Le deuxième débat entre le candidat républicain et Hillary Clinton se tenait dimanche soir, à Saint-Louis, Missouri, après un week-end marqué par la publication d’une vidéo catastrophique pour Donald Trump, y tenant des propos sexistes et vulgaires. Trump n’a pu s’empêcher d’attaquer sa rivale plutôt que de détailler son programme. De quoi réjouir sa base électorale mais peut-être pas beaucoup plus.
Tout l’enjeu du débat présidentiel de dimanche soir 9 octobre était là : Donald Trump allait-il réussir à se remettre en selle après un week-end marqué par la publication d’une vidéo catastrophique pour sa campagne, montrant un homme plus misogyne et vulgaire que jamais ? Comment allait-il s’y prendre ? Ce débat politique allait-il nous amener encore plus bas sur l’échelle de la vulgarité ? Nous avions la réponse avant même le début du débat télévisé.
Donald Trump allait tout bonnement prendre sa revanche en organisant une conférence de presse surprise, une heure avant le début des hostilités et au même endroit (Saint-Louis dans le Missouri), en conviant à ses côtés trois femmes accusant l’ancien président Bill Clinton d’agression sexuelle dans les années 1990 : Juanita Broaddick (qui a poursuivi Bill Clinton en 1999 mais dont la plainte fut rejetée), Paula Jones (ayant conclut une entente à l’amiable avec Clinton en 1998), Kathleen Willey (accusation n’ayant donné lieu à une action en justice).
Toutes trois venant dire tout le mal qu’elles pensent du mari de la candidate démocrate, et soutenir Donald Trump. « M. Trump a peut-être dit des gros mots, mais Bill Clinton m’a violée et Hillary Clinton m’a menacée. Il n’y a aucune comparaison possible », a ainsi déclaré Juanita Broaddick. Elles furent rejointes par une quatrième femme, Kathy Shelton, violée en Arkansas lorsqu’elle avait 12 ans et dont l’agresseur fut défendu par Hillary Clinton, alors avocate de métier.
Notons que cette conférence n’avait pas dû être improvisée à la dernière minute puisque les trois femmes accusant Bill Clinton s’installèrent ensuite dans la salle où allait se dérouler le débat, au milieu d’un public trié sur le volet, dont certains membres allaient bientôt pouvoir poser leurs questions aux candidats (c’était la forme choisie pour ce deuxième débat : questions du public et relance des deux journalistes jouant les modérateurs)…
A ce stade, la guerre est donc totale. Les deux candidats prennent place sur scène sans même se serrer la main. Ce qui suit est un débat hostile, tendu, au cours duquel Hillary Clinton se pose en candidate rassembleuse, expérimentée et informée, face à un homme en colère n’ayant jamais occupé une quelconque fonction politique et peinant à convaincre qu’il en a la capacité.
Le débat commence logiquement par une série de questions sur la vidéo assortie d’une bande son publiée vendredi 7 octobre par le Washington Post. Dans ce document datant de 2005, exhumé des archives de la chaîne NBC, on entend Donald Trump expliquer que « quand on est une star, on peut faire ce qu’on veut avec les femmes », notamment « les attraper par la chatte ».
Trump balaye d’abord la polémique en la qualifiant de « conversation de vestiaires », prenant le pas sur « les vrais sujets comme la lutte conte l’Etat islamique ». Pressé par les modérateurs, il précise tout de même qu’il n’est « pas fier » (il s’est excusé pour ses propos tenu en 2005 dès vendredi), assure que « personne n’a plus de respect pour les femmes que lui », et qu’il n’a « jamais embrassé une femme sans son consentement »… Puis au bout de dix minutes, il repasse à l’offensive. Son ton se fait plus agressif.
Pendant l’heure et demie qui suit, Trump se montre en effet incapable de s’en tenir aux sujets importants qu’il évoquait plus haut. Il ne peut s’empêcher d’attaquer et de menacer son adversaire plutôt que d’utiliser son temps de parole pour argumenter clairement en faveur des réformes qu’il évoque (sa stratégie de lutte contre l’Etat islamique ou son plan pour protéger l’industrie minière aux Etats-Unis). Sa critique de l’élite de Washington et d’un système économique en panne, celle qui a essentiellement fait son succès, n’aboutit pas, elle est noyée dans ses accusations. Il balaye régulièrement les questions du public pour repartir à la charge contre Hillary Clinton, sur la défensive.
