Il y a 30 ans, un différend entre éleveurs et agriculteurs se transformait en un conflit entre deux Etats. Les heurts survenus à Diawara allaient déboucher sur 4 ans de divergence entre le Sénégal et la Mauritanie. Ce conflit a connu son lot de morts, de familles séparées, etc. A l’image de tous les villages de la rive gauche du fleuve Sénégal, le mien aussi a souffert de ce conflit. Ses habitants l’ont vécu dans leur chair, presque en vase clos. En ces temps de disette médiatique, à un siècle de nos nouvelles technologies de l’information, rares sont ceux qui savaient réellement ce qu’ont enduré ces populations de la Vallée. Hélas ! Et pourtant, sur ce bout du Sénégal, il s’est passé des choses qui n’ont jamais été rapportées dans un journal, ni entendues dans une radio ou vues dans une télévision.
Au Sénégal et en Mauritanie, vivent les mêmes populations, a-t-on coutume de dire. C’est la réalité. Nos parents disposaient de terres de culture en Mauritanie. Pour nous, le fleuve n’a jamais été une barrière. Enfants, nous le traversions à la nage, en pirogue, et en saison sèche, à pied, lorsque le niveau de l’eau avait complètement baissé dans certains endroits du cours d’eau. Nous partions dans la forêt poursuivre les chameaux.
Nous nous amusions en vérité dans cette forêt où nous croisions les charbonniers, les éleveurs qui traversaient le fleuve à la quête de pâturages au Sénégal. Les échanges sont permanents. Dans notre village, il était très rare de voir le franc CFa. Notre monnaie était l’Ougouya, la devise mauritanienne, preuve que l’essentiel de nos échanges s’effectuait avec la Mauritanie. Les maures travaillaient en permanence chez nous. Ils gagnaient leur vie dans nos champs de riz. Ils étaient presque chez Eux.
Mais tout cela allait cesser un bon matin. L’on n’y croyait pas trop au début lorsque parvenaient les premières rumeurs sur le différend entre le Sénégal et la Mauritanie. L’on avait appris par radio Sénégal le pillage des boutiques maures à Dakar en réaction aux exactions subies par les Sénégalais à Nouakchott suite aux heurts qui ont opposé, le 9 avril 1989, des paysans sénégalais à des éleveurs nomades mauritaniens dans le village frontalier de Diawara. Et puis, l’autorité, le sous-préfet en l’occurrence, a débarqué un matin pour expliquer ce qui se passait et annoncer la fermeture de la frontière. Par mesure de sécurité, les pouvoirs publics avaient demandé aux maures de regagner la Mauritanie.
Jamais, l’on n’avait pensé que cela allait avoir des conséquences dans nos vies sur cette frontière qui n’en fut jamais une pour nous. Mais les signes avant-coureurs étaient là : des habitants rapportaient avoir fait l’objet d’intimidations, de harcèlements de la part de maures qui, il y a quelques semaines encore vivaient chez nous. Et puis un bon matin, l’impensable se produisit sous nos yeux : le rapatriement de populations au Sénégal sous le prétexte qu’elles ne sont pas mauritaniennes.
Tous les jours, le spectacle était le même : des familles entières, des éleveurs pour la plupart pointaient de l’autre côté du fleuve, escortées par des forces de l’ordre. On leur avait demandé de quitter, laissant leurs biens, pratiquement toute une vie derrière. Rares sont ceux qui parvenaient à sauver leur bétail. Et lorsque tout le monde avait quitté, les maisons étaient mises à feu.
La rupture s’est installée. Le Fleuve était devenu une barrière. Plus rien ne sera comme avant. Les familles furent divisées. Les échanges étaient interrompus. Finies les cérémonies familiales au cours desquelles tout le monde se retrouvait. L’on apprenait le décès d’un parent par radio Mauritanie des jours après alors qu’auparavant, il aurait juste suffit de dépêcher un envoyé à pied ou à cheval pour l’annonce. Subitement, l’autre côté de la rive qui nous était si familier était devenu étrange, voire un mystère. Plus personne ne savait ce qui se passait dans ces bois. Et du coup, l’apparition d’un individu de l’autre côté devenait un évènement, une curiosité. Tout le monde accourait pour voir. Si la frontière était fermée, il y avait tout de même des téméraires qui, au péril parfois de leur vie, bravaient cette interdiction.
Les militaires sénégalais passaient chez nous. Et après quelques heures de patrouille, ils regagnaient leur cantonnement distant d’environ 9 Km. Les choses furent encore plus difficiles lorsque les armes s’invitèrent dans le conflit. Il était complètement interdit d’aller se baigner dans le fleuve ou d’y mener une quelconque activité. Pour le faire, il fallait y aller tôt le matin. Les pêcheurs étaient obligés d’y aller vers l’aube pour une petite vérification de leurs filets. Il faut dire qu’en plein jour, on n’était pas à l’abri de tireurs embusqués de l’autre côté de la rive.
Ce fut le cas un matin alors que le village s’apprêtait à célébrer ses 10 ans de jumelage avec un village français. Il y avait sur place une délégation française et une autre venue de Dakar pour les circonstances. C’était un moment de fête. Le jour J, alors que quelques personnes se baignaient au fleuve, ce fut une salve de coups de feu dans le village pendant quelques instants. Deux blessés furent enregistrés. Cette attaque entacha l’ambiance de fête. Malgré tout, la cérémonie, initialement prévue à l’extérieur de la localité sous des tentes, eut lieu dans une maison.
Une autre matinée, ce ne fut pas une simple patrouille pour les militaires. C’était carrément un échange de tirs avec des éléments armés mauritaniens. Le véhicule militaire qui partait pour des renforts rata un virage et fit des tonneaux. Un soldat trouva la mort sur le coup. C’était la panique dans le village. Tout le monde avait pris ses affaires pour se réfugier à des dizaines de kilomètres, dans le village de Diamel Ciré, au Sud. Nous y sommes restés deux à trois jours avant de rentrer. Nous n’avions pas fini avec les harcèlements et les attaques de l’armée mauritanienne.
Cette fois-ci, ce fut carrément le déluge de feu. Ce jour-là, depuis tôt le matin, les habitants avaient constaté une forte présence de militaires de l’autre côté du fleuve. L’activité sur place semblait plus intense que d’habitude en raison de leurs nombreux va-et-vient. Et puis, vers midi, ce fut le bruit des armes. Le village était sous le feu nourri des balles et autre munitions. Un des minarets de la mosquée fut endommagé. Par miracle, deux blessés furent enregistrés. La panique s’installa encore et d’aucuns préférèrent quitter. Les militaires, en compagnie du sous-préfet, vinrent après le passage de la tempête.
Le village fut la cible parce qu’on le suspectait d’être un point de passage de groupes armés qui traversaient le fleuve pour récupérer leur bétail en Mauritanie. Sur place, ces bandes faisaient des ravages. Elles tuaient et emportaient tout le bétail qu’elles ramenaient au Sénégal. Voilà qui justifiait les représailles de l’armée mauritanienne. Et nous étions les victimes. Ce mot représailles, je l’ai entendu pour la première fois, une nuit. Le boulanger du village, qui avait traversé le fleuve clandestinement s’était fait arrêter. Libéré, il confia avoir appris de ses geôliers que les soldats avaient décidé de tirer le lendemain dans le village après l’attaque d’une bande armée.
Son récit provoqua une panique. Un débat fut engagé. Fallait-il quitter nuitamment ou attendre le lendemain pour trouver refuge ailleurs ? C’est dans cette discussion qu’un des nôtre parla de ‘’droit de représailles’’ pour expliquer l’attitude des mauritaniens. Finalement, la population passala nuit dans le village. Les gens restaient persuadés que les coups de feu allaient faire rage d’un moment à un autre. Il ne se passa finalement rien. C’était une intimidation peut-être. Mais elle a fait son effet.
C’est dans cette psychose que les habitants ont vécu durant les années de braise : 1990 et 1991. Le conflit a connu son lot de morts, de familles séparées. C’est pourquoi l’annonce de la réouverture de la frontière en 1992 fut accueillie dans la joie. Ce fut le moment des retrouvailles. Les échanges ont repris, les familles peuvent désormais se rendre visite. Mais la cicatrice de 1989 est toujours là. Quelque chose nous rappellera toujours qu’entre le Sénégal et la Mauritanie, il faut jouer la carte de la prudence. Que le moindre évènement, le plus anodin, peutêtre une étincelle. Il faut, au quotidien, entretenir cette paix retrouvée. C’est l’affaire et des populations et des Etats. Pour avoir été témoin de cette parenthèse malheureuse, je dis à haute voix : Vive la PAIX.
Ousmane Ibrahima DIA (journaliste APS)
Au Sénégal et en Mauritanie, vivent les mêmes populations, a-t-on coutume de dire. C’est la réalité. Nos parents disposaient de terres de culture en Mauritanie. Pour nous, le fleuve n’a jamais été une barrière. Enfants, nous le traversions à la nage, en pirogue, et en saison sèche, à pied, lorsque le niveau de l’eau avait complètement baissé dans certains endroits du cours d’eau. Nous partions dans la forêt poursuivre les chameaux.
Nous nous amusions en vérité dans cette forêt où nous croisions les charbonniers, les éleveurs qui traversaient le fleuve à la quête de pâturages au Sénégal. Les échanges sont permanents. Dans notre village, il était très rare de voir le franc CFa. Notre monnaie était l’Ougouya, la devise mauritanienne, preuve que l’essentiel de nos échanges s’effectuait avec la Mauritanie. Les maures travaillaient en permanence chez nous. Ils gagnaient leur vie dans nos champs de riz. Ils étaient presque chez Eux.
Mais tout cela allait cesser un bon matin. L’on n’y croyait pas trop au début lorsque parvenaient les premières rumeurs sur le différend entre le Sénégal et la Mauritanie. L’on avait appris par radio Sénégal le pillage des boutiques maures à Dakar en réaction aux exactions subies par les Sénégalais à Nouakchott suite aux heurts qui ont opposé, le 9 avril 1989, des paysans sénégalais à des éleveurs nomades mauritaniens dans le village frontalier de Diawara. Et puis, l’autorité, le sous-préfet en l’occurrence, a débarqué un matin pour expliquer ce qui se passait et annoncer la fermeture de la frontière. Par mesure de sécurité, les pouvoirs publics avaient demandé aux maures de regagner la Mauritanie.
Jamais, l’on n’avait pensé que cela allait avoir des conséquences dans nos vies sur cette frontière qui n’en fut jamais une pour nous. Mais les signes avant-coureurs étaient là : des habitants rapportaient avoir fait l’objet d’intimidations, de harcèlements de la part de maures qui, il y a quelques semaines encore vivaient chez nous. Et puis un bon matin, l’impensable se produisit sous nos yeux : le rapatriement de populations au Sénégal sous le prétexte qu’elles ne sont pas mauritaniennes.
Tous les jours, le spectacle était le même : des familles entières, des éleveurs pour la plupart pointaient de l’autre côté du fleuve, escortées par des forces de l’ordre. On leur avait demandé de quitter, laissant leurs biens, pratiquement toute une vie derrière. Rares sont ceux qui parvenaient à sauver leur bétail. Et lorsque tout le monde avait quitté, les maisons étaient mises à feu.
La rupture s’est installée. Le Fleuve était devenu une barrière. Plus rien ne sera comme avant. Les familles furent divisées. Les échanges étaient interrompus. Finies les cérémonies familiales au cours desquelles tout le monde se retrouvait. L’on apprenait le décès d’un parent par radio Mauritanie des jours après alors qu’auparavant, il aurait juste suffit de dépêcher un envoyé à pied ou à cheval pour l’annonce. Subitement, l’autre côté de la rive qui nous était si familier était devenu étrange, voire un mystère. Plus personne ne savait ce qui se passait dans ces bois. Et du coup, l’apparition d’un individu de l’autre côté devenait un évènement, une curiosité. Tout le monde accourait pour voir. Si la frontière était fermée, il y avait tout de même des téméraires qui, au péril parfois de leur vie, bravaient cette interdiction.
