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La leçon de M. Macron sur le franc CFA aux dirigeants africains : « il ne faut pas dormir sur la natte des autres »1

Samedi 23 Décembre 2017

Par Kako NUBUKPO, économiste  (Article paru dans Le Monde Afrique)
 
Ce que nous redoutions depuis des années, s’est produit hier dans l’amphithéâtre « Joseph Ki-Zerbo » de l’université de Ouagadougou au Burkina Faso, lors des échanges qui ont fait suite au discours de M. Macron. Une façon arrogante, pour ne pas dire plus, de la part de M. Macron, d’exprimer le déni de l’histoire monétaire françafricaine, renvoyant les dirigeants africains à leur servitude monétaire volontaire, les mettant à nu de la pire des façons, à travers des réponses d’une violence symbolique inouïe, dont la plus emblématique fut sans doute : « le franc CFA est un non-sujet pour la France ».
 
Le franc CFA fait couler beaucoup d’encre, et ce, depuis longtemps, avec une accélération et une tension sans précédent depuis quelques mois. On était donc en droit de s’attendre de la part de M. Macron, dans le cadre d’un discours à une jeunesse africaine préoccupée à juste titre par son avenir, à des propos structurés, réfléchis et fortement argumentés sur sa vision de l’avenir de cette monnaie, à l’intérieur même de son discours. Mal nous en a pris, car de franc CFA, il ne fut guère question.
 
Il a donc fallu attendre qu’une remarque lui fut faite sur ce thème par un étudiant burkinabè, pour l’entendre enfin exposer sa vision : imprécise, caricaturale et, pour finir, déshonorante pour les dirigeants africains.
 
Imprécise, car M. Macron semble ignorer que cette monnaie fut imposée aux Africains dans le cadre des turpitudes de la colonisation française. En effet, le franc CFA est le produit de la création de la banque du Sénégal en 1855, banque créée grâce aux ressources versées par la métropole française aux esclavagistes en guise de réparations suite à l’abolition de l’esclavage le 27 avril 1848.
 
Cette banque deviendra, au début du 20è siècle, la banque de l’Afrique de l’Ouest (BAO), qui aura le privilège d’émission de la monnaie ancêtre du franc CFA qui naîtra officiellement le 26 décembre 1945, dix ans avant la création de l’Institut d’émission de l’Afrique Occidentale Française (AOF) et du Togo, lequel institut deviendra la BCEAO, banque centrale des Etats de l’Afrique de l’ouest, quelques années plus tard.
 
C’est dire si le fait monétaire en Afrique francophone épouse les contours de la violence esclavagiste, coloniale et post coloniale. Rien que pour cela, pour les souffrances des paysans africains obligés de payer l’impôt en franc CFA, dont la disponibilité exclusive était liée à la rémunération de la production et la vente des produits de rente (café, cacao, coton) et donc l’abandon des cultures vivrières, M. Macron aurait dû faire preuve de respect et de plus d’égards à l’endroit des fils et petit-fils de paysans burkinabè qui ont payé un lourd impôt colonial, fait de travail forcé et de déportations massives vers la zone « office du Niger » au Mali.
 
Caricaturale, car M. Macron, vantant la prétendue stabilité qu’offre le franc CFA, a oublié d’insister sur le fait que les arrangements institutionnels organisant le fonctionnement de la zone franc, constituaient le véhicule par excellence de l’accumulation de richesses hors du continent africain. En effet, la fixité de la parité entre le franc CFA et l’euro, la totale garantie de convertibilité entre ces deux monnaies, et enfin la liberté de circulation des capitaux entre les deux zones (franc et euro), permettent un siphonage en toute légalité des ressources africaines vers des cieux où le capital serait en meilleure sécurité, obligeant les forces productives africaines de la zone franc à recommencer chaque année, le processus d’accumulation du capital.
 
De concession sur les faiblesses structurelles du franc CFA, il n’en fut guère question de la part de M. Macron, sinon quelques propos imprécis sur la compétitivité, le nom et le périmètre de la monnaie. Et pourtant, il eut été facile de reconnaître que cette monnaie, trois-quarts de siècle après sa création, n’a impulsé aucune dynamique positive en matière d’échanges intra zone franc, d’accroissement de la compétitivité-prix et hors-prix, d’accès facilité au crédit productif et enfin de création d’emplois massifs pour les jeunes.
 
