La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest s’est réunie ce 8 février en urgence à Abuja (Nigéria) pour examiner plusieurs dossiers dont ceux du Mali, du Niger et du Burkina Faso.
Mais la ''star'' de la journée aura sans doute été le Sénégal, au sujet de qui des décisions (ou recommandations) sont attendues après le coup de semonce de la Commission contre le pouvoir de Macky Sall.
Lors d’un discours à la nation samedi 3 février, le président avait ouvert la porte de l’annulation de l’élection présidentielle fixée au 25 février 2024, arguant de problèmes entre l’assemblée nationale et le Conseil constitutionnel suite á la publication de la liste définitive des candidats retenus pour prendre part au scrutin. Une liste dont est absente Karim Wade, candidat a la candidature du Parti démocratique sénégalais (PDS), qui accuse deux magistrats du conseil de corruption.
Le 5 février, les députés du parti présidentiel, en intelligence étroite avec ceux du Pds, votent une loi constitutionnelle qui annule l’élection du 25 février et prolonge d’autant le bail de…Macky Sall au pouvoir jusqu’au 15 décembre 2024 au moins, date présumée d’une nouvelle présidentielle. Le mandat du chef d’Etat sénégalais expire le 2 avril 2024. L’opposition a d’ores et déjà annoncé qu’il ne le reconnaitra plus comme President sénégalais et demandé aux chancelleries et institutions régionales et internationales d’en faire autant.
La Cedeao, après une première réaction jugée timide, a dû en remettre une couche pour exiger des autorités sénégalaises le rétablissement urgent du calendrier électoral républicain et le respect de la Constitution. A la suite, les Etats-Unis, l’Union européenne, l’Allemagne, la France, l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) ont unanimement réclamé la tenue de l’élection présidentielle á la date du 25 février 2024, « conformément a la Constitution et à l’Etat de droit » sénégalais.
Souvent attaquée comme étant un « syndicat » des chefs d’Etat ouest-africains, la Cedeao se retrouve dans une position délicate au vu de la réputation, du poids et de l’influence du Sénégal dans la marche et le fonctionnement de l’institution d’intégration qu’elle est depuis plusieurs décennies.
Elle est allée très loin dans la confrontation avec le Mali et le Niger (et à un degré avec le Burkina Faso et la Guinée) lorsque ces pays ont basculé dans des régimes militaires. Des sanctions très lourdes ont été infligées á Bamako et Niamey pour « violation manifeste » des dispositions du Protocole additionnel communautaire sur la bonne gouvernance.
Après la chute du régime de Mohamed Bazoum, la Cedeao, sous l’influence radicale de la Côte d’Ivoire, du Bénin, du Nigeria et du…Sénégal (entre autres) a même tenté une opération militaire d’envergure pour remettre Bazoum au pouvoir. Elle s’est vite rendue compte qu’elle n’en avait ni les moyens ni la légitimité aux yeux d’une frange importante des populations ouest-africaines. A la fin, Mali, Niger et Burkina lui collent au coeur une Alliance des Etats du Sahel (AES) pour prendre leur destin an main, hors « influence de puissances extérieures » aux « intérêts fondamentaux contraires » á ceux des peuples de la sous-région.
C’est dans ce contexte défavorable et, surtout, alourdi par la décision des membres de l’AES de quitter le giron communautaire que la Cedeao doit se pencher sur la rupture du pacte démocratique sénégalais par le président Macky Sall et son régime. De sa conduite juste et équitable contre tous les putschistes de la communauté, dépendra sa capacité à redorer un tant soit un blason suffisamment terni pour réduire davantage l’espace de légitimité qu’il lui reste en Afrique de l’Ouest.