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Les « inscriptions massives » du Conseil Constitutionnel.

Vendredi 28 Juillet 2017

Les « inscriptions massives » du Conseil Constitutionnel.
Suite à la saisine du Conseil Constitutionnel par le président de la République, en date du 24 juillet 2017 pour avis sur la possibilité pour les citoyens n’ayant pu disposer de leur carte d’électeur puissent voter aux législatives du 30 juillet 2017 avec d’autres pièces administratives (passeport, permis de conduire, carte d’électeur numérisé, etc.) que la carte d’électeur biométrique CEDEAO, ledit Conseil a rendu, le 26 juillet 2017, un avis favorable au souhait du Chef de l’Etat.

Parmi les considérants contenus dans la décision n°08/2017 en date du 26 juillet 2017, deux méritent une analyse particulière. Il s’agit notamment des considérants numéros 6 et 7.
Sur le considérant n°6, les juges constitutionnels considèrent « qu’en raison des circonstances exceptionnelles dans lesquelles se déroule le processus d’organisation des prochaines élections législatives prévues le 30 juillet 2017 caractérisées notamment par les inscriptions massives ainsi que des lenteurs et dysfonctionnements dans la distribution des cartes d’électeur non imputables aux citoyens eux-mêmes, de nombreux sénégalais jouissant de leurs droits civils et politiques et inscrits sur les listes électorales risquent d’être privés de l’exercice du droit de vote garanti par la Constitution ».

Selon les juges, deux considérations de fait les ont poussés à donner un avis positif au Chef de l’Etat, qui sont les suivantes : les inscriptions massives et les lenteurs et dysfonctionnements dans la distribution des carte d’électeur non imputables aux citoyens. Le dernier motif constitue en soi un désaveu au Chef de l’Etat qui, dans sa lettre de saisine du Conseil Constitutionnel en date du 24 juillet, imputait la responsabilité aux « lenteurs notées dans le retrait des cartes d’électeur ». Alors qu’en l’espèce, le Conseil Constitutionnel désigne l’Etat comme unique et seul responsable de cette situation.

En ce qui concerne les « inscriptions massives », aucun considérant de la Décision du Conseil Constitutionnel ne démontre expressément le soi-disant caractère massif des inscriptions sur le fichier électoral. Le Conseil Constitutionnel a fait preuve d’un manque de rigueur dans la détermination de l’exactitude matérielle des faits en versant indubitablement dans la spéculation. Nous osons espérer que le Conseil Constitutionnel ne s’est pas fondé sur les chiffres annoncés par l’Etat pour parler « d’inscriptions massives ».

Faut-il rappeler que, lors des élections législatives du 29 avril 2001, le nombre d’électeurs inscrits était estimé à 2 804 352 (Décision n°83/2001 du Conseil Constitutionne1 en date du 12 mai 2001 portant proclamation des résultats des législatives). Quant aux élections législatives en date du 03 juin 2007, le nombre d’électeurs inscrits était arrêté à 5 004 096 (Décision n°101/2007 en date du 14 juin 2007 portant proclamation des résultats des législatives). Il ressort des deux situations de référence qu’entre 2001 et 2007, le fichier électoral a connu une augmentation de 2 199 744 inscrits soit 78,4%.

Concernant les élections législatives de 2012, le fichier électoral avait enregistré 5 368 783 électeurs inscrits (Décision du CC du 1 juillet 2012). En revanche, il ressort du journal l’Observateur n°4151 en date du 26 juillet 2017, qu’à la date du 24 juillet 2017, le fichier est à 6 200 000 d’électeurs soit une augmentation de 831 217 électeurs par rapport à 2012 (+15,5%).
Au regard de l’augmentation du nombre d’inscrits aux législatives de 2007 et à celles de 2017, le Conseil Constitutionnel était--il en droit de parler d’inscriptions massives en l’espèce ?

Mieux, lors des élections législatives de 2007, aucun recours n’a été enregistré par le Conseil Constitutionnel, comme en atteste le Considérant n°2 de la Décision du CC n°101/2007 précitée, qui dit : « qu’aucun candidat n’a à compter de la proclamation provisoire, contesté la régularité des opérations électorales dans les délais prescrits… ». Cette absence de contestation avait été bien relevée par le Professeur Ismaïla Madior FALL dans ses « Observations » à la Décision susvisée, publiée à la page 546 de son ouvrage intitulé : « Les Décisions et avis du Conseil Constitutionnel du Sénégal ».

Par ailleurs, faut-il aussi préciser que les élections législatives de 2007 et celles de 2017 sont marquées par l’institution de nouvelles cartes d’électeurs.

En effet, par la loi n°2005-28 du 6 septembre 2005, abrogeant la loi n°62-14 du 20 février 1962 sur les cartes nationales d’identité, il a été institué la carte nationale d’identité sénégalaise numérisée. Donc, il fallait aussi mettre en place tout un processus d’enrôlement des électeurs et de distribution des cartes d’électeurs.

Pour les élections législatives de 2017, il a été institué une carte d’identité biométrique CEDEAO, par la loi n°2006-09 du 14 mars 2006 qui nécessitait elle aussi, un processus similaire.
Si le Conseil Constitutionnel avait adopté une démarche analogique, il ne parlerait jamais d’inscriptions massives car la situation de référence ne saurait guère être les chiffres annoncés par les services du ministère de l’Intérieur.

Sur le considérant n°7, l’utilisation de la notion « à titre exceptionnel », montre à suffisance que le Conseil Constitutionnel est à court d’arguments constitutionnel et législatif avalisant ainsi le vote avec un récépissé accompagné d’autre pièce administrative (exclusion faite du permis de conduire). C’est la raison pour laquelle dans ce même considérant, en soulignant que « …le détenteur d’un récépissé dont l’inscription effective sur les listes électorales a été vérifiée, peut être autorisé à voter… ».
 
Le CC a semblé faire de cette option voulue par le Président de la République une faculté, avant de se rétracter pour en faire une obligation.

En tout état de cause, la Conseil Constitutionnel avait l’obligation de protéger la Constitution qui définit clairement le domaine de la loi et celui du règlement. Ainsi, cette possibilité proposée à l’électeur par le CC ne devait venir que des parlementaires d’où le caractère inopportun du communiqué du Ministère de l’Intérieur et de la Sécurité publique, en date du 27 juillet 2017.
Birahime SECK
 
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