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Gingembre littéraire - Le patriotisme économique : entre ouverture et protectionnisme

Samedi 16 Novembre 2019

 Du patriotisme économique!
 
Il s’agit d’une préoccupation patriotique, liée à mon engagement militant et un parti pris pour les « laissés-pour-compte systémiques », c’est à dire tous ces peuples vivant dans les pays à revenus faibles, du fait d’un système monde inique construit depuis des siècles sur la base de la domination de la triade occidentale composée des Etats-Unis, de l’Europe et du Japon.
 
En parlant de patriotisme économique, il est question d’interroger un ensemble de comportements observables au niveau des agents économiques historiquement identifiés que sont l’Etat, l’entreprise  et le consommateur-citoyen-contribuable appartenant à une entité nationale définie, en terme de politiques et de pratiques, tendant à défendre, protéger et promouvoir les intérêts économiques de leur communauté d’appartenance. Cette communauté renvoie à la nation, même si elle peut s’étendre au-delà des frontières physiques d’un Etat pour englober d’autres formes d’appartenance et d’identification culturelle, géographique, en référence au passé, au présent et au futur…
 
Toutefois, il faut retenir que la nation est la dimension distinctive qui donne sens au patriotisme économique car elle permet d’observer les lois de l’offre et de la demande en fonction du cadre de référence qu’est la nation d’appartenance dont les Etats ont pour mission d’assurer la durabilité. Dès lors, le débat ne pourrait se résoudre à un débat purement économique, surtout que le Patriotisme Economique n’est pas une catégorie économique, même si il apparaît de fait dans les pratiques de l’histoire économique et les principales théories, particulièrement chez List et Keynes. C’est encore moins un débat exclusif de droit commercial.
 
Le patriotisme est d’abord un sujet de psychologie politique, mais il révèle surtout des enjeux d’ordre Géostratégique et de Souveraineté! Nous pourrons ainsi éviter de tomber dans le piège de la pensée unique, qui veut nous imposer l’économie néolibérale comme la sauce définitive de l’histoire des sociétés et diaboliser la notion de “patriotisme économique” ou le protectionnisme, comme ennemi du libre-échange.
 
En effet, une certaine conception aliénée des rapports d'échange entre les peuples du monde, fortement imprimée par le modèle dominant de la démocratie libérale, a tendance à catégoriser dans le registre des archaïsmes, toute idée de protectionnisme. Cet argument est de bonne guerre car il soutient une stratégie bien pensée qui commence par décréter que le monde est un système  mondial uniforme et qu'après la fin de l'histoire consacrée par la fin de la bipolarisation Est-Ouest, il est devenu un marché platement étendu, dans lequel il ne doit plus exister de barrières. Dès lors les lois du capitalisme libéral doivent s'imposer à tous !
 
Pourtant, nous constatons que ceux qui véhiculent cette idéologie de la “globalisation économique”, à savoir les grandes puissances de ce monde, se sont construites et continuent à se maintenir à travers des stratégies protectionnistes.
 
Le Royaume Uni, la première puissance de l’ère moderne s’est construite dans le dernier quart du XVIIIe siècle sur la base de deux faits majeurs. La nationalisation et la protection de l’invention de James Watt du moteur à vapeur qui a permis au royaume de construire une industrie nationale forte et la publication de “La richesse des nations’‘ par Adam Smith qui a guidé le projet expansionniste de l’Angleterre qui, en fin de compte,  a  expérimenté aussi bien le protectionnisme défensif que le protectionnisme offensif mercantiliste. Aujourd’hui encore, le patriotisme est évoqué chez la Reine Elisabeth pour demander aux citoyens “British” de faire leurs achats au store du coin pour supporter l'industrie locale. L’Allemande se protège et cherche à convaincre l’Europe à se prémunir des OPA chinoises. Des OPA qui ont amené la  France aussi à mettre en place un dispositif de contrôle des investissements étrangers, pour des besoins de sécurité économique. Constatant les menaces sur l’industrie agro-alimentaire française, Dominique de Villepin avait évoqué le “patriotisme économique” dans un décret, en 2005. Ensuite, en mai 2014, le gouvernement français, à travers Arnaud Montebourg, a signé un décret de « patriotisme économique » en vue de protéger le géant Alstom de la concurrence étrangère.
 
Les USA, qui avaient réduit jusqu’à 35 % l’ouverture de  leur marché pendant une trentaine d’année s (entre 1779  et 1816)pour sécuriser leur structure industrielle interne naissante suite à un rapport patriotique sur la manufacture d’Alexander Hamilton. Le pays de l’oncle Sam a continué de subventionner ses “farmers”, s’impose toujours le “Patriotic Act”, vit au rythme du slogan “American first!” et déclare la "Tax War" aux Etats qui menacent son territoire économique, en bravant les règles de l'OMC.
 
La Chine qui partageait avec le Sénégal le même lot de pays pauvres dans les années 1960,a travaillé sur elle-même, le temps de transformer sa population pauvre en véritable acteur économique locale. La chine a ainsi réussi la prouesse de  sortir près de 850 millions de personnes de la pauvreté entre 1981 et 2015. Aujourd'hui il ne compte plus que 3 % de pauvres.Mais le  chinois pauvre est au moins deux fois plus riche que la moitié de la planète qui vit avec moins de deux dollars par jour. Il gagne par mois plus que le SMIG au Sénégal. La Chine a su par des mesures protectionnistes, dont l'interdiction de certaines importations, se transformer en atelier du monde et grande puissance économique.
 
Par devoir patriotique, les intellectuels appartenant aux peuples “laissés-pour-compte” par le système-monde, ont l'obligation de sortir des chemins déjà tracés ailleurs et de réfléchir différemment, par la déconstruction des idées reçues et la proposition d’alternatives congruentes à leur propre contexte et objectifs de développement.
 
La logique globalisante par l’hégémonie de la démocratie libérale n'est pas en notre faveur, ni à la faveur de l’humanité. En plus elle est injuste! Il suffit de voir les énormes et profondes inégalités qu’elle a produites. Nous devons en être conscients pour pouvoir agir en conséquence.
 
Le Contexte international justifie l’urgente nécessité de “disruption” : Le paradigme du financement du développement international poursuit l’exploitation des pays faibles
 
Le nouveau contexte mondial définitivement installé après l’adoption des ODD en 2015 définit également un nouveau paradigme de financement du développement international, bâti sur la base du gap identifié dans le financement des ODD estimé par l’ONU à 1500 milliards de USD par an ! Ce paradigme postule en résumé:
 
la mobilisation des ressources domestiques à travers une croissance économique globale fixée à 7% à l’oraison 2030. Ce qui suppose une exploitation accélérée des ressources naturelles et une revalorisation de la base de fiscalité locale ;
 
les Partenariats Publics -Privé pour exploiter les ressources naturelles, faire des infrastructures de connectivité, pousser les frontières du marché ;
 
faciliter le cadre des investissements, surtout l’attrait des Investissements directs étrangers.
 
Constatant que ce cadre logique encourage l’extraversion des économies du Sud, au profit du secteur privé du Nord, il ne propose rien en terme de régulation fiscale internationale, pourtant nous savons que le capital international se reproduit et se confine davantage pour une minorité de plus en plus réduite, à travers des stratégies d’optimisation fiscales et autres pratiques peu transparentes usant des paradis fiscaux et sociétés-écran, par ailleurs soutenues par les institutions de Bretton Woods. Des mécanismes redoutables de Flux Financiers Illicites, face auxquels nous n’avons aucun  moyen de faire face.
 
Ce  qui signifie donc que nous avons intérêt à adopter le patriotisme économique, plus que d’autres, au risque de transformer nos économies en de nouvelles extensions du marché globalisé et de faire de nos sociétés les plus précaires au monde.
 
A partir de ce contexte, nous apprécions  le patriotisme économique à travers trois dimensions essentielles :
 
1. Dimension stratégique: Il s’agit de définir une vision économique souveraine, comparée aux stratégies multilatérales et bilatérales. Se donner les moyens de sortir du  modèle dominant de l'économie libérale de marché qui dicte la réglementation internationale en matière de commerce, de partenariat économique, de marchés publics, d’investissement,…Il s’agit de transformer nos rapports de force avec les Grandes puissances (puissances financières et Etats de l’OCDE), de promouvoir une diplomatie économique panafricaine qui privilégie la coordination de la voix africaine pour peser au niveau des négociations internationales. Par exemple, les négociations au niveau de l’OMC ont permis à travers le Traitement Spécial et Différencié, aux Etats en développement, la possibilité d'adopter des mesures qui dérogent aux obligations de l'OMC, concernant la clause de la Nation la plus favorisée et le traitement national, afin de promouvoir une branche de production qui correspond à leurs besoins économiques. Ici, nous devrons résorber notre déficit d’intégration politique, et  mettre en place  des politiques publiques visionnaires, simples, pragmatiques, cohérentes et articulées à l’échelle continentale. Construire l’Empire-Afrique pour réguler le système-monde.
 
