Longtemps souhaité et attendu par les acteurs de la transparence et de la reddition des comptes dans les affaires publiques, le Pool judiciaire financier (PJF) est désormais entré dans sa phase active. Mardi 17 septembre 2024, le ministre de la Justice, Ousmane Diagne, a procédé à l’installation officielle de ses membres. Une juridiction qu'il considère comme ‘’plus conforme aux exigences du moment’’ que la défunte Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI).
‘’Il ne remplace pas seulement la CREI. Il se veut plus innovant et plus conforme [qu’elle] aux exigences du moment’’, a dit M. Diagne lors d’une cérémonie d’installation officielle du PJF, en présence de ses membres.
Le Pool judiciaire financier est un ‘’nouveau mécanisme’’ né d’une loi du 2 août 2023, a-t-il rappelé. C’est une juridiction à compétence nationale créée au sein du tribunal de grande instance Hors Classe de Dakar et de la cour d’appel de Dakar pour réprimer les infractions à caractère économique et financier.
‘’La mise en place du Pool judiciaire financier est une réponse aux nombreux défis posés par l’exigence citoyenne de redevabilité, la mondialisation de l’économie, les flux rapides de capitaux, le développement des technologies de l’information et de la communication, ainsi que les multiples réseaux criminels qui ne connaissent pas de frontière et ne sauraient donc être démantelés que par des mécanismes judiciaires adaptés’’, a souligné Ousmane Diagne.
Le PJF vient s’ajouter à plusieurs institutions exerçant des fonctions voisines les unes des autres : la Cour des comptes, l’Inspection générale d’État, l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption, et la Cellule nationale de traitement des informations financières. Elles servent toutes à ‘’lutter contre les actes de prévarication’’ et à ‘’asseoir une gouvernance éthique et exemplaire’’.
‘’Le Pool judiciaire financier allie les besoins d’efficacité dans la répression, et d’efficience dans la gestion des ressources humaines, avec un domaine de compétences plus élargi’’ que celui de la CREI, a souligné M. Diagne.
Seulement reddition des comptes
Le PJF prend en compte les affaires relevant de la corruption et des pratiques assimilées, a-t-il dit en énumérant les faits de détournement et de soustraction de deniers publics, d’escroquerie, de faux monnayage, les infractions liées aux technologies de l’information et de la communication, celles relatives à la réglementation des marchés publics, à la piraterie maritime, au financement du terrorisme, au trafic de migrants et à la réglementation bancaire, selon le ministre de la Justice.
Le ministre de la Justice et garde des Sceaux Ousmane Diagne
Il a recommandé à ses membres de ‘’donner le meilleur’’ d’eux-mêmes en vue de l’atteinte des objectifs assignés à cette juridiction.
‘’L’État, de son côté, ne ménagera aucun effort pour vous mettre dans les conditions optimales de performance et d’épanouissement professionnel’’, leur a-t-il promis.
‘’Les principes d’indépendance et d’intégrité auxquels vous êtes profondément attachés devront toujours vous servir de viatique dans l’accomplissement de votre mission’’, a dit Ousmane Diagne en s’adressant aux membres du PJF.
Mbacké Fall, procureur général de la Cour d’appel de Dakar, a assuré que le PJF ne sera pas un instrument de « règlements de comptes » politiques. La nouvelle institution judiciaire s’attachera plutôt à mener jusqu’au bout une mission de « reddition des comptes » pour tous les dossiers qu’elle aura en charge d’élucider.
« N’est-il pas juste, voire impératif, que les prévaricateurs de nos faibles ressources puissent rendre compte de leur gestion ? Ils devront régler leurs comptes avec l’Etat. Et ce ne sera que justice », a souligné Mbacké Fall.
Celui qui a été procureur général des Chambres africaines extraordinaires (CAE) lors du jugement en 2015 de l’ex et défunt président tchadien Hissein Habré a rappelé aux membres du PJF leur devoir en paraphrasant le verset 6 de la sourate 49 (Les Appartements) du Coran:
« Evitez de porter atteinte à l’honorabilité des personnes suspectées, mais toujours présumées innocentes tant qu’un tribunal ne les aura pas déclarées coupables sur la base des éléments de preuves apportés et discutés au cours des débats d’audience. Il vous appartiendra donc de vérifier les renseignements qui vous sont fournis quelle que soit leur source ».
Abdoulaye Ba, le premier président de la cour d’appel de Dakar, estime que les membres de la nouvelle juridiction ont les ‘’atouts’’ et les ‘’outils’’ dont dispose tout magistrat pour l’exercice de son ‘’sacerdoce’’. ‘’C’est quoi ? Le serment qui guide et oriente la conscience, qui interpelle la foi en Dieu, en la justice, la foi dans les convictions…’’ a-t-il dit.
‘’L’immense talent intellectuel et professionnel qui les caractérise nous permet d’espérer voir […] un pouvoir judiciaire plus fort’’, a poursuivi Abdoulaye Ba en parlant des membres du Pool judiciaire financier.
Composé de 27 membres, le Pool judiciaire financier est dirigé par El Hadji Alioune Abdoulaye Sylla, procureur de la République financier. Abdoulaye Diouf en est le procureur financier adjoint tandis que Ibrahima Faye et Harouna Sow en sont les deux substituts.
Mbacké Fall, procureur général de la Cour d'appel de Dakar
Le PJF comprend un collège des juges d’instructions financier sous la tutelle d’Idrissa Diarra, une chambre de jugement financière, pilotée par Papa Mohamed Diop, une chambre d’accusation financière présidée par Mamady Diané et une chambre des appels financiers dirigée par Anta Ndiaye Diop.
Les membres du Pool judiciaire financier ont été tous nommés par le président de la République à l’issue de la réunion du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) tenue le 9 août 2024. Le Chef de l’Etat et le ministre de la Justice sont respectivement président et vice-président du CSM. Avant et après son élection du 24 mars 2024, Bassirou Diomaye Faye avait pris l’engagement de quitter cette fonction dans une perspective de rendre l’institution judiciaire plus indépendante de l’exécutif dont il est le chef. [IMPACT.SN avec APS]