Une épée de Damoclès plane depuis plusieurs semaines sur le lycée musulman Averroès de Lille, avec lequel l’Etat tente de rompre son contrat.
Saisie par le Préfet du Nord, Georges-François Leclerc, la Commission académique consultative s’est dite favorable à la résiliation du contrat qui lie l’établissement privé avec l’Etat.
Malgré d’excellents résultats, le lycée risque, si la préfecture va au bout de sa démarche, de perdre ses financements publics et l’ensemble de ses quelques 40 enseignants directement recrutés par le rectorat.
Dans un entretien à Anadolu, Makhlouf Mameche, directeur de l’association Averroès, est revenu sur les dessous de cette affaire qui illustre l’offensive menée par les pouvoirs publics sur un certain nombre de structures musulmanes de France.
- Financement étranger et accusation de liens avec les Frères Musulmans
Dans le rapport de saisine adressé par le Préfet à la Commission académique consultative, plusieurs accusations sont formulées par les autorités pour justifier cette volonté de mettre un terme au contrat entre l’Etat et le lycée Averroès.
Au cœur des griefs, le financement de l’association Averroès, par des fonds octroyés par l’ONG « Qatar Charity » ou encore des prêts accordés par plusieurs mosquées ou associations du département et dont certains n’ont à ce jour pas été remboursés.
Sur ces points, le président de l’association dénonce une procédure qui vise, à conduire à la fermeture de l’établissement. Il estime que la préfecture « a cherché à tout prix à trouver les motifs qui vont dans le sens d’une résiliation de ce contrat, et ce, malgré les très bons rapports de l’éducation nationale, de la direction régionale des finances publiques, et de l’inspection académique ».
Le rapport de saisine mentionne, par ailleurs, les liens entretenus par l’association Averroès avec des personnalités musulmanes déjà dans le viseur de la puissance publique.
Des liens sont en effet évoqués entre la communauté éducative de l’établissement et l’islamologue Tariq Ramadan, ou encore l’imam Hassan Iquioussen, tous deux accusés d’être d’éminentes figures de l’organisation des Frères Musulmans.
Pointant « un acharnement » sur le lycée qui accueille 450 élèves, il souligne que la rupture dudit contrat conduirait à une perte financière telle que l’association se retrouverait dans l’incapacité de poursuivre ses activités.
« C’est une injustice grave et aucun des membre de nos équipes n’ont jamais été inquiétés ou condamnés et nous n’avons rien à nous reprocher », plaide Makhlouf Mameche, qui est par ailleurs président de la fédération nationale de l’enseignement privé musulman.
- Associations et intellectuels pointent une rupture d’égalité
S’il venait à voir son contrat avec l’Etat, être résilié, le lycée Averroès, ouvert en 2003, pourrait voir son avenir menacé.
« C’est du jamais vu qu’un Préfet résilie le contrat d’un établissement musulman » grince le président de l’association, sans manquer de rappeler que seuls deux lycées musulmans sont sous contrat avec l’Etat aujourd’hui en France ( avec le lycée Al-Kindi en banlieue lyonnaise).
Selon Makhlouf Mameche, l’établissement a besoin de 2 millions d’euros pour assurer son fonctionnement annuel, dont environ 1,7 million sont issus de fonds publics octroyés par l’Etat et qui seraient supprimés en cas de rupture du contrat.
Dans un communiqué de presse, la section lilloise de la LDH (Ligue des Droits de l’Homme), demande « au préfet et au Président du Conseil Régional d'appliquer de manière juste et impartiale les mêmes règles à tous les établissements privés sous contrat ».
« Attachée à ce qu'il n'y ait aucune discrimination entre les religions, surtout dans le climat actuel d'islamophobie, nous souhaitons que les mêmes examens rigoureux soient effectués concernant les établissements catholiques » écrit l’ONG soulignant que la résiliation du contrat « doit être justifiée par la preuve de manquements pédagogiques ou d'irrégularités » mais que « les rapports de la Chambre régionale des comptes, ceux de l'Inspection générale de l'Éducation nationale ne (…) semblent pas permettre à ce stade d'étayer une telle décision ».
De son côté, la section « enseignement privé » de la CGT (confédération générale du travail), fustige « une démarche qui s’inscrit parfaitement dans l’agenda politique du gouvernement ».
« Nous ne sommes pas dupes sur les réelles motivations du conseil régional et du ministère, cela s'inscrit dans un contexte politique qui n'a de cesse de stigmatiser une religion, l'Islam, et vient officialiser encore une fois le glissement idéologique vers l'extrême droite dont nous combattons les idées nauséabondes » poursuit le syndicat qui réclame « une expertise impartiale sur la menace de retrait du contrat d'association pour le lycée Averroès ».
Les organisations Sundep Solidaires et Sud enseignement privé pointent elles aussi le contexte politique dans lequel intervient cette polémique.
Dans un communiqué commun, les deux sections syndicales assurent que la démarche du Préfet « s'inscrit dans un climat d'islamophobie où la population issue de l'immigration est réduite à sa seule religion, présentée comme un potentiel danger ».
Et les craintes exprimées par ces organisations sont également partagées par le politologue François Burgat.
Dans un entretien à Anadolu, ce spécialiste des questions liées à l’islam qualifie « d’agression » la procédure initiée par le Préfet du Nord à l’encontre du lycée Averroès.
Soulignant qu’il convient que l’Etat « ne reconnaisse aucune religion mais les respecte toutes de la même façon sans en privilégier ni en stigmatiser aucune », il estime qu’il « est clair que le traitement appliqué à Averroès conduirait, à n'en point douter, à la fermeture de nombreux établissements catholiques ou juifs » et « c’est bien là que le bât blesse ». [AA]