Connectez-vous

Les Aïssatou ou les victimes de la réforme hospitalière de 1998 et de la marchandisation de la santé (Par Guy Marius Sagna)

Samedi 21 Octobre 2017

Dans le débat actuel sur le système hospitalier sénégalais consécutif au tragique décès de la petite Aïssatou Diallo, ce que l’on entend le plus c’est une individualisation du débat. La faute à un médecin, à un service, à un hôpital, une profession, un groupe : les travailleurs de la santé et certainement aussi de l’action sociale. Ou une hyper-globalisation du débat. Les deux, mêmes s’ils contiennent une part de vérité, ou effleure très partiellement le débat en désignant de faciles boucs émissaires ou le noie dans plusieurs considérations qui nous mènent à une situation où tout le monde et personne n’est coupable. L’hôpital sénégalais ne saurait être un îlot de sécurité dans un océan d’insécurités. Tout est en crise, nos hôpitaux aussi. Sauf que dans la santé comme dans la mer ou sur nos routes, la crise se paie dramatiquement.
 
Décréter que l’hôpital sénégalais est maintenant devenu une entreprise c’est franchir le rubicond et arriver à une ère de  « marchandisation » de la santé. C’est ce que l’assemblée nationale du Sénégal a fait le 12 février de l’an 1998. En cela elle suivait sa majorité socialiste, l’Exécutif (sa soumission n’est pas nouvelle) et son chef le président de la république Abdou Diouf qui parlait de « moins d’Etat mieux d’Etat » et qui lui-même et son gouvernement se soumettaient aux diktats du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque Mondiale (BM).
 
Quand on prône le « moins d’Etat mieux d’Etat » et qu’on réduit les budgets de la santé avec comme impact une réduction du budget du ministère de la santé et de l’action sociale et donc des budgets hospitaliers on impose aux hôpitaux et à ses travailleurs de la santé et de l’action sociale de « voler » aux populations pour donner à l’hôpital.
 
A celles et ceux qui se posent des questions, voilà pourquoi mêmes les poches de sang se « vendent » car derrière un don de sang, il y a le déplacement de l’équipe hospitalière, les repas donnés aux donneurs, les réactifs, la conservation…
 
La réduction des budgets de la santé, par le pillage des prédateurs internationaux et locaux, fait aussi qu’il n’y a pas un personnel suffisant. Résultats : la prise en charge est lente quand elle existe. Quand elle existe, le volume important de travail fait que la qualité n’est pas au rendez-vous ce qui se traduit nécessairement par des erreurs médicales.
 
« Quand un service public n’est pas suffisamment financé, il ne peut pas fonctionner correctement. Et quand il est très mal financé, il ne peut que fonctionner très mal. (…) Il en va ainsi pour les hôpitaux, l’éducation nationale, etc… »
 
La couverture maladie universelle (CMU) ne remet pas en cause l’option de marchandisation de 1998. C’est un moyen de gestion de cette option.
 
Quand dans un hôpital il faut payer les travailleurs (salaires, primes…), pour ne parler que de cela, et que l’Etat réduit sa part où pense-t-on qu’on va aller chercher cet argent ? Sûr que c’est dans les poches des masses paysannes, ouvrières et populaires.
 
Quand un hôpital paie à un chirurgien un sursalaire de 400.000FCFA par mois (c’est un des sursalaires les moins élevés des structures de santé) c’est énorme pour cet hôpital. Quand l’Etat affecte dans cet hôpital un gynécologue celui-ci avant de prendre service (c’est même une des conditions) demande au pire des cas à recevoir un sursalaire du même montant. Et le Ministère de la Santé et de l’Action Sociale (MSAS) de dire aux directeurs d’hôpitaux qui cherchent à savoir la conduite à tenir : « débrouillez-vous pour les retenir ! ». Ce qui fait au moins 800.000FCFA de sursalaire par mois. C’est peut-être l’équivalent du carburant de plus de 20 évacuations par ambulance. Vous comprenez alors pourquoi dans certains hôpitaux on paye les évacuations. Et parfois pas de carburant pas d’évacuation et après s’en suit…la « volonté divine ».
 
Quand, l’Etat décide après d’affecter dans cet hôpital un pédiatre car il n’y en a pas, et parce qu’il faut réduire les 100 enfants de moins de 5 ans qui meurent chaque jour dans cette localité, ça devient compliqué pour cet hôpital et cette localité. Ils ne peuvent pas faire face à ces charges. Haro sur les travailleurs de la santé ? Ils ont assurément une part de responsabilité, individuelle et collective, mais c’est si simple, si réducteur, de s’en limiter à ça. Je pense, pour paraphraser Mélenchon, que les travailleurs de la santé et de l’action sociale sont sénégalais(es). Ils partagent avec le reste de nos concitoyens la même proportion de défauts et de qualités. Mais ils ne doivent pas interdire aux personnes non membres de leur corporation de mettre en cause leur travail. Ils ne doivent pas, au prix de la vérité, avoir certaines postures.
 
Une partie des travailleurs de la santé et de l’action sociale se complait dans le «métro-boulot-dodo» local, dans la « perdiemisation », à se faire le complice d’une aristocratie syndicale qui fait dans le « syndixaliss » et le « syndixëble » comme aurait parlé Iba Ndiaye Diadji en lieu et place de poser les vraies questions et de se battre résolument avec le reste du peuple autour de ces préoccupations. A ne pas voir que « Tekki » est un projet collectif et non un projet individuel. A être tout simplement sénégalais. C’est justement cette réalité de notre société qu’il convient de transformer en frayant un autre Sénégal.
 
Quand les membres des conseils d’administration des hôpitaux (collectivités locales, syndicats, comités de santé…) s’octroient des indemnités de session et autres avantages, qui en supporte les coûts ? Les hôpitaux. Ces derniers doivent combler cela quelque part. L’Etat n’est pas là. Cet Etat aussi s’octroie des privilèges (fonds politiques). Où aller le chercher ? Chez le petit peuple encore une fois.
 
Quand des directeurs d’hôpitaux arrosent certains gouverneurs, des religieux, certains travailleurs de la santé et de l’action sociale de carburants en provenance du budget de l’hôpital, qui paie la note de ces frasques clientélistes ? Ceux qui viennent s’y soigner.
 
Quand les directeurs d’hôpitaux donnent des enveloppes en soutien aux syndicalistes locaux, comme leurs camarades en reçoivent du palais présidentiel et du ministère, qui paie la note ? Celles et ceux qui viennent s’y soigner.
 
Voilà pourquoi on parle dans la santé de « bonne gouvernance sanitaire » mais JAMAIS de « gestion démocratique ».
 
Privatiser la santé, c’est priver nos populations de santé.
 
La poursuite du parasitisme de nos deniers publics par les bourgeoisies bureaucratiques sénégalaises prive nos hôpitaux de ressources.
Sans contrôle populaire des structures de santé pas de gestion démocratique.
Il faut évaluer la Réforme hospitalière de 1998.
Il est temps pour le Sénégal d’avoir une politique de santé et d’action sociale NATIONALE.
Nous avons trop écouté les muses de Bretton-Woods.
 
Dakar, le 20 Octobre 2017
 
Nombre de lectures : 220 fois

Nouveau commentaire :












Inscription à la newsletter