PARIS (Reuters) - Gérard Collomb abandonne le navire ballotté de la Macronie après en avoir été un pilier, un départ au goût de divorce avec celui dont il disait il y a deux ans qu'il était le seul à pouvoir "faire gagner le camp progressiste".
Emmanuel Macron n'a pas su retenir son ministre de l'Intérieur, pas plus qu'il n'a su empêcher celui de la Transition écologique, Nicolas Hulot, autre figure emblématique du gouvernement, de claquer la porte le 28 août.
Les deux ministres d'Etat ont mis le président de la République devant le fait accompli dans un geste de défiance : Nicolas Hulot en annonçant son départ sur France Inter, Gérard Collomb dans Le Figaro.
Le premier avait dressé un tableau sévère du fonctionnement du gouvernement - "Je n'y crois plus", avait confié l'ancien animateur de télévision.
Le second a critiqué début septembre un "manque d'humilité" du gouvernement, avant de s'épancher devant des journalistes de la presse régionale sur l'isolement d'Emmanuel Macron - "Nous ne sommes pas nombreux à pouvoir encore lui parler."
"Il va finir par ne plus me supporter. Mais si tout le monde se prosterne devant lui, il finira par s'isoler", avait ajouté le ministre de l'Intérieur, cité par La Dépêche.
C'est encore par voie de presse, dans L'Express, que l'ex-sénateur-maire socialiste de Lyon a annoncé le 18 septembre son intention de se présenter aux municipales dans sa ville tout en restant au gouvernement jusqu'aux européennes de mai 2019.
Si elle n'a pas vraiment surpris, tant Gérard Collomb est resté présent dans sa ville malgré ses fonctions à un des postes les plus sensibles, cette annonce a jeté un froid dans ses relations avec le président. "C'est compliqué depuis l'annonce de sa candidature", admettait-on lundi soir dans son entourage.
A vrai dire, des fissures étaient déjà apparues depuis quelque temps, notamment avec le Premier ministre, Edouard Philippe, auquel il s'était opposé frontalement sur la limitation de vitesse à 80 km/h sur les routes départementales, et avec l'affaire Alexandre Benalla, un protégé du président filmé en train de brutaliser des manifestants le 1er mai.
MENTOR
Pourtant, tout avait commencé comme une idylle politique entre le grognard Gérard Collomb, 71 ans, député de 1981 à 1988, sénateur de 1999 à 2017, maire de Lyon de 2001 à 2017, et le jeune ministre de l'Economie de François Hollande, jamais élu mais décidé à bousculer le paysage politique français.
Séduit par le positionnement d'Emmanuel Macron au-dessus des clivages politiques traditionnels, il a été un des tout premiers à lui prédire un avenir présidentiel - "Moi j’adhère, je vais lui donner un coup de main", confie en mai 2016 ce cacique du PS alors âgé de 68 ans.
Ce social-démocrate "réformateur", qui fut successivement le soutien de Dominique Strauss-Kahn, Ségolène Royal et François Hollande, met alors au service de son cadet de près de 20 ans ses réseaux et le pousse à franchir toutes les étapes d'une conquête du pouvoir qui n'allait pas de soi.
Il est vrai que pour conquérir Lyon, ville de centre-droit, il a appliqué la méthode Macron avant l'heure, se constituant une majorité sur mesure, rassemblant socialistes, centristes, sarkozystes et personnalités de la société civile.
La sensibilité sociale de Gérard Collomb s'accompagne d'une vision plutôt libérale de l'économie qui séduit les chefs d'entreprises. Il contribue à concevoir les nouvelles "métropoles", dont la fusion du Grand Lyon et du département du Rhône, le 1er janvier 2015, sera sous sa houlette le prototype.
"Il a transformé Lyon, la belle endormie, en une véritable Europole, il a réussi ici à réinventer la ville", rappelle le multi-entrepreneur Bruno Bonnell, qui a lui même rejoint En marche !, le mouvement créé par Emmanuel Macron.
UN GOÛT D'INACHEVÉ
Le 14 mai 2017, Gérard Collomb a la larme à l'oeil quand Emmanuel Macron, au moment de prendre possession de l'Elysée, lui tapote longuement la joue dans un geste de remerciement qu'il concrétisera en lui confiant le portefeuille de ses rêves, celui de l'Intérieur, au rang de numéro deux du gouvernement, lui qui n'a jamais été ministre jusqu'ici.
Ses détracteurs jugent trop âgé ce fils d'un ouvrier-métallurgiste syndicaliste CGT et d'une femme de ménage originaires de la région lyonnaise, marié deux fois et père de cinq enfants, à la voix parfois mal assuré, pour assumer de telles fonctions sur fond de menace terroriste.
Réputé pour son humour, Gérard Collomb ne fera cependant pas sourire une gauche qui lui reproche sa politique sécuritaire et la fermeté qu'il affiche sur la question migratoire. La loi sur l'asile et l'immigration est aussi loin, d'ailleurs, de faire l'unanimité dans la majorité.
Une fermeté qui lui vaut notamment l'animosité de la maire socialiste de Paris, Anne Hidalgo, à laquelle il s'est opposé régulièrement sur l'accueil des migrants dans la capitale.
Son bilan laisse un fort goût d'inachevé. Il a certes obtenu une augmentation des moyens de la police, au demeurant jugée insuffisante par les syndicats. Mais la police de la sécurité du quotidien (PSQ) en est encore aux balbutiements, les "quartiers de reconquête républicaine" sont à peine lancés, le plan de lutte contre les stupéfiants promis ne s'est pas concrétisé à ce jour et les chiffres de la délinquance sont mitigés.
Surtout, selon des syndicalistes de la police, il n'a pas réussi à se faire aimer des policiers, qui ont mal vécu l'annonce de sa candidature aux municipales à Lyon.
"Cela a donné le sentiment qu'il était plus préoccupé de sa campagne municipale que de ce qui se passe dans son ministère", explique Denis Jacob, secrétaire général d'Alternative Police.
"Il a surtout géré la communication politique", renchérit Christophe Rouget, porte-parole du Syndicat des cadres de la sécurité intérieure (SCSI-CFDT). "On a besoin de quelqu'un qui soit à 100% dans son ministère."