Déshonorante enfin pour les dirigeants africains, car la leçon donnée hier à Ouagadougou par M. Macron dans l’amphithéâtre Joseph Ki-Zerbo, peut se résumer de façon ironique en un conseil qu’a toujours donné le grand historien burkinabè : « il ne faut pas dormir sur la natte des autres, car c’est comme dormir par terre ». En effet, utilisant une rhétorique guerrière, à la limite de la courtoisie envers ses hôtes burkinabè, M. Macron a montré aux dirigeants africains qui auraient des états d’âme sur le franc CFA, la porte de sortie, tordant ainsi le cou au prétendu « complot français » derrière lequel les chefs d’Etat africains ont beau jeu de se réfugier de manière rituelle pour justifier leur inertie en matière de gestion monétaire.
 
Les chefs d’Etat africains, cédant comme toujours aux sirènes de l’improvisation économique dictée par leur absence de vision stratégique de long terme et à la dictature du court terme, refusent ostensiblement de prendre à bras le corps la question de l’inadéquation entre l’utilisation du franc CFA et la réalisation de l’émergence économique, de peur de mécontenter le tuteur historique que constitue la figure tutélaire du président de la République française.
 
Mal leur en prend, car hier, M. Macron a retiré sans crier gare, le tapis qui recouvrait la poussière d’un arrangement monétaire d’un autre temps, politiquement dévastateur en termes de souveraineté, économiquement mortifère en termes de création d’emplois et socialement inique en termes de redistribution de la richesse collective.
 
Gérer soi-même sa monnaie est le gage premier de la souveraineté. Pour avoir sous-estimé cette vérité d’évidence historique, et avoir pensé naïvement pouvoir se départir sans frais de l’exigence de rigueur liée à la gouvernance des peuples, les dirigeants africains de la zone franc ont subi hier de la part de M. Macron, un camouflet qui rejaillit sur l’ensemble de la jeunesse africaine comme un énième viol de ses rêves d’émancipation. Au tribunal de l’histoire, il leur faudra de bons avocats défenseurs…

 
1 Article qui a servi de prétexte à l’éviction de M. Nubukpo de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), où il était directeur de la Francophonie économique et numérique.
 
