Connectez-vous

Naomi Musenga, morte après avoir tenté d'appeler le Samu

Mercredi 9 Mai 2018

Agée de 22 ans et mère d'une fille, Naomi Musenga est morte quelques heures après avoir appelé le Samu, à Strasbourg. Lors de ce coup de téléphone, deux opératrices s'étaient moquées de la patiente. L'attitude des secours pendant cet appel, dont l'enregistrement a été rendu public, fait polémique.


Au lieu de l'aider, les secours se sont moqués d'elle. La ministre de la Santé Agnès Buzyn a demandé, mardi 8 mai, une enquête administrative pour "faire la lumière" sur la prise en charge de Naomi Musenga, une mère de famille de 22 ans, morte peu après avoir été raillée par deux opératrices des secours de l'hôpital universitaire de Strasbourg (Bas-Rhin). Les faits remontent au 29 décembre dernier, mais la polémique enfle depuis qu'a été rendu public, le 27 avril, l'enregistrement de l'appel de la jeune femme, sur le site d'information local Heb'di . On y entend Naomi Musenga dire qu'elle "va très mal".

Que s'est-il passé ?
Naomi Musenga, 22 ans, est seule chez elle, ce vendredi 29 décembre, à son domicile strasbourgeois. Il est 11 heures lorsque cette mère d'une fille âgée d'un an est prise de douleurs intenses. "A bout de forces", raconte Heb'di, elle compose sur son téléphone le 15, le numéro du Samu, le service des urgences médicales.
Au bout du fil, une opératrice transmet à l'une de ses collègues les premières informations dont elle dispose sur le cas de Naomi. "Elle m'a dit qu'elle 'va mourir', rapporte l'opératrice. Elle a 22 ans, elle a des douleurs au ventre, (...) elle a de la fièvre, et 'elle va mourir' ", poursuit-elle. "Ah, c'est sûr qu'elle va mourir un jour, c'est certain", répond l'opératrice des secours, le ton moqueur. Après une minute trente de discussion entre les deux femmes, la deuxième opératrice prend en ligne Naomi. Le souffle court, elle tente difficilement d'expliquer sa situation, comme on l'entend dans cet enregistrement. 
Voici la retranscription de l'échange, qui dure une minute vingt. C'est la famille de la jeune femme qui l'a obtenu, puis transmis à la presse.
- "Oui, allô !"
- Allô... Aidez-moi, madame...
- Oui, qu'est-ce qui se passe?
- Aidez-moi...
- Bon, si vous ne me dites pas ce qu’il se passe, je raccroche…
- Madame, j’ai très mal...
- Oui ben, vous appelez un médecin, hein, d'accord ? Voilà, vous appelez SOS médecins.
- Je peux pas.
- Vous pouvez pas ? Ah non, vous pouvez appelez les pompiers, mais vous ne pouvez pas...
- Je vais mourir.
- Oui, vous allez mourir, certainement, un jour, comme tout le monde.
- Vous appelez SOS médecins, c'est 03 88 75 75 75, d'accord ?
- S'il vous plaît, aidez-moi madame...
- Je peux pas vous aider, je ne sais pas ce que vous avez.
- J'ai très mal, j'ai très très mal.
- Et où ?
- J'ai très mal au ventre (...) et mal partout.
- Oui, ben, vous appelez SOS médecins au 03 88 75 75 75, voilà, ça je ne peux pas le faire à votre place. 03 88 75 75 75. Qu'un médecin vous voie, ou sinon vous appelez votre médecin traitant, d'accord ? 
- D'accord.
- Au revoir."

Naomi Musenga raccroche, puis trouve la force d'appeler SOS médecins. A partir de ce moment, tout se passe très vite. Devant l'état critique de la jeune femme, les praticiens déclenchent l'intervention du Samu de Strasbourg. Naomi est "consciente", rapporte Heb'di, mais son état se "dégrade" lors de son transfert à l'hôpital. Elle passe un scanner, mais fait deux arrêts cardiaques, victime d'un infarctus, précisent Le Monde et Heb'di . Transférée en réanimation, elle meurt à 17h30, soit six heures et demi après son appel.
Une autopsie est pratiquée cinq jours plus tard. Naomi Musenga est morte des suites d'une "défaillance multiviscérale sur choc hémorragique", selon le rapport consulté par Le Monde, qui précise qu'il s'agit de "l'arrêt de plusieurs organes", dont la cause peut résulter de "facteurs variés"

Comment réagit la famille ?
Peu après la mort de Naomi, sa famille a contacté le site Heb'di, qui a publié son enquête le 27 avril, après avoir obtenu l'enregistrement de l'échange téléphonique entre les secours et la victime. "J'étais effondrée, abasourdie, choquée" après l'écoute de l'enregistrement, raconte à France Bleu Bablyne Musenga, la mère de Naomi. Aide-soignante dans le milieu médical, elle s'interroge : "Est-ce que le Samu est toujours à sa place ou c'est SOS Médecins qui devient le Samu ou ce sont les pompiers ?"
Pour y voir plus clair, la famille a saisi le procureur de la République de Strasbourg, afin de connaître les causes réelles du décès de la jeune femme, et de savoir si une prise en charge adaptée de Naomi aurait pu la sauver. "Quelqu'un qui appelle le Samu, c'est pour être sauvé ! Mais si on appelle le Samu pour qu'il nous crache dessus, c'est choquant", dénonce Louange Musenga, la sœur de Naomi, interrogée par France 2.

Les opératrices ont-elles respecté les procédures ?
L'attitude des deux opératrices du Samu, qui n'ont pas su saisir l'urgence de la situation de Naomi, pose question. Dans l'attente des conclusions de l'enquête administrative, plusieurs médecins ont eu des mots très durs envers les deux répondantes. "Ça n'est pas pardonnable, la manière qu'il y a eu de répondre à Naomi, et de ne pas comprendre sa détresse", déplore Patrick Pelloux, médecin urgentiste, sur franceinfo. 
Les propos qui sont tenus par l'opératrice du Samu ne sont "pas acceptables", abonde François Braun, président de Samu Urgences France, sur franceinfo. Selon lui, l'opératrice n'avait pas à prendre seule la décision de rediriger Naomi vers SOS Médecins. "Ce qui est encore moins acceptable, poursuit-il, c'est que normalement tout appel est transmis à un médecin régulateur. C'est ce médecin qui prend les décisions suite à un interrogatoire médical et dans ce cas l'appel n'a pas été transmis au médecin. Ce n'est absolument pas la procédure. Ce n'est absolument pas ce que l'on apprend à nos opératrices. On ne demande pas aux gens de rappeler, on le fait nous-même et on transmet l'appel éventuellement à un autre service."

Comment se défend l'hôpital ?
Depuis la publication des enregistrements, la polémique enfle. Sur Twitter, des soutiens de la famille réