Le malaise grandit entre le camp macroniste et le Premier ministre Michel Barnier, alors même que son gouvernement compte plusieurs ministres du parti présidentiel, et s'est cristallisé jeudi autour de la question des hausses d'impôt et de l'abandon de la réforme du corps électoral en Nouvelle-Calédonie.
Après la digestion difficile du coup de fil de Michel Barnier à Marine Le Pen pour l'assurer qu'il la considérait bien appartenir à l'arc républicain, la perspective de hausses d'impôts a relancé la machine à menaces chez ceux qui ont gouverné sept ans durant sous la conduite d'Emmanuel Macron.
Venu de la droite LR, Michel Barnier a annoncé mardi dans sa déclaration de politique générale qu'il entendait demander "un effort limité dans le temps" et partagé par les plus grandes entreprises et les Français "les plus fortunés".
Un "choc fiscal" - il réfute ce terme -, à l'opposé de la politique menée depuis 2017 et qui hérisse le camp macroniste.
"Inacceptable", a tranché Gérald Darmanin jeudi, "je ne voterai pas une augmentation d'impôts". L'ancien ministre de l'Intérieur et des Comptes publics (2017-2020) a notamment critiqué l'annonce d'une révision des allègements de cotisations patronales: ça revient à "une augmentation du coût du travail", s'est-il étranglé, pronostiquant une remontée du chômage.
L'augmentation annoncée de l'impôt sur les sociétés, qui avait été ramené de 33% à 25% sous Emmanuel Macron ? "On retourne dans l'ère socialiste de François Hollande" et, a-t-il ajouté, "ça ne peut pas être temporaire" étant donné la "trajectoire budgétaire évoquée par le Premier ministre" qui veut ramener le déficit public à 5% du PIB en 2027, puis 3% en 2029.
"De ce que l'on sait, la copie du gouvernement a l'air assez figée", a observé auprès de l'AFP le député EPR Mathieu Lefèvre, réclamant que le débat parlementaire permette de "passer d'un +choc fiscal+ à une correction fiscale".
"Je voterai très probablement contre une hausse de l'impôt sur les sociétés", a abondé l'ancien ministre de l'Industrie Roland Lescure, rappelant également que "derrière c'est des millions d'emplois".
En l'état actuel des forces au Palais Bourbon, le budget a de toute façon une infime chance de passer autrement que par le biais de l'article 49.3 de la Constitution qui permet une adoption sans vote.
- Le dossier calédonien -
Mais tous sont d'autant plus fâchés qu'ils ont peu goûté la manière dont Michel Barnier a publiquement mouché mardi son prédécesseur, Gabriel Attal, en lui promettant d'être "très attentif" à ses "propositions d'économies supplémentaires"... "pour faire face au déficit (...) trouvé en arrivant".
"Je ne suis pas sûr que la meilleure manière de s'assurer du soutien de ses députés est de mettre une petite gifle au président de groupe", a observé Roland Lescure. "Ce n'était pas nécessaire", a résumé Gérald Darmanin, "surtout qu'il n'a pas répondu sur le même ton à Madame Le Pen".
Ajoutant encore de l'huile sur le feu couvant, le ton est monté très fort entre les deux parties sur le dossier calédonien, que Matignon voudrait reprendre en mains.
Lors des questions au gouvernement mercredi, M. Barnier a répondu lui-même à un député indépendantiste Emmanuel Tjibaou, membre du groupe GDR, après avoir pourtant laissé le ministre des Outre-mer François-Noël Buffet donner la réplique à Nicolas Mertzdorf, député EPR.
"Il y a eu un tollé chez EPR, les députés présents ont quitté l'hémicycle à l'initiative de Gérald Darmanin, ils ont pété un câble", relate l'entourage du député loyaliste. "Dans l'état actuel on ne veut pas voter le budget", a-t-on ajouté.
"C'est une provocation", a renchéri un député macroniste, "beaucoup de collègues se sentent maltraités" par le Premier ministre. Au point pour certains de voter la motion de censure que la gauche doit défendre en fin de semaine prochaine ?
Mercredi soir en tout cas, la porte-parole du gouvernement Maud Bregeon, proche de Gérald Darmanin, a revendiqué "un temps de rodage" nécessaire entre Les Républicains et l'ancienne majorité. "On a besoin d'apprendre à s'apprivoiser en fait", a-t-elle expliqué, reconnaissant que "la colocation" avec LR n'est "pas évidente" après sept ans d'affrontements politiques.
En tout cas, cette guerre larvée n'a pas échappé à la gauche.
"Le gouvernement esquisse à peine une mini +contribution exceptionnelle+ que Gérald Darmanin annonce déjà qu'il ne votera pas le budget dans ces conditions. Cette +majorité+ est partie pour se donner en spectacle en permanence", a ironisé la cheffe des Ecologistes, Marine Tondelier, sur X. [AFP]