Elle mériterait « la prison » pour ses affaires d’emails, son plan de hausse de l’impôt est « un désastre », ses propositions pour régler la crise syrienne vagues (« Vous ne savez même pas qui sont les rebelles ! »), son plan pour l’emploi jugé vide (« Elle ne fera que parler et encore parler, rien d’autre »). Interrogé sur sa vision de la Cour suprême – où un poste décisif est à pourvoir puisqu’il fera basculer la majorité des juges y siégeant d’un côté ou de l’autre de l’échiquier politique –, Donald Trump évoque la « liste magnifique » de noms de juges potentiels qu’il a dressée. Hillary Clinton détaille ce qui orientera son choix, de la protection du droit à l’avortement à celle du mariage gay en passant par la révision de l’arrêt Citizen United (considéré comme l’acte de naissance du financement privé massif des campagnes électorales). Même chose sur la grande réforme de l’assurance-santé de Barack Obama qu’Hillary Clinton veut préserver et améliorer. Donald Trump estime qu’elle ne « fonctionnera jamais », « c’est un désastre ».
Si ce type de déclarations convaincra la base électorale de Donald Trump, très remontée contre Barack Obama et précisément contre cette loi, il est peu probable qu’elles l’aident à séduire au-delà. Les derniers sondages ne sont pas bons pour l’homme d’affaires, Hillary Clinton le devance en moyenne de 5 points, largement aidée par les dernières polémiques affectant Trump, l’affaire de ses feuilles d’impôts et surtout ses propos misogynes.
Ces derniers ont en effet provoqué une véritable tempête politico-médiatique au sein d’un parti républicain se posant en défenseur des bonnes mœurs, et plus largement dans un pays où les insultes et allusions sexuelles sont encore fréquemment censurées dans les grands médias. Pour les démocrates, ça ne pouvait en revanche pas mieux tomber : face à leur candidate « historique », une femme, voilà un homme sans aucune expérience politique qui se vante d’attraper celles-ci par la vulve quand ça lui chante.
Cette configuration peut sérieusement affecter le taux de participation le 8 novembre, en démobilisant certains électeurs de droite et en motivant au contraire les indécis et les démocrates jusque-là peu séduits par la candidature d’Hillary, estimant désormais qu’il est nécessaire d’aller voter pour faire barrage à Donald Trump. C’est notamment le cas des femmes.
Ces jours-ci, le parti républicain est donc en plein désarroi, non seulement inquiet de perdre une troisième fois d’affilée la course à la Maison blanche, mais aussi de perdre la majorité à la Chambre des représentants et au Sénat qu’il détient depuis 2010 – le 8 novembre est aussi le jour des élections au Congrès.
C’est précisément ce qui motive, depuis vendredi soir, des dizaines d’élus républicains à se désolidariser de Donald Trump, voire à demander son remplacement. Inquiet de perdre son siège s’il reste dans son orbite, le sénateur de l’Arizona et ancien candidat à la présidentielle John McCain fut l’un des premiers à appeler Trump à quitter la course, bientôt suivi par l’ancienne secrétaire d’Etat Condoleezza Rice, Mitt Romney, et quantités d’élu(e)s au Congrès. Même Mike Pence, le colistier de Donald Trump, a condamné ses propos et refusé de faire campagne avec lui ce week-end. Il s’est rattrapé après le débat en se disant « fier d’être à ses côtés ».
Selon le décompte du New York Times, 160 élus et cadres du parti républicain se sont ainsi désolidarisés du candidat depuis son entrée en campagne ainsi que le moment où chacun a rompu)
Où cela peut-il mener ? Remplacer Donald Trump par un autre candidat à ce stade n’est pas impossible mais très peu probable puisque le vote anticipé a déjà commencé dans une dizaine d’Etats. L’homme d’affaires n’a lui aucune intention d’abandonner, et il compte sur le soutien de sa base « loyale et motivée », a-t-il déclaré. En attendant un nouveau rebondissement dans cette campagne, le parti républicain américain continue d’imploser sous nos yeux. (Mediapart)