Connectez-vous

Élections locales au Sénégal : La parité reste un objectif lointain

Mercredi 16 Octobre 2024

Les élections locales au Sénégal révèlent une représentation féminine encore insuffisante malgré les efforts législatifs pour instaurer la parité. Les obstacles structurels et culturels persistent, limitant l'accès des femmes aux postes de décision.

Par Diomma Dramé (journaliste)

 

Dix-huit femmes maires et deux présidentes de conseils départementaux, soit un total de 20 élues. C'est le maigre bilan dressé par l'Observatoire national de la parité (ONP) à la suite des élections municipales et départementales du 23 janvier 2022 au Sénégal. Un chiffre dérisoire face aux 45 départements et 557 communes que compte le pays.

Ce faible nombre d'élues pourrait être encore plus réduit si l'on considère les démissions de certaines femmes qui ont été cooptées dans le gouvernement du Président Bassirou Diomaye Faye, élu le 24 mars 2024.

 

« En 2022, juste après les élections locales, nous avions 16 femmes maires et trois présidentes de département. Depuis, la situation a peut-être légèrement évolué en raison de décès, démissions ou autres », affirme Mamadou Diouf, directeur de la Cellule d'appui aux élus locaux (CAEL). 

 

« Globalement, poursuit-il, on tourne autour d'une vingtaine d'exécutifs locaux féminins sur 601 collectivités territoriales ». Cette proportion est « vraiment faible », déplore M. Diouf. 

 

La loi sur la parité, un plafond de verre persistant

 

Effectivement, malgré ces avancées, la mise en œuvre de la loi sur la parité a rencontré des obstacles. Des violations ont été signalées lors des élections locales de 2014, où la loi n'a pas été respectée par certains partis politiques. De plus, des femmes en position de pouvoir continuent de faire face aux résistances et à des préjugés dans un environnement politique souvent dominé par des hommes.

Plusieurs obstacles freinent l'accès des femmes aux instances de décision. Les modes de fonctionnement traditionnels de nombreux partis et structures politiques continuent de faire obstacle à la participation des femmes à la vie publique.

De ce fait, malgré l'adoption d'une loi en mai 2010 instituant la parité sur tous les corps électifs, les femmes peinent à briser le plafond de verre.

« Les bureaux des exécutifs locaux sont en proie à de nombreux manquements et au non-respect de la parité, ce qui témoigne de dysfonctionnements importants », dénonce le Dr Saliou Ngom, politiste et chercheur à l'Institut fondamental d'Afrique noire (Ifan) de l'Université Cheikh Anta Diop (Ucad). Il regrette le fait qu’à l'issue des dernières élections locales, seul 3 % des femmes ont été élues maires. 

 

« Ce qui signifie que 97 % des localités sont toujours dirigées par des hommes », constate le chercheur. 

 

Ce qui fait dire à Djiby Diakhaté, sociologue, qu’on ne retrouve très souvent les femmes que dans des « rôles cosmétiques », tel que la danse, la chanson, l'animation. « Mais lorsqu'il s'agit de prendre des postes de responsabilité, elles ne sont pas considérées », analyse-t-il.

 

« Dans les instances politiques comme dans les instances syndicales, l'organisation est conçue de manière à limiter les chances de réussite des femmes », indique le sociologue. 

 

Cela se traduit, selon Djiby Diakhaté, par le fait que les réunions se tiennent souvent à des heures tardives auxquelles certaines femmes ne peuvent pas participer. 

 

« Et c'est souvent à l'occasion de ces réunions plus ou moins sélectives que les postes sont attribués, ce qui explique la quasi-insignifiante ou nulle représentation des femmes dans ce cadre », ajoute le sociologue explique-t-il.

 

La peur de s’imposer

 

« J'ai vécu cette discrimination politique », confirme Yakou Kane, ancienne maire de la commune de Gawane, situé dans le département de Bambey, dans la région de Diourbel au centre-ouest du pays. 

 

Elle va plus loin en affirmant que « les femmes ont peur de s'imposer face aux hommes ». Elles sont souvent « mises à l'écart, quel que soit leur leadership et leurs compétences », poursuit-elle. L’ancienne maire regrette le fait que les hommes ne les utilisent que pour gagner des batailles électorales, puis les jettent, les relèguent au second plan lors des rencontres. 

 

« Les instances de gouvernance des partis politiques restent dominées par les hommes. Ainsi, lorsqu'il s'agit de choisir un maire, c'est le leader local ou national qui s'impose, au détriment des femmes », complète le Dr Ngom.

 

S’y rajoute parfois la rivalité féroce entre femmes, regrette madame Kane. Cette situation est perceptible surtout lorsqu'il s'agit de trancher entre une femme et un homme, témoigne Djiby Diakhaté. Selon le sociologue, lorsqu’une femme est en compétition avec un homme, les femmes se rangent souvent derrière l'homme.

 

S’élever sans soutien ni mentor

 

Toutefois, malgré ces obstacles, des femmes continuent de se battre pour décrocher des postes électifs. C'est le cas de Gnima Diatta, vice-présidente du conseil départemental de Bignona, commune située dans la région de Ziguinchor, au sud-ouest du pays.

 

Le Dr Goudiaby regrette le fait que les femmes, non seulement, sont victimes de discriminations, mais affaiblissent souvent leurs camps au détriment des hommes. 

 

Elle préconise la responsabilisation des jeunes filles par l'investissement dans leur formation ainsi que l'application de critères objectifs et égaux lors des compétitions politiques sont des mesures essentielles pour voir plus de femmes accéder à des postes électifs.

 

« Étant indépendante, je voulais m'affirmer par mon travail sur le terrain. Sans soutien ni mentor, je me suis battue pour m'imposer », explique-t-elle. Et de poursuivre qu’il faut changer les clichés : « la politique est une activité noble, contrairement à ce que l'on pense », lance la vice-présidente du conseil départemental de Bignona.

 

Nécessité d’un travail de coordination

 

Allant dans le même sens que Mme Goudiaby, le sociologue Djiby Diakhaté préconise un travail de coordination entre les différentes organisations et les groupements de femmes pour renforcer les acquis. 

 

« Il faut s'assurer que la loi sur la parité, adoptée en 2010, est effectivement respectée, notamment au niveau des collectivités territoriales et des institutions de la République où la représentation des femmes pose problème », souligne-t-il.

 

Le chercheur Saliou Ngom, quant à lui, propose de modifier les règlements intérieurs des partis pour que la désignation des candidats soit plus sensible à la question de l'égalité entre les hommes et les femmes. 

 

« Il faut engager des changements dans l'éducation et les perceptions, à travers des programmes de renforcement des capacités, des discussions, des dialogues avec les communautés pour réduire les inégalités sociales et économiques entre hommes et femmes », conclut-il.

Diomma DRAMÉ

 

Cet article a été réalisé par l’Africa Women’s Journalism Project (AWJP) avec le soutien du Centre International des Journalistes (ICFJ) dans le cadre de la Bourse Reportage pour les Journalistes Femmes en Afrique Francophone.

 
Nombre de lectures : 89 fois

Nouveau commentaire :












Inscription à la newsletter