La liste provisoire des candidats retenus à la prochaine élection présidentielle est connue. Sans beaucoup de surprise, Khalifa Sall et Karim Wade, deux sérieux prétendants au fauteuil présidentiel ont été écartés de la course. Par des subterfuges juridiques, les uns plus arbitraires que les autres, la volonté du président-candidat Macky Sall de choisir ses adversaires politiques a ainsi été insidieusement exécutée et faussement légitimée par les sages du Conseil constitutionnel.
La plus haute instance de notre système judiciaire a encore courbé l’échine devant la pression et les desiderata du pouvoir exécutif, incarné par un président qui n’en a cure des blâmes des avis livrés par des juridictions sous régionales et internationales dont le Sénégal est pourtant membre.
Élire Macky Sall en 2012 a été une des erreurs les plus impardonnables que le peuple ait commise dans son évolution. Il est arrivé au pouvoir de façon démocratique par la confiance et l’espoir que la majorité des électeurs avaient placés en lui, mais il est prêt à perpétuer son règne par les défauts les plus abjects des tyrans.
Voilà un homme qui n’a ni la grandeur des sages habités continuellement par le doute raisonnable, ni la transcendance des chefs magnanimes et encore moins la noblesse des visionnaires soucieux des souvenirs de la postérité. Des qualités nécessaires aux leaders qui ont marqué positivement l’histoire de l’humanité.
Lorsque tous les pouvoirs quasi divins sont remis entre les mains d’un seul homme, il faut que ce dernier ait suffisamment de qualités humaines pour ne pas en abuser. La tentation est forte d’opprimer son peuple s’il vous suffit d’un simple coup de fil pour museler dans la violence toute contestation populaire. La tentation est grande d’instrumentaliser la justice en votre faveur si les hommes qui doivent dire le droit lient leur destin au vôtre. Entouré de courtisans et de laudateurs, il vous sera aussi difficile de tendre une oreille attentive à ceux qui vous contredisent et rament à contre-courant de votre vision.
Le président–candidat, Maky Sall, a une conception diabolique et deshumanisante de la politique. Une vision binaire de la réalité politique selon laquelle les alliés méritent tous les privilèges indus et les adversaires : l’humiliation, la privation et le déshonneur. La contradiction l’indispose et l’opposition l’offense. Revoyez ses réactions épidermiques et colériques lorsque son interlocuteur ne flatte pas son égo. Il n’argumente pas, mais étouffe intérieurement d’autoritarisme. C’est à peine s’il répond.
Avec la complicité d’une justice politisée, il a gravi tous les échelons de l’humiliation humaine envers l’opposant et ancien maire de Dakar, Khalifa Sall. Il ressemble bien à ce tortionnaire qui prend un énorme plaisir devant chaque décharge électrique que reçoit la victime dont tout le corps est enchainé. C’est lorsque sa victime est à terre, désarmée et sans secours qu’il se montre davantage impitoyable.
Pensez, chers lecteurs, à la torture morale du prisonnier politique dans sa cellule au moment où d’autres personnes ayant commis des crimes plus graves que les siens se pavanent impunément à l’air libre… Personne n’aimerait être à sa place.
Certes, l’ancien président Abdoulaye Wade n’était nullement exempt de reproches dans sa gouvernance politique, cependant il s’est toujours comporté en gentleman avec ses adversaires. La rivalité ne lui faisait pas peur et il savait battre ses plus farouches opposants par la ruse et par des manœuvres raffinées. Derrière le politicien futé, l’élégance de l’Homme n’était jamais loin dans les propos et les gestes. Il était difficile de percevoir une once de haine viscérale ou de méchanceté gratuite dans les coups qu’il savait donner intelligemment.
On ne regrette pas son départ, car nous l’avions combattu pour les bonnes raisons lorsque sa gouvernance, gagnée par les aléas de l’usure du pouvoir, l’arrogance des fidèles et les caprices d’un fils trop aimé, dérivait dangereusement.
Malgré tout, il a été un leader avec ses grandes qualités et ses défauts intrinsèquement humains, et c’est ce qui explique encore cette marque de sympathie inaltérable et d’affection candide qui habite toujours la plupart d’entre nous à l’évocation de son nom.
Après le chaos du système de parrainages des candidats que tous les observateurs avertis de la scène politique ont dénoncé, on peut dire qu’un simulacre d’élection se profile ainsi à l’horizon. Une compétition dans laquelle les règles primaires d’égalité des chances et des droits des compétiteurs n’ont pas été respectées au départ. De l’exclusion délibérée et planifiée de potentiels candidats à la course aux soupçons fondés de l’existence d’un double fichier électoral, en passant par la rétention ciblée des cartes d’électeurs, tout indique que le plan de confiscation du pouvoir par la triche et le vol est en train d’être lâchement exécuté.
Néanmoins, la plus grande erreur que le peuple pourrait commettre est d’abdiquer, se résoudre fatalement à l’idée que les élections sont gagnées d’avance et qu’il ne sert à rien de se battre pour garder l’héritage démocratique pour lequel des hommes et des femmes se sont battus au péril de leur vie. Le passage au premier tour du candidat-président reste encore une vue de l’esprit malgré tout le tintamarre médiatique de propagande politique autours des scores préfabriqués.
S’il était assuré de sa victoire, il ne procéderait pas aux inaugurations tous azimuts d’infrastructures incomplètes à quelques jours du début de la campagne électorale. S’il était convaincu de l’infaillibilité des machinations administratives et judiciaires pour rester au pouvoir, il se montrerait plus serein dans les propos et les gestes.
Une démocratie n’est jamais complètement achevée. Les actions dictatoriales d’un chef, obsédé par l’obtention d’un second mandat, suffisent à la fragiliser. Il est alors de la responsabilité de chaque citoyen de se battre farouchement pour la conserver, non pas pour les beau yeux de personnalités politiques spécifiques, mais pour les principes de respect d’un État de droit.
Lamine Niang