Habituellement, la réforme foncière n’est abordée que sous l’angle de ses aspects technico-juridiques. Rarement, pour ne pas dire jamais, elle l’a été sous l’angle politique. Pourquoi toutes les initiatives allant dans le sens de la réforme foncière prises par les autorités compétentes n’ont-elles pas abouti ? Pourquoi du Plan d’action foncier de 1996 à la Commission Nationale de la reforme foncière de 2012, aucune volonté manifeste de la part de ces autorités de réaliser cette réforme n’a été constatée ? Ni Abdou DIOUF en 1996, Abdoulaye WADE en 2004, et aujourd’hui Macky SALL depuis 2012, n’ont mis en œuvre les conclusions des travaux des commissions qu’ils ont eu à installer pour l’avènement de la réforme foncière.
Qu’est ce qui peut expliquer cette attitude également partagée par ces différentes autorités qui se sont succédé de 1996 à 2012 ? Pour quelles raisons ne vont-elles pas jusqu’au bout de leurs initiatives ? Combien d’études, de colloques, de conférences, de séminaires, d’échanges, de mémoires, de publications, ont été consacrés à l’étude des problèmes fonciers au Sénégal, notamment à l’inéluctable reforme foncière ? Ils sont légion.
Des experts de tous horizons et cadres s’y sont penchés, des rencontres à divers nivaux lui ont été consacrées. De nombreux rapports sur la matière circulent. Des centaines de millions de l’argent du contribuable y ont été investis. Malgré tout, la reforme foncière est toujours au point mort. De 1964 à 2018, 54 ans, soit plus d’un demi siècle. Ma conviction profonde est que le régime du domaine national est intimement lié à celui du présidentialisme autocratique en vigueur dans notre pays depuis l’adoption de la constitution de mars 1963. La Loi n°64-46 du 17Juin 1964 relative au domaine national est intervenue une année après. Jusqu’à cette date, l’administration des terres était régie par les dispositions du décret n°55-580 du 20 Mai 1955 portant réorganisation foncière et domaniale en AOF et AEF, le dernier décret pris en la matière par le pouvoir colonial. En son article 3, il délimitait ainsi les droits reconnus en matière foncière et domaniale. «En Afrique occidentale française et Afrique équatoriale française sont confirmés les droits coutumiers exercés collectivement ou individuellement sur les terres non appropriées selon les règles du Code Civil ou du régime de l’immatriculation.»
Le Sénégal accédait ainsi à la souveraineté internationale avec trois régimes de propriété foncière distincts : Le régime du droit coutumier, le régime de la transcription à la conservation des hypothèques et celui de l’immatriculation. Les terres soumises au régime du droit coutumier couvraient 99% de la superficie du territoire national. C’est cette situation que la loi relative au domaine national, intervenue en 1964, a entièrement remise en cause en édictant dans son article premier que « constituent de plein droit le domaine national toutes les terres non classées dans le domaine public, non immatriculées ou dont la propriété n’a pas été transcrite à la conservation des hypothèques à la date d’entrée en vigueur de la présente loi.» Ce sont les 99% des terres du territoire national qui étaient régies par le régime du droit coutumier qui ont été versées dans le domaine national. Ce qui traduisait une dépossession de leur droit de propriété à ceux qui détenaient les terres selon le régime du droit coutumier et qui constituaient l’immense majorité de la population…
Dans l’exposé des motifs de la loi il est dit : « l’Etat, héritier légitime des anciens pouvoirs coutumiers, devient l’unique « Maître de la terre » qui est purgée de tous les droits et érigée en domaine national». Les articles 2 et 3 de la loi confirment en stipulant respectivement que : - « l’Etat détient des terres du domaine national en vue d’assurer leur utilisation et leur mise en valeur rationnelles conformément aux programmes d’aménagement ». - « Les terres du domaine national ne peuvent être immatriculées qu’au nom de l’Etat ».