Les militaires sénégalais passaient chez nous. Et après quelques heures de patrouille, ils regagnaient leur cantonnement distant d’environ 9 Km. Les choses furent encore plus difficiles lorsque les armes s’invitèrent dans le conflit. Il était complètement interdit d’aller se baigner dans le fleuve ou d’y mener une quelconque activité. Pour le faire, il fallait y aller tôt le matin. Les pêcheurs étaient obligés d’y aller vers l’aube pour une petite vérification de leurs filets. Il faut dire qu’en plein jour, on n’était pas à l’abri de tireurs embusqués de l’autre côté de la rive.
Ce fut le cas un matin alors que le village s’apprêtait à célébrer ses 10 ans de jumelage avec un village français. Il y avait sur place une délégation française et une autre venue de Dakar pour les circonstances. C’était un moment de fête. Le jour J, alors que quelques personnes se baignaient au fleuve, ce fut une salve de coups de feu dans le village pendant quelques instants. Deux blessés furent enregistrés. Cette attaque entacha l’ambiance de fête. Malgré tout, la cérémonie, initialement prévue à l’extérieur de la localité sous des tentes, eut lieu dans une maison.
Une autre matinée, ce ne fut pas une simple patrouille pour les militaires. C’était carrément un échange de tirs avec des éléments armés mauritaniens. Le véhicule militaire qui partait pour des renforts rata un virage et fit des tonneaux. Un soldat trouva la mort sur le coup. C’était la panique dans le village. Tout le monde avait pris ses affaires pour se réfugier à des dizaines de kilomètres, dans le village de Diamel Ciré, au Sud. Nous y sommes restés deux à trois jours avant de rentrer. Nous n’avions pas fini avec les harcèlements et les attaques de l’armée mauritanienne.
Cette fois-ci, ce fut carrément le déluge de feu. Ce jour-là, depuis tôt le matin, les habitants avaient constaté une forte présence de militaires de l’autre côté du fleuve. L’activité sur place semblait plus intense que d’habitude en raison de leurs nombreux va-et-vient. Et puis, vers midi, ce fut le bruit des armes. Le village était sous le feu nourri des balles et autre munitions. Un des minarets de la mosquée fut endommagé. Par miracle, deux blessés furent enregistrés. La panique s’installa encore et d’aucuns préférèrent quitter. Les militaires, en compagnie du sous-préfet, vinrent après le passage de la tempête.
Le village fut la cible parce qu’on le suspectait d’être un point de passage de groupes armés qui traversaient le fleuve pour récupérer leur bétail en Mauritanie. Sur place, ces bandes faisaient des ravages. Elles tuaient et emportaient tout le bétail qu’elles ramenaient au Sénégal. Voilà qui justifiait les représailles de l’armée mauritanienne. Et nous étions les victimes. Ce mot représailles, je l’ai entendu pour la première fois, une nuit. Le boulanger du village, qui avait traversé le fleuve clandestinement s’était fait arrêter. Libéré, il confia avoir appris de ses geôliers que les soldats avaient décidé de tirer le lendemain dans le village après l’attaque d’une bande armée.
Son récit provoqua une panique. Un débat fut engagé. Fallait-il quitter nuitamment ou attendre le lendemain pour trouver refuge ailleurs ? C’est dans cette discussion qu’un des nôtre parla de ‘’droit de représailles’’ pour expliquer l’attitude des mauritaniens. Finalement, la population passala nuit dans le village. Les gens restaient persuadés que les coups de feu allaient faire rage d’un moment à un autre. Il ne se passa finalement rien. C’était une intimidation peut-être. Mais elle a fait son effet.
C’est dans cette psychose que les habitants ont vécu durant les années de braise : 1990 et 1991. Le conflit a connu son lot de morts, de familles séparées. C’est pourquoi l’annonce de la réouverture de la frontière en 1992 fut accueillie dans la joie. Ce fut le moment des retrouvailles. Les échanges ont repris, les familles peuvent désormais se rendre visite. Mais la cicatrice de 1989 est toujours là. Quelque chose nous rappellera toujours qu’entre le Sénégal et la Mauritanie, il faut jouer la carte de la prudence. Que le moindre évènement, le plus anodin, peutêtre une étincelle. Il faut, au quotidien, entretenir cette paix retrouvée. C’est l’affaire et des populations et des Etats. Pour avoir été témoin de cette parenthèse malheureuse, je dis à haute voix : Vive la PAIX.
Ousmane Ibrahima DIA (journaliste APS)