 
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1.Posté par Me François JURAIN le 25/12/2017 18:34
Une chose est claire: le débat est ouvert.
Une chose est sure: il n'est pas près d'être refermé.
Une chose est admirable: je suis ébloui par la haute tenue des experts des deux bords, que l'on soit pour ou que l'on soit contre.
Personnellement, au delà des esprits vindicatifs et partisans, je comprend parfaitement le désir des africains d'avoir une monnaie "bien à eux", et qui leur appartiennent.
Mais la monnaie, ce n'est pas quelque chose avec laquelle on plaisante, c'est du sérieux, sur tout dans le monde économique dans lequel tous les pays, tous les continents, évoluent, se croisent et entrecroisent. La monnaie d'un pays se doit d'être fiable, et d'être stable. C'est la base même de l'économie d'un pays. J'ai personnellement connu l'époque du franc, avant l'euro, face au mark allemand qui n'en finissait pas de monter: c'était des dévaluations et de l'inflation galopante journalière, qui n'enrichissaient que les spéculateurs. Quel serait l'état de tous les pays européens aujourd'hui, s'il n'y avait pas eu l'euro?Alors, entre la littérature et la finance, il y a un fossé, qu'il ne faut pas transformer en ravin. Que faut il faire? La revendication des africains est légitime, et elle va dans le sens souhaité et souhaitable, que les peuples africains se prennent en charge, définitivement. D'accord pour remplacer le système existant, mais par quoi? Personne ne semble d'accord, et pourtant, je le redis, je suis époustouflé par la qualité, la science et le professionnalisme des experts qui s'expriment, autant chez les pour que chez les contre. Je suis loin d'avoir leur compétence et leur intelligence, c'est pourquoi je me dis que le problème doit être plus compliqué que d'avaler des billets de banque sur la place publique, où de vitupérer dans des chroniques publiques, contre Monsieur MACRON, qui n'est responsable que d'avoir hérité d'une situation existante (il n'est président que depuis quelques mois, faut il le rappeler? Quand à l'esclavage ou la colonisation, il n'était même pas dans le ventre de sa mère à cette époque). Je ne trouve pas choquant qu'il ne développe pas le sujet plus avant, lors de sa discussion avec des étudiants à ouaga. Un président de la république est le président de tous, il est à l'étranger, il est inconvenant d'exprimer une opinion personnelle, et il n'est pas là pour jeter de l'huile sur le feu. Tout au plus, son discours est assez clair il me semble: que les africains -premiers concernés- se saisissent du problème, et proposent un autre système, qui sera débattu entre les experts africains d'abord, et avec la france après. Mais croire, et vouloir faire croire que la FRANCE tient à imposer le franc CFA aux pays qui l'ont pour monnaie est à mon avis une vision erronée, en tout cas erronée de la vision que Mr MACRON semble avoir vis à vis de l'Afrique. Ce n'est pas Monsieur BOLLORE qui gouverne la FRANCE, et Monsieur CHIRAC n'est plus président. Quand à Monsieur FOCARD, je crois qu'il est décédé. Avant de démolir, il faut avoir un plan de reconstruction, sinon, on se retrouve avec un champ de ruine, qui risque de durer longtemps et accentuer une misère endémique pour les peuples qui n'ont pas besoin de voir leur sort s'agraver. Les pays utilisateurs du franc CFA ont la chance d'avoir des experts émérites, extrêmement compétents, et qui, dans l'ensemble, font preuve d'une grande sagesse, et dénué de tout esprit partisan. Je pense que c'est une grande chance, et je suis certain qu'un nouveau système africo-africain émergera de leur concertation, et remplacera le franc CFA (d'ailleurs, serait il aussi décrié s'il avait une autre appellation?). Mais cela est d’extrême importance, et ne peut se résoudre sous la pression de manifestants de quelques bords que ce soit, ou autre vindicte anti-française, d'un autre temps et d'un autre d'âge. Le devoir de mémoire, bien volontiers, l'obligation de vengeance, ca ne sert à rien et n'a jamais fait avancer les choses. Mieux vaut s'appuyer sur la mémoire, pour ouvrir la voie à la revanche. C'est comme cela que l'on avance, pas autrement.
Quand à l'éviction de Monsieur NABUPKO de son poste à la OIF, elle est logique et normale. Lorsque l'on occupe un poste de haut fonctionnaire (ou assimilé), on est tenu avant toute chose à un devoir de réserve. Ce Monsieur est un économiste, militant, et c'est tout à fait respectable. Il a accepté le poste, avec tous les honneurs, tous les avantages, et l'énorme rémunération qui va avec.La moindre des choses, c'est qu'il se plie au devoir de réserve, qui sied à son rang, et qu'il ne profite pas de la tribune que lui procure son poste à l'OIF pour dissiper des idées militantes qui sont certainement très respectables, mais qui ne peuvent, en aucun cas, être exprimées, par une personne de son rang dans les fonctions qu'il occupait. Dans la vie, il faut savoir choisir: militer et faire avancer ses idées, au risque de s’appauvrir personnellement, où accepter un poste de dignitaire très bien rémunéré: on ne peut pas avoir le beurre l'argent du beurre, et si possible la crémière avec. Ce qu'avait parfaitement résumé le ministre français CHEVENEMENT: un ministre, ca ferme sa gueule ou sa démissionne. La première des choses, c'est que Monsieur NUBUPKO aurait du refuser le poste, afin d'être fidèle à ses idées. La deuxième, c'est d'avoir proposé le poste à ce Monsieur, sachant ses idées, ses conviction, qui, même si elles sont respectables, ne sont pas de mise dans une enceinte telle que l'OIF. On peut tout dire, mais pas n'importe où. Mais je suis certain que cet économiste de valeur saura retrouver une fonction, compatible avec son mode d'expression et ses idées, qu'il pourra exprimer là ou il aura toute liberté pour le faire.

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