Dans la pratique du régime hyper présidentialiste que vit le Sénégal, l’Etat et le chef de l’Etat sont confondus et malgré la politique de décentralisation, qui en est à son troisième acte, le pouvoir central, le président de la République, ne veut céder aucune de ses prérogatives en matière de gestion foncière aux collectivités décentralisées. Le régime mis en place par la loi relative au domaine national - source de tous les conflits fonciers que connait notre pays - est constitutif du régime politique présidentialiste autocratique qui écrase l’ensemble des institutions de la République. Toute tentative de réforme du régime de la loi relative au domaine national se heurtera inévitablement à la résistance vive du régime politique du présidentialisme qui lui a donné naissance. Les terres du domaine national constituent pour le président de la République en fonction, une monnaie d’échange pour la politique de corruption
Alla KANE
Qu’est ce qui peut expliquer cette attitude également partagée par ces différentes autorités qui se sont succédé de 1996 à 2012 ? Pour quelles raisons ne vont-elles pas jusqu’au bout de leurs initiatives ? Combien d’études, de colloques, de conférences, de séminaires, d’échanges, de mémoires, de publications, ont été consacrés à l’étude des problèmes fonciers au Sénégal, notamment à l’inéluctable reforme foncière ? Ils sont légion.
Des experts de tous horizons et cadres s’y sont penchés, des rencontres à divers nivaux lui ont été consacrées. De nombreux rapports sur la matière circulent. Des centaines de millions de l’argent du contribuable y ont été investis. Malgré tout, la reforme foncière est toujours au point mort. De 1964 à 2018, 54 ans, soit plus d’un demi siècle. Ma conviction profonde est que le régime du domaine national est intimement lié à celui du présidentialisme autocratique en vigueur dans notre pays depuis l’adoption de la constitution de mars 1963. La Loi n°64-46 du 17Juin 1964 relative au domaine national est intervenue une année après. Jusqu’à cette date, l’administration des terres était régie par les dispositions du décret n°55-580 du 20 Mai 1955 portant réorganisation foncière et domaniale en AOF et AEF, le dernier décret pris en la matière par le pouvoir colonial. En son article 3, il délimitait ainsi les droits reconnus en matière foncière et domaniale. «En Afrique occidentale française et Afrique équatoriale française sont confirmés les droits coutumiers exercés collectivement ou individuellement sur les terres non appropriées selon les règles du Code Civil ou du régime de l’immatriculation.»
Le Sénégal accédait ainsi à la souveraineté internationale avec trois régimes de propriété foncière distincts : Le régime du droit coutumier, le régime de la transcription à la conservation des hypothèques et celui de l’immatriculation. Les terres soumises au régime du droit coutumier couvraient 99% de la superficie du territoire national. C’est cette situation que la loi relative au domaine national, intervenue en 1964, a entièrement remise en cause en édictant dans son article premier que « constituent de plein droit le domaine national toutes les terres non classées dans le domaine public, non immatriculées ou dont la propriété n’a pas été transcrite à la conservation des hypothèques à la date d’entrée en vigueur de la présente loi.» Ce sont les 99% des terres du territoire national qui étaient régies par le régime du droit coutumier qui ont été versées dans le domaine national. Ce qui traduisait une dépossession de leur droit de propriété à ceux qui détenaient les terres selon le régime du droit coutumier et qui constituaient l’immense majorité de la population…
Dans l’exposé des motifs de la loi il est dit : « l’Etat, héritier légitime des anciens pouvoirs coutumiers, devient l’unique « Maître de la terre » qui est purgée de tous les droits et érigée en domaine national». Les articles 2 et 3 de la loi confirment en stipulant respectivement que : - « l’Etat détient des terres du domaine national en vue d’assurer leur utilisation et leur mise en valeur rationnelles conformément aux programmes d’aménagement ». - « Les terres du domaine national ne peuvent être immatriculées qu’au nom de l’Etat ».
Dans la pratique du régime hyper présidentialiste que vit le Sénégal, l’Etat et le chef de l’Etat sont confondus et malgré la politique de décentralisation, qui en est à son troisième acte, le pouvoir central, le président de la République, ne veut céder aucune de ses prérogatives en matière de gestion foncière aux collectivités décentralisées. Le régime mis en place par la loi relative au domaine national - source de tous les conflits fonciers que connait notre pays - est constitutif du régime politique présidentialiste autocratique qui écrase l’ensemble des institutions de la République. Toute tentative de réforme du régime de la loi relative au domaine national se heurtera inévitablement à la résistance vive du régime politique du présidentialisme qui lui a donné naissance. Les terres du domaine national constituent pour le président de la République en fonction, une monnaie d’échange pour la politique de corruption
Alla KANE