2. Dimension politique opérationnelle: il s’agit ici de la définition et de la mise en œuvre de politiques nationales, sous régionales et panafricaines concertées et efficaces, d'organisation de la structure économique interne des Etats, en terme d'accompagnement des acteurs économiques locaux sur le plan technique et financier, de politiques d’industrialisation pertinentes, de promotion-protection de filières locales,… Là, s’exerce la nécessité du protectionnisme stratégique et  dynamique consistant à s’appliquer la loi naturelle de développement du papillon. Pour pouvoir voler de ses fortes et colorées ailes, le papillon a besoin de passer le temps qu’il faut dans la chenille. La même loi s’applique à un pays en phase d’industrialisation naissante. Ce travail nécessite également de combler un autre déficit, celui de la maîtrise de l’information stratégique, de notre structure économique, de nos moyens et coûts de production à l’interne.
 
3. Dimension actorielle: (consommation patriotique, entreprise responsable, Etat Stratège). Elle s’intéresse aux agents économiques dont les comportements déterminent une économie nationale. Un défi comportemental à relever en commençant par tuer le mythe de l’extraversion et l'envie de l’ailleurs, en valorisant  la production locale, accompagnant l’effort de compétitivité des industries locales de transformation,... Pour les entreprises nationales, il est important de veiller aux principes de transparence, de bonne gouvernance d’entreprise et de responsabilité dans les affaires. Les capitaines d’entreprises nationales devront veiller davantage au respect du travail décent, à leurs choix d’investissement, et à la  solidarité sociale et intergénérationnelle, notamment en s’organisant en “business angels” pour promouvoir l’entreprenariat des jeunes et des femmes dans le développement de chaines de fournisseurs  et de  chaines de valeurs locales…Il revient ainsi à l’Etat d’assainir l’écosystème de l’entreprenariat, d’impulser des start-up, et réformer le doing business orienté vers l’attrait des IDE vers un doing business patriotique et solidaire, de favoriser la réduction les coûts de production, notamment par la maîtrise des coûts de l’énergie et de la communication…
 
Ce défi nécessite une véritable révolution des consciences et une attention particulière aux facteurs de compétitivité. Pour y arriver, nous devons combler notre déficit d'amour de soi, donc de patriotisme aussi bien dans les décisions publiques que prennent nos représentants, les services aux usagers que dans les comportements de production, de commercialisation et de consommation. Sortir de l'esprit de Ndoumbèlane (la jungle fraternelle) pour adopter le “Patriotic Act” comme principe d'action concrète.
 
Remarques finales
 
Le patriotisme économique est un comportement, un devoir pour chaque Etat, entreprise, consommateur, de veiller et de protéger les intérêts économiques de la Nation à laquelle il appartient pour la préserver durablement. Au Sénégal, ce devoir est érigé en droit constitutionnel avec l’article 25 alinéa 3 qui stipule : “…Tout citoyen a le devoir de préserver les ressources naturelles et l’environnement du pays et d’œuvrer pour le développement durable au profit des générations présentes et futures.”
 
Cependant, compte tenu des faiblesses de nos micro-états en Afrique, qui ne leur permettent pas de peser sur les décisions organisant les règles internationales d’échanges commerciaux, le patriotisme économique ne pourra être efficace pour les peuples d’Afrique que dans une vision et une action  panafricaines. Au-delà de la ZLECA, de la monnaie unique (CEDEAO), accélérer l’intégration politique au niveau de l’UA et des CER.
 
Est nécessaire à cet effet, une volonté politique populaire fondée sur un dialogue interne national et panafricain sur les grands défis contemporains : la monnaie, les politiques sectorielles, la défense et la sécurité.
 
Egalement, il est important de savoir humblement marcher à notre rythme. L’arrimage à l’économie mondialisée, indiqué comme un refrain dans tous nos documents de politique, ne doit pas être notre finalité stratégique. Nous devons d’abord bâtir le socle de notre structure économique avant de s'engager sur une ambition de modernité démesurée, avec des projets budgétivores et non prioritaires. Chaque pays, doit décider de son niveau d’ouverture au reste du monde, en fonction de son niveau de développement et de ces objectifs économiques du moment. Pour aller loin, il faut aller avec son peuple. Mais quand on veut aller plus vite que son environnement, on risque de faire chemin solitaire. C'est la solitude de nos représentants...
 
In fine, au-delà de toutes les théories, politiques, stratégies et  plans, le patriotisme économique renvoie avant tout à la Souveraineté dans la recherche d’une économie du bien être et il est parfaitement résumé par la formulation de Thomas Sankara : “Produisons ce que nous consommons et consommons ce que nous produisons ! "
 
Elimane H. KANE.
 
LEGS-Africa
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