« Aux uns, la liberté ne donne pas droit à commettre des violences ou à priver autrui de ses biens. Aux autres, la propriété des terres donne droit de se gouverner soi-même, sans empêcher l’arrivée et l’installation d’autrui. » Au XVIe siècle, le théologien dominicain Francisco de Vitoria (1483–1546) soutenait que la liberté de circulation est un droit naturel.
Il me plait de rappeler en amont de ce texte contributif les propos de Antonio Guterres pour camper le décor et la logique dans laquelle s’inscrit cette modeste réflexion. « La migration est inévitable et ne s’arrêtera pas », s’exprimait l’actuel secrétaire général des Nations.
Excellence Monsieur le président de la République, à un changement systémique vous nous invitez ? Nous n’attendons pas moins de votre Part. Notamment en ce qui concerne la gouvernance d’une question aussi sérieuse que sensible de la Migration dite irrégulière à partir des côtes sénégalaises. Dans votre communication lors du Conseil des ministres du 18 septembre 2024, vous avez invité le Premier Ministre et le ministre des Finances et du Budget à mettre en œuvre un programme budgétaire spécial « Prévention et lutte contre la migration irrégulière ». Aussi avez-vous exhorté le chef du gouvernement à renforcer avec les Ministres compétents, tous les dispositifs préventifs, sécuritaires et coercitifs de lutte contre les départs de migrants à partir du territoire national.
Tout comme votre prédécesseur dans une note semblable à celle-ci, nous vous indiquons que la répression n’est pas la solution pour lutter contre la migration irrégulière. En plus de tenir compte du fait que personne ne peut arrêter la migration, nous recommandons en lieu et place de la répression de travailler à mettre en place une politique de gestion et de gouvernance de la migration. En effet, et vous en conviendrez avec nous, la gouvernance de la migration est une question de souveraineté. Quand bien même, qu’il soit de plus en plus largement admis qu’aucun État agissant seul n’est en mesure de gérer pleinement et efficacement la migration internationale. Les politiques unilatérales tendent à ignorer les intérêts des autres acteurs et conduisent souvent à des réponses dépourvues de vision à long terme. C’est pourquoi, dans votre volonté de rupture systémique, nous vous invitons à inscrire la thématique migratoire au rang de priorité de l’Etat.
La migration fait partie des urgences que la communauté internationale cherche à solutionner. En témoigne l'adoption de deux pactes mondiaux : le Pacte mondial pour les réfugiés et le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières (Pacte mondial sur les migrations), qui cherchent à aborder la mobilité humaine de manière plus globale. Abordée pour la plupart du temps sous l’angle d’un « problème » alors qu’elle est une opportunité si elle est bien administrée aussi bien pour les pays de départ que de transit. On oublie souvent que la migration est un droit reconnu à tout individu quelles que soient ses origines, sa race, son ethnie ou encore son appartenance etc. Quoique, les transformations sociales, sociétales, économiques, politiques, l’apparition de nouvelles urgences, de nouvelles aspirations et des besoins parfois existentiels la rendent à la fois complexe et en font un enjeu et défi majeur.
Monsieur le président, au regard de la constitution du Sénégal en son article 14 garantissant la libre circulation des personnes, l’Objectif 5 du pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières relatif à l’assouplissement des conditions d’obtention des documents de voyage, l’objectif 10.7 des ODD et l’aspiration 6 de l’agenda 2063 devraient vous permettre d’engager de larges concertations afin de trouver la meilleure formule de gouvernance et de gestion de la migration. Ce, non sans occulter la nécessité de réviser les accords bilatéraux avec les partenaires du Sénégal pour faciliter la mobilité des personnes demanderesses de Visa. S’il est vrai que les ressortissants des pays ayant des niveaux de développement humain très élevés peuvent voyager sans visa dans environ 85% de tous les autres pays du monde selon le rapport de l’état de la migration de l’Oim en 2024. Il n’en demeure pas moins que ces pays sont tout aussi des pays de destination. Et, que les restrictions en matière de Visa mise en place pour les pays ayant un faible niveau de développement humain comme le nôtre, les voies de la migration régulières sont problématiques pour ses citoyens. D’ailleurs, le rapport du PNUD 2022 sur l’indice de développement humain classe le Sénégal à la 169e place. Sur le classement des passeports effectué par Le Henley Passport Index en 2023, le passeport sénégalais occupe la 81e place lui permettant de se rendre dans 58 destinations sans Visa et 168 avec Visa. C’est dire qu’il y’a du travail et des efforts à faire pour inverser la tendance. Non pas pour réprimer les jeunes dans l’intention de les « fixer », plutôt travailler dans une approche globale pour permettre aux Sénégalais de rester mais aussi de pouvoir voyager quand le besoin se fait sentir. Les deux doivent aller ensemble. Ce, d’autant que les études ont montré que ce ne sont pas les personnes pauvres qui voyagent.
Un dispositif existant
Au Sénégal, bien que devant être mis à jour, renforcée voire mis en application, il y’a des cadres, dispositifs à la fois juridiques et institutionnels pour barrer la route aux marchands d’illusions. En atteste la loi n° 2005-06 du 10 mai 2005 relatif à la lutte contre la traite des personnes et pratiques assimilées et à la protection des victimes. Des travaux de révision de cette loi avaient été déjà prévus. Ensuite, depuis 2018, le Sénégal tente de se doter en vain d’un document de politique nationale migratoire. Après que ce document est tombé dans l’obsolescence, le travail de sa révision a été effectué en vue de sa réactualisation tenant compte des nouveaux enjeux. Le document a été validé en Août 2023 avant d’obtenir l’approbation politique de l’ancien Premier Ministre Amadou BA, par lettre No 0002540/CAB/CS CGP AWS du 21 Novembre 2023. Aujourd’hui, il urge dès lors de réajuster ce document au regard de la nouvelle orientation politique sous le sceau du souverainisme et du changement systémique pour enfin le faire adopter à l’assemblée nationale.
En plus de cela, le Sénégal dispose déjà d’une stratégie nationale de lutte contre la migration irrégulière (SNLMI) assortie d’un plan d’action opérationnel. Le document porté par le comité interministériel de lutte contre la migration irrégulière (Cilmi) repose sur 8 piliers et 5 axes stratégiques parmi lesquels la prévention. Ceci pour dire, Monsieur le Président de la République, que le dispositif est déjà mis en place et n’attend que la dotation d’un budget pour qu’il soit mis en branle avec la participation de tous les acteurs. Et, la stratégie nationale a bien intégré le fait que la répression ne soit pas la meilleure manière de venir à bout du départ des jeunes. Même si on pourrait y recourir en dernier lieu.
Le premier ministre Monsieur Ousmane Sonko, avait lancé un appel fort à la jeunesse sénégalaise à rester et à construire ensemble le pays. Il est attendu de lui et son gouvernement de faire espérer les jeunes tout en leur offrant les conditions d’épanouissement et d’accomplissement dont ils ont besoin d’une part, et d’autre part leur permettre de voyager lorsqu’ils en expriment ou sentent le besoin. La migration est un besoin humain, naturel qui accompagne la vie de l’homme. Par ailleurs, le Ministre de l’Intégration africaine et des Affaires Etrangères doit intégrer dans son agenda l’impérieuse question du défi de la mobilité africaine notamment dans notre espace ouest africain. Il serait ubuesque de parler d’intégration africaine alors que les peuples africains n’arrivent pas à se mouvoir dans leurs propres espaces au regard des réalités du terrain.
Pour rappel, créée en 1975, la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) s’est fixée pour objectifs de favoriser, entre autres, sur le plan économique, la création d’une union douanière et économique afin d’impulser la libre circulation des personnes et des biens. Il s’agit de favoriser notamment l’intégration commerciale et des peuples au sein des États-membres. Travailler avec ses pairs de la CEDEAO pour une effectivité de la mise en œuvre correcte et cohérent du protocole 1979 sur la libre circulation. Au niveau continental également, cette dernière doit s’activer pour convaincre ses pairs et la commission de l’Union sur la nécessité de l’adoption par les autres Etats restant du protocole sur la libre circulation et l’accélération de la délivrance du passeport africain. En attendant, il est urgent de revoir le narratif migratoire et de vulgariser les instruments déjà disponibles.
Moussa Seydou Diallo
Journaliste spécialiste en migration
Ancien Pdt Ajms-Ecrivain
hp3verseau@yahoo.fr