Par Maurice Soudieck DIONE (*)
Les réformes votées par référendum le 20 mars 2016 et classées dans l’ordonnancement juridique à travers la loi constitutionnelle n° 2016-10 du 05 avril 2016, comportent des innovations déclarées allant dans le sens du renforcement des droits de l’opposition et de son chef.
Dans cette optique, le dernier alinéa de l’article 4 dispose : « Les règles de constitution, de suspension et dissolution des partis politiques, les conditions dans lesquelles ceux-ci exercent leurs activités et bénéficient d’un financement public sont déterminées par la loi ».
Des dispositions de ce texte il ressort donc que les partis politiques doivent bénéficier d’un financement public, dans des conditions à préciser par la loi ; une loi en l’absence de laquelle ce droit est encore ineffectif, d’autant plus qu’aucune mesure concrète ne semble encore prise pour réfléchir, en accord avec tous les partis, afin de le matérialiser.
Le financement public des partis politiques devrait permettre de réduire les travers relatifs à l’abus de position dominante par le parti ou la coalition de partis au pouvoir, d’atténuer l’asymétrie et les disparités criantes dans les moyens susceptibles d’être mobilisés à l’assaut des suffrages des Sénégalais. Des mesures doivent également être prises pour contrôler et limiter les dépenses de campagne électorale.
L’autre nouveauté présumée est relative aux candidatures indépendantes. En effet, selon l’article 4 alinéa 2 de la loi constitutionnelle n° 2016-10 du 05 avril 2016 : « La Constitution garantit aux candidats indépendants la participation à tous les types d’élection dans les conditions définies par la loi ».
Cette innovation doit être relativisée, car cette possibilité donnée à des citoyens sans affiliation partisane de compétir aux élections existait déjà et a été juridiquement exploitée de manière constante depuis 1993. En effet, lors de la présidentielle de cette année, Mamadou Lô était candidat indépendant, alors qu’aux législatives il était membre d’une coalition dénommée Jappo liggéeyal Senegaal, constituée avec AJ/PADS de Landing Savané, la CDP/Garab gi d’Iba Der Thiam et le RND de Madior Diouf.
La présidentielle de 2000 a enregistré la candidature indépendante de Mademba Sock. En 2007, les candidats indépendants ont été nombreux à affronter le Président Wade : Mamadou Lamine Diallo, Me Mame Adama Guèye, Modou Dia, entre autres, et en 2012, encore plus : Ibrahima Fall, Amsatou Sow Sidibé, Mor Dieng, Djibril Ngom etc.
En l’état donc du droit d’avant le référendum de mars 2016, la loi n° 2014-18 du 15 avril 2014 abrogeant et remplaçant la loi n° 2012-01 du 03 janvier 2012 portant code électoral autorise les candidatures indépendantes aussi bien pour l’élection présidentielle (article LO. 114) que pour les élections législatives (article L. 143).
Mais les candidatures indépendantes en tant que telles sont exclues pour les élections locales : départementales et communales, où seuls les partis ou coalitions de partis légalement constitués sont autorisés à compétir (articles L. 193, L. 198 et L. 236). Pour faire valoir ses ambitions légitimes aux élections locales, le candidat indépendant ne pouvait donc que se faire porter par un parti politique, ou entrer dans une coalition de partis politiques légalement constitués.
Donc l’autorisation des candidatures indépendantes pour tout type d’élection par l’article 4 alinéa 2, ne vaut en réalité que pour les élections locales. Or une loi aurait suffi pour cela, sachant qu’une fois que des droits et libertés sont octroyés, le processus de retour en arrière comporte souvent des coûts politiques exorbitants, dont se préserve tout régime lucide. Au surplus, ce n’est pas parce qu’un droit est inscrit dans la Constitution qu’il est forcément respecté, il y a encore au Sénégal des efforts à faire en ce sens, pour banaliser l’exercice des libertés publiques prévues par le texte juridique suprême.
Au demeurant, il semble que la restriction concernant les élections locales pour les candidatures indépendantes était plus liée à des craintes relatives à une bonne organisation des scrutins, au cas où il y aurait une pléthore de listes, pouvant brouiller par ailleurs la lisibilité des programmes et le choix des électeurs, en plus du coût financier élevé.
Dans le registre du statut de l’opposition, l’alinéa 3 de l’article 58 de la loi constitutionnelle n° 2016-10 du 05 avril 2016 dispose : « La loi définit ce statut et fixe les droits et devoirs y afférents ainsi que ceux du Chef de l’opposition ». Ces dispositions ne sont pas encore mises en œuvre.
Cependant, il ne me semble pas utile de conférer un statut de chef de l’opposition, avec des avantages et privilèges qui peuvent être de nature à réfréner les ardeurs de celui-ci dans son rôle d’opposant, en le rapprochant des tenants du pouvoir. Il semble qu’à l’origine, le projet de désigner un chef de l’opposition obéissait à des calculs politiques du Président Wade, dans la perspective de jouer sur la rivalité entre Ousmane Tanor Dieng dont la formation politique, le Parti socialiste avait obtenu aux législatives de 2001, 326. 126 voix correspondant à 10 sièges, et Moustapha Niasse qui totalisait avec l’AFP (Alliance des forces de progrès) 11 sièges avec moins de voix, 303. 150, en raison du scrutin majoritaire au niveau départemental.
Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir et d’écueils à éviter pour assurer de manière effective les droit et libertés de l’opposition, qui est un organe vital dans tout système démocratique qui se respecte.
(*) Docteur en Science politique
Enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis
Les réformes votées par référendum le 20 mars 2016 et classées dans l’ordonnancement juridique à travers la loi constitutionnelle n° 2016-10 du 05 avril 2016, comportent des innovations déclarées allant dans le sens du renforcement des droits de l’opposition et de son chef.
Dans cette optique, le dernier alinéa de l’article 4 dispose : « Les règles de constitution, de suspension et dissolution des partis politiques, les conditions dans lesquelles ceux-ci exercent leurs activités et bénéficient d’un financement public sont déterminées par la loi ».
Des dispositions de ce texte il ressort donc que les partis politiques doivent bénéficier d’un financement public, dans des conditions à préciser par la loi ; une loi en l’absence de laquelle ce droit est encore ineffectif, d’autant plus qu’aucune mesure concrète ne semble encore prise pour réfléchir, en accord avec tous les partis, afin de le matérialiser.
Le financement public des partis politiques devrait permettre de réduire les travers relatifs à l’abus de position dominante par le parti ou la coalition de partis au pouvoir, d’atténuer l’asymétrie et les disparités criantes dans les moyens susceptibles d’être mobilisés à l’assaut des suffrages des Sénégalais. Des mesures doivent également être prises pour contrôler et limiter les dépenses de campagne électorale.
L’autre nouveauté présumée est relative aux candidatures indépendantes. En effet, selon l’article 4 alinéa 2 de la loi constitutionnelle n° 2016-10 du 05 avril 2016 : « La Constitution garantit aux candidats indépendants la participation à tous les types d’élection dans les conditions définies par la loi ».
Cette innovation doit être relativisée, car cette possibilité donnée à des citoyens sans affiliation partisane de compétir aux élections existait déjà et a été juridiquement exploitée de manière constante depuis 1993. En effet, lors de la présidentielle de cette année, Mamadou Lô était candidat indépendant, alors qu’aux législatives il était membre d’une coalition dénommée Jappo liggéeyal Senegaal, constituée avec AJ/PADS de Landing Savané, la CDP/Garab gi d’Iba Der Thiam et le RND de Madior Diouf.
La présidentielle de 2000 a enregistré la candidature indépendante de Mademba Sock. En 2007, les candidats indépendants ont été nombreux à affronter le Président Wade : Mamadou Lamine Diallo, Me Mame Adama Guèye, Modou Dia, entre autres, et en 2012, encore plus : Ibrahima Fall, Amsatou Sow Sidibé, Mor Dieng, Djibril Ngom etc.
En l’état donc du droit d’avant le référendum de mars 2016, la loi n° 2014-18 du 15 avril 2014 abrogeant et remplaçant la loi n° 2012-01 du 03 janvier 2012 portant code électoral autorise les candidatures indépendantes aussi bien pour l’élection présidentielle (article LO. 114) que pour les élections législatives (article L. 143).
Mais les candidatures indépendantes en tant que telles sont exclues pour les élections locales : départementales et communales, où seuls les partis ou coalitions de partis légalement constitués sont autorisés à compétir (articles L. 193, L. 198 et L. 236). Pour faire valoir ses ambitions légitimes aux élections locales, le candidat indépendant ne pouvait donc que se faire porter par un parti politique, ou entrer dans une coalition de partis politiques légalement constitués.
Donc l’autorisation des candidatures indépendantes pour tout type d’élection par l’article 4 alinéa 2, ne vaut en réalité que pour les élections locales. Or une loi aurait suffi pour cela, sachant qu’une fois que des droits et libertés sont octroyés, le processus de retour en arrière comporte souvent des coûts politiques exorbitants, dont se préserve tout régime lucide. Au surplus, ce n’est pas parce qu’un droit est inscrit dans la Constitution qu’il est forcément respecté, il y a encore au Sénégal des efforts à faire en ce sens, pour banaliser l’exercice des libertés publiques prévues par le texte juridique suprême.
Au demeurant, il semble que la restriction concernant les élections locales pour les candidatures indépendantes était plus liée à des craintes relatives à une bonne organisation des scrutins, au cas où il y aurait une pléthore de listes, pouvant brouiller par ailleurs la lisibilité des programmes et le choix des électeurs, en plus du coût financier élevé.
Dans le registre du statut de l’opposition, l’alinéa 3 de l’article 58 de la loi constitutionnelle n° 2016-10 du 05 avril 2016 dispose : « La loi définit ce statut et fixe les droits et devoirs y afférents ainsi que ceux du Chef de l’opposition ». Ces dispositions ne sont pas encore mises en œuvre.
Cependant, il ne me semble pas utile de conférer un statut de chef de l’opposition, avec des avantages et privilèges qui peuvent être de nature à réfréner les ardeurs de celui-ci dans son rôle d’opposant, en le rapprochant des tenants du pouvoir. Il semble qu’à l’origine, le projet de désigner un chef de l’opposition obéissait à des calculs politiques du Président Wade, dans la perspective de jouer sur la rivalité entre Ousmane Tanor Dieng dont la formation politique, le Parti socialiste avait obtenu aux législatives de 2001, 326. 126 voix correspondant à 10 sièges, et Moustapha Niasse qui totalisait avec l’AFP (Alliance des forces de progrès) 11 sièges avec moins de voix, 303. 150, en raison du scrutin majoritaire au niveau départemental.
Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir et d’écueils à éviter pour assurer de manière effective les droit et libertés de l’opposition, qui est un organe vital dans tout système démocratique qui se respecte.
(*) Docteur en Science politique
Enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis