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La nouvelle feuille de route pour l’éco: enfin le bout du tunnel? (Demba Moussa Dembélé)

Jeudi 24 Juin 2021

La nouvelle feuille de route pour l’éco: enfin le bout du tunnel? (Demba Moussa Dembélé)
Les chefs d’Etat de la CEDEAO ont décidé, lors de leur réunion à Accra (Ghana) le samedi 19 juin 2021, d’une nouvelle feuille de route pour l’adoption de la monnaie unique. Un nouveau délai de cinq ans, à partir de janvier 2022, a été fixé.
 
L’échec du plan Ouattara-Macron ?
 
Apparemment, cette annonce semble avoir mis fin aux divisions et polémiques résultant de l’annonce de l’accord Ouattara-Macron du 21 décembre 2019. En effet, cet accord était en porte-à-faux par rapport à la décision unanime des 15 pays de la CEDEAO du 29 juin 2019. Si bien que l’accord Ouattara-Macron avait suscité une très vive réaction de la part du Nigeria et des autres pays non-CFA ainsi que de tous ceux qui soutenaient le projet de monnaie de la CEDEAO. Il s’en suivit un blocage du processus au sein de celle-ci et une grande confusion au sein de l’opinion africaine. Au point qu’on entendait parler de deux « écos », l’éco/cfa et l’éco/CEDEAO. L’éco/cfa étant celui que Ouattara et Macron cherchaient à introduire pour les pays de l’UEMOA. Ce projet visait carrément à perpétuer la servitude monétaire sous une nouvelle appellation du franc CFA. Il visait surtout à torpiller celui de la CEDEAO en cherchant à « débaucher » des pays « anglophones » pour renforcer l’UEMOA. L’appel du pied lancé par Macron au Ghana, lors de son séjour à Abidjan en décembre 2019, ne laisse aucun doute à cet égard.
 
Cependant, la vive réaction du Nigeria et des autres pays de la CEDEAO ainsi que les critiques d’une bonne partie de l’opinion au sein même de l’UEMOA avaient mis Ouattara et ses homologues dans une situation inconfortable avant que le Covid-19 ne vienne à leur « secours ». En effet, prenant prétexte des conséquences économiques et sociales de la pandémie, ils décidèrent de suspendre le Pacte de convergence macroéconomique. Ce qui, du coup, suspendait l’entrée en vigueur de leur « éco/cfa ». Le Sommet virtuel de la CEDEAO du 23 janvier 2021 décida à son tour de suspendre l’observation des critères de convergence et demanda à la Commission et aux Banques centrales de la Communauté de proposer une nouvelle feuille de route, devant démarrer à partir de janvier 2022. C’est cette feuille de route qui vient d’être entérinée à Accra.
 
Quelle monnaie ?
 
Le Colloque international de Lomé sur l’éco, organisé du 26 au 28 mai, avait pour thème : « quelle monnaie pour quel développement en Afrique de l’Ouest ? ». Dans mon intervention, lors du panel de clôture, j’avais inversé l’ordre de la question ainsi : « quel développement pour quelle monnaie ? » La réponse à cette question va au-delà de l’espace CEDEAO. Elle se situe dans le contexte plus large du continent africain. En effet, l’Union africaine a adopté depuis 2013 l’Agenda 2063 « Construire l’Afrique que nous voulons ». C’est-à-dire l’Afrique que veulent construire les peuples africains eux-mêmes, pas celle que cherchent à « construire » les « partenaires » bilatéraux et multilatéraux, comme la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI).
 
La pandémie du coronavirus et ses conséquences économiques et sociales ont renforcé la pertinence de l’Agenda 2063, dont l’un des objectifs fondamentaux est de voir « l’Afrique prendre en main sa propre destinée ». Cela veut dire apprendre à compter d’abord sur ses propres forces. Un tel objectif implique la formulation d’un programme de développement autocentré, un combat cher à feu le Professeur Samir Amin. Ce type de développement est tout le contraire des modèles de croissance extravertis, basés sur des exportations de produits de base. Le développement autocentré implique nécessairement l’industrialisation de l’Afrique. Autrement dit, la transformation structurelle de son économie pour créer de la valeur ajoutée et des richesses qui vont contribuer à améliorer les conditions de vie des peuples africains.
 
Dans cette perspective, l’éco de la CEDEAO devrait être une monnaie souveraine capable non seulement de renforcer l’intégration régionale mais surtout de contribuer à la transformation structurelle des économies des pays membres. Mais pour servir de véritable instrument de développement, cette monnaie doit être libérée du carcan monétariste d’un autre âge, consistant à donner la priorité à la lutte contre l’inflation au détriment de la croissance et de la création d’emploi. Pendant le Colloque international de Lomé, signalé plus haut, plusieurs études y ont été présentées montrant qu’une inflation allant jusqu’à 7-8% est bénéfique à l’économie, car elle contribue à stimuler le crédit et la croissance. La feuille de route adoptée au terme du Colloque fait une recommandation dans ce sens.
 
C’est pourquoi, il faut éviter de tomber dans le piège de théories monétaires déconnectées de nos réalités. En effet, dans les débats sur la monnaie, on constate que certains économistes africains font parfois référence aux théories de Robert Mundell, voire à celle de Milton Friedman, le « père » du monétarisme moderne. Ces théories sont aujourd’hui discréditées, même dans certains pays occidentaux. Ni la théorie des « zones monétaires optimales » de Robert Mundell et Ian Fleming (le modèle Mundell-Fleming) encore moins la théorie monétariste de Milton Friedman n’a d’utilité pour la recherche de solutions concrètes aux défis de développement des économies africaines. L’impasse sur les critères de convergence dans le débat sur la monnaie de la CEDEAO s’explique en partie par la référence- explicite ou implicite- à ces théories. Lors de la rencontre de Paris sur les économies africaines, le 18 mai dernier, on a entendu le président du Sénégal fustiger certains de ces critères, comme le plafond du déficit budgétaire et celui de la dette publique par rapport au produit intérieur brut (PIB) !
 
Par contre, une théorie d’inspiration keynésienne, la théorie monétaire moderne (TMM), ouvre des perspectives prometteuses qu’il faudra approfondir et adapter à notre contexte.
 
Demba Moussa DEMBELE
Economiste, Dakar
 
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