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« Le terrorisme d’aujourd’hui, c’est territorialisation et statistiques »

Jeudi 29 Décembre 2016

« Le terrorisme d’aujourd’hui, c’est territorialisation et statistiques »
ENTRETIEN AVEC ABDELHAK BASSOU (CHERCHEUR SENIOR A OCP POLICY CENTER, MAROC)
 
Pour l’ancien directeur central des renseignements généraux du Maroc, présent à la 5e édition des « Dialogues Atlantiques » à Marrakech, le phénomène terroriste, loin d’être nouveau pour les Etats, a pris des formes nouvelles. Une transformation qui impose, notamment aux pays africains de l’espace saharo-sahélien, d’indispensables efforts de mutualisations de leurs ressources.
 
Le terrorisme est devenu une problématique mondiale et africaine. Est-ce une surprise pour vous, ancien responsable des services marocains ?
 Une surprise, non ! D’abord parce que le terrorisme n’a pas commencé dans les dernières décennies. On a connu le terrorisme des années 70 qui était de type européen. On a connu les Brigades Rouges italiennes, la bande à Andreas Bader en Allemagne, Action Directe en France, les Cellules communistes belges… Ce n’est pas une surprise que, à travers le temps et l’histoire, certaines personnes ou certains groupes défendent leurs idées ou ce qu’ils veulent par la terreur. Maintenant, ce qui est peut-être surprenant, ce sont les formes prises par le terrorisme. D’abord en termes de chiffres avec des statistiques qui se sont amplifiées dans des proportions qui font peur. Ensuite, il y a le phénomène de la territorialisation, c’est-à-dire une organisation terroriste qui occupe un territoire. C’est peut-être cela qui est surprenant à mes yeux.
 
Aujourd’hui, presque toute la bande sahélo-saharienne est jugée infestée de violences et trafics de toutes sortes. Quelle est en serait l’origine ?
 Si on prend l’espace sahélo-saharien, on sait que la première fois où on y a vu des terroristes, c’était dans le nord du Mali. Mais ils n’étaient pas des Sahéliens, donc pas des Africains. C’étaient des groupes algériens repoussés par les services de sécurité algériens et qui fuyaient en direction du nord malien. Dans ce territoire du Sahel, ce qui aide un peu les mouvements terroristes, c’est la géographie. C’est un désert, un no man’s land, on n’y est nulle part ! Ce que l’on appelle les zones grises dans la mesure où l’espace échappe au contrôle des Etats.
Si l’on prend les frontières qu’ont en commun l’Algérie, le Mali, le Niger, le Tchad, la Libye, elles font plusieurs milliers de kilomètres. Cela fait qu’aucun de ces Etats n’est en mesure de surveiller seul ses propres frontières. Celles-ci, avant de servir le terrorisme, ont servi les divers trafics sur lesquels sont venus se greffer des mouvements violents. Par la suite, nous savons qu’il y a eu des recrutements parmi les populations sahéliennes au sein des populations africaines. Les choses se sont développées parce que les Etats de la région n’ont pas les moyens de contrôler cette zone grise.
 
Dans quelle mesure l’intervention militaire franco-anglaise inachevée ou ratée en Libye en 2011 a-t-elle contribué à exacerber la question ?
 Inachevée, peut-être. Ratée, je ne crois pas. Le dire, c’est affirmer qu’il n’y a pas eu de résultat. Or, il y a eu bel et bien un résultat. Au début, c’est grâce à Serval que le sud du Mali, au moins, est encore là. La France savait qu’à elle seule elle ne pouvait pas régler le problème. Ce qu’elle pouvait et qu’elle a fait, c’était de parer au plus urgent : empêcher Ansardine d’aller plus vers le sud. Ces groupes se sont disséminés et sont en train aujourd’hui de se regrouper. La question est de savoir quelles sont les mesures prises afin qu’ils ne reviennent pas. Mais le gros problème est que les armées du Mali et du Niger, ou du Tchad à un degré moindre, ne sont pas en mesure de contenir ces flux terroristes. Ils n’en ont pas les moyens !
 
Qu’est-ce qu’il faudrait faire ?
Physiquement, si les groupes terroristes fuient, comment faire pour les empêcher de revenir ? Ça, c’est un travail sécuritaire et militaire. Pour que ces groupes ne reviennent pas, il y a quand même d’autres types d’intervention ! Par exemple, le Maroc a entamé un  processus qui vise à former les imams. Cette action de grande ampleur va priver les terroristes de générations de jeunes gens et filles car ces imams vont savoir diffuser l’islam vrai, l’islam tolérant.
 
C’est la réponse doctrinale.
C’est la réponse doctrinale qui fait quand même que l’on s’assure que le phénomène ne reviendra pas. Et c’est dans ce sens-là que Serval ne pouvait pas disposer du long souffle que requière l’entreprise, car budgétairement cela coûte beaucoup d’argent. Serval ne pouvait donc pas rester. C’est pour cela que les groupes terroristes sont en train de revenir.
 
Les dépenses militaires et sécuritaires liées à cette lutte constituent un nouveau fardeau pour des pays pauvres déjà confrontés à de gros problèmes. 
C’est vrai. Il y a une prolifération d’organisations dédiées à la lutte antiterroriste dans le Sahel. Il y a la Cen-Sad, le G5-Sahel, la Commission du Golfe de Guinée, etc. Le problème est qu’à chaque fois que surgit un problème, on crée un organe ! Déjà, si on arrivait à mutualiser tous les efforts et tout l’argent et tous les budgets qui sont injectés dans ces organisations, on serait un peu plus forts ! Aujourd’hui, si nous prenons l’Union africaine dans sa totalité, il y a des pays qui ne sont pas encore touchés par la violence du terrorisme et qui, eux, peuvent mettre leurs moyens à la disposition des pays qui sont touchés.
 
A quelles fins ?
 
D’une part, ce serait pour les aider à combattre le phénomène, et d’autre part, d’empêcher le terrorisme de toucher ces pays non encore touchés. Jusqu’à présent, ces efforts de mutualisation ne sont pas encore faits. De fait, les Etats africains, les régions africaines avancent dans leur lutte contre le terrorisme en ordres dispersés. (Par Momar DIENG, Marrakech)
 
BIO EXPRESS
Abdelhak Bassou est Senior Fellow à l’OCP Policy Center. Il a occupé diverses fonctions au Maroc : préfet de police, chef de la division de la police des frontières de 1978 à 1993 à la direction générale de la Sûreté nationale, directeur de l’Institut royal de police, directeur central des Renseignements généraux de 2006 à 2009. Diplômé de la faculté des sciences juridiques, économiques et sociales d’Agdal à Rabat. Auteur d’un mémoire intitulé : « L’Organisation Etat islamique, naissance et futurs possibles. »
 
 
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