une relation de confiance entre l’Etat et le citoyen. 

Ainsi, les enjeux liés à la DP s’articulent autour de deux points essentiels4

 

- prévenir tout risque d’enrichissement illicite, de corruption ou de pratiques assimilées des titulaires de fonctions publiques et 

- satisfaire au besoin légitime d’information des citoyens sur la situation et le comportement des dirigeants publics, dans un contexte de transparence dans la gestion des affaires publiques. 

 

Au regard de ce qui précède, la déclaration de patrimoine doit être reconnue comme un outil stratégique essentiel dans la prévention et la lutte contre l’enrichissement illicite et la corruption. Elle se distingue par sa capacité à instaurer des mécanismes de contrôle solides, à renforcer la transparence et à consolider la confiance des citoyens envers leurs institutions publiques. 

 

Pour qu’elle puisse pleinement atteindre ses objectifs, il est indispensable de disposer d’un cadre juridique adéquat. Cela souligne l’importance de continuer à renforcer le dispositif existant, malgré ses récentes modifications, afin de l’harmoniser davantage avec les normes et directives internationales, régionales et communautaires en vigueur. 

 

B. Les perspectives de renforcement de la DP : sa généralisation à tous les agents de la fonction publique et au-delà 

 

Selon l’exposé des motifs accompagnant la récente loi n°2024-07 du 9 février 2024, modifiant la loi n°2014-17 du 2 avril 2014 relative à la déclaration de patrimoine (DP), le législateur sénégalais a mis en évidence des « résultats encourageants concernant le nombre de personnes assujetties s’étant acquittées de l’obligation de déclaration de patrimoine ». Cependant, il a également relevé certains manquements qu’il convenait de combler afin de rendre cette législation davantage conforme aux directives internationales, régionales et communautaires en matière de DP. 

 

Malgré les efforts notables visant à améliorer ce cadre législatif, qui méritent d’être salués, un besoin d’amélioration du dispositif persiste. À cet effet, le document technique de la Convention des Nations Unies contre la corruption offre des lignes directrices précieuses pour renforcer l’efficacité des mécanismes de déclaration de patrimoine5

 

Il s’agit entre autres de : 

 

• l’exhaustivité des déclarations qui devront inclure tous les types de revenus, avoirs (meubles et immeubles) et dettes des agents publics, ainsi que ceux de leurs proches si nécessaire ; 

 

• le suivi de l’évolution financière qui devra provenir du traitement des déclarations périodiques de patrimoine, par un contrôle en trois temps: 

  • −  le contrôle sur la conformité des déclarations ;
    −  le contrôle de l’exactitude, de l’exhaustivité et de la sincérité
    des déclarations et
    − le contrôle de l’évolution du patrimoine des assujettis en comparant les déclarations d’une année sur l’autre pour détecter d’éventuelles anomalies.

• la prévention contre les dissimulations par l’adoption des procédures qui limitent les possibilités de cacher des avoirs, y compris ceux détenus à l’étranger ou par des non-résidents et 

 

• la justification des sources de revenus en exigeant aux agents publics qu’ils documentent clairement l’origine de leurs fonds. 

 

Bien que le texte actuel sur la DP intègre une grande partie des recommandations précédemment mentionnées, toute initiative visant à renforcer le dispositif de déclaration de patrimoine et à étendre son champ d’application demeure vivement encouragée. 

 

Cet élargissement du champ d’application de la DP tendant à sa généralisation à tous les agents publics offre deux avantages principaux : 

 

Premièrement, elle permet de familiariser les agents publics avec les mécanismes de transparence, les incitant à adopter, dans l’exercice de leurs fonctions présentes et futures, le réflexe de justifier l’origine légale de leur enrichissement. Ce processus vise à prévenir toute accumulation de richesses d’origine illégale. 

 

Deuxièmement, elle s’inscrit dans une logique de développement de carrière. En effet, un agent public des catégories inférieures, au fil de son évolution professionnelle, peut accéder à des postes dans la haute hiérarchie, davantage exposés aux risques de corruption et d’enrichissement illicite. Une habitude précoce de déclaration de patrimoine faciliterait alors son adaptation aux exigences de ses nouvelles fonctions, renforçant ainsi l’efficacité du système. 

 

On pourrait ajouter aux deux avantages précités, un troisième lié à l’augmentation considérables du taux de déclaration au niveau des hautes fonctions, dès lors que l’agent public subalterne est habitué au système de déclaration de patrimoine. 

 

Il est important de noter que la déclaration de patrimoine pour les agents subalternes revêt une importance cruciale, car l’enrichissement illicite et la corruption ne se limitent pas aux hauts fonctionnaires. Souvent, les pratiques illicites prennent racine dans des fonctions non suspectes, où elles peuvent s’enraciner et s’intensifier au fil des promotions si elles ne sont pas détectées et corrigées en amont. 

 

Il arrive même que des agents subalternes soient les parrains de tout un système d’enrichissement illicite et de corruption dans leur secteur. 

 

Enfin, il est essentiel de rappeler que la généralisation de la déclaration de patrimoine aux agents publics ne présente ni incohérence ni obstacle majeur. Sa faisabilité est pleinement attestée si elle repose sur une volonté politique et institutionnelle forte et accompagnée par des mesures adaptées. 

 

A prendre l’exemple des pays ou la déclaration de revenus qui se rapproche de la DP est une exigence fiscale pour tous les citoyens, des systèmes de déclarations sont mis en place pour permettre au contribuable de procéder à sa déclaration sans aucune forme d’entrave. 

 

Pour l’exemple de la France où le nombre dépasse les 40 millions de foyers fiscaux, il leur a été possible, à travers un système bien pensé, de permettre à 40 millions de contribuables de déclarer leur revenu. Un tel système adapté à notre environnement et aux exigences de la DP peut facilement permettre à nos agents publics et autres assujettis, pour un nombre inférieur à 200 000, de procéder à leurs déclarations. 

 

Ainsi, l’alibi du nombre pour les contemplateurs à cette initiative ne repose sur absolument rien d’objectif. 

 

Pour garantir l’efficacité de cette initiative, il apparaît indispensable de stratifier les exigences en matière de déclaration de patrimoine en fonction des responsabilités, du niveau d’exposition, de l’influence et du secteur d’activité. Ainsi, certains agents publics pourraient être soumis à des déclarations simplifiées, tandis que d’autres devraient se conformer à des formats plus exhaustifs, alignés sur les meilleurs standards internationaux. Un traitement particulier pourrait également être envisagé pour les déclarations de patrimoine dans certains secteurs sensibles et particulièrement exposés de l’administration publique. 

 

L’exemple de la région administrative de Hong Kong est particulièrement inspirant. Avec environ 173 1006 agents publics, tous sont soumis à la déclaration de revenus et de patrimoine, mais selon des exigences différenciées réparties en trois catégories, adaptées à leurs niveaux de responsabilité et d’exposition7

 

D’autres pays ont élargi ces exigences à des catégories de personnes non issues de la fonction publique mais considérées comme politiquement exposées. Au Burkina Faso, par exemple, le système de déclaration d’intérêts et de patrimoine inclut, outre les hauts fonctionnaires, des acteurs tels que le chef de file de l’opposition politique, les responsables de partis politiques, les directeurs d’organes de presse, les dirigeants d’organisations associatives et d’ONG recevant des financements étrangers, ainsi que toute personne désignée par l’Autorité supérieure de contrôle d’État ou par toute autre autorité judiciaire compétente. Cela signifie que, dans ce pays, tout agent public peut potentiellement être assujetti à la déclaration de patrimoine. 

 

Toutefois, une telle initiative nécessite des mesures d’accompagnement robustes et urgentes. La majorité de ces mesures a été évoquée dans la Déclaration de Dakar sur les déclarations de patrimoine, adoptée lors de la conférence régionale sur les déclarations de patrimoine organisée en mai 2014. Ce document, disponible en ligne, constitue une référence clé pour la mise en œuvre de ce dispositif8

 

Il est essentiel d’ajouter aux mesures contenues dans cette déclaration les recommandations suivantes : 

 

1. une meilleure sensibilisation sur les réformes visant la promotion de la transparence et de la bonne gouvernance dans le service public ; 

 

2. la mise en place d’un processus de déclaration de patrimoine simplifié et digitalisé, permettant à tous les fonctionnaires de répondre à cette exigence via des plateformes sécurisées accessibles, notamment grâce à des bornes dédiées. Cela inclut également la réforme du cadre légal pour l’adapter à l’évolution ;

 

3. une meilleure coopération pour s’inspirer des meilleures pratiques en matière de déclaration de patrimoine ;

 

4. l’allocation de ressources humaines, financières et matérielles suffisantes à l’administration chargée de la réception et du traitement des déclarations de patrimoine ;

 

5. l’ajout d’une déclaration d’intérêts à la déclaration de patrimoine, afin de rendre le système plus complet et cohérent. 

 

En conclusion, il convient de souligner que la promotion et le renforcement du système de déclaration de patrimoine ne constituent pas une mesure exceptionnelle, mais une exigence inscrite aux niveaux international, régional et communautaire. Cette démarche vise à assurer une transparence accrue dans la gestion des ressources publiques. En élargissant la DP à l’ensemble des agents publics, le Président de la République adopte une gouvernance intégrée et responsable. Une telle initiative, par la mobilisation de toutes les ressources nécessaires à son effectivité, favorise la réconciliation des citoyens avec l’administration publique, renforce la confiance des contribuables dans la probité des agents publics et consolide la transparence au sein des secteurs public et parapublic. 

 

Notre soutien à cette initiative est sans réserve parce qu’elle constitue une étape fondamentale pour bâtir un Sénégal souverain, juste et prospère.

 

Ismaila NDIAYE
Spécialiste en gouvernance et lutte contre la corruption M.A Anti-corruption et Diplomatie
International Anti-corruption Academy (Vienne) ismandiaye777@yahoo.fr 

 

1 https://ofnac.sn/ova_dep/declaration-de-patrimoine/ 

2 https://www.droit-afrique.com/upload/doc/uemoa/UEMOA-Directive-2009-01-code-transparence-gestion- finances-publiques.pdf 

3 Le tryptique Jub Jubal Jubbanti, loin d’être un slogan, est le message fort qui sous-tend toute la réforme des politiques publiques et renvoie à des principes fondamentaux liés à la transparence et à l'éthique dans la gestion des affaires publiques. Il signifie étymologiquement Jub : droiture, Jubal : avoir une attitude de droiture et Jubanti : redresser les mauvaises pratiques publiques
4 https://ofnac.sn/wp-content/uploads/2024/02/Loi-2024-07-du-9-fevrier-2024-Declaration-de-Patrimoine.pdf 

5 https://www.unodc.org/documents/treaties/UNCAC/Publications/TechnicalGuide/10-53540_Ebook_f.pdf pp 99 

6 https://www.gov.hk/en/about/abouthk/factsheets/docs/civil_service.pdf
7 https://documents1.worldbank.org/curated/en/664561468340842190/pdf/Income-and-asset-disclosure-case- study-illustrations.pdf
https://www.unodc.org/documents/corruption/WG- Prevention/Art_8_Financial_disclosure_declaration_of_assets/Declaration_de_Dakar_fr.pdf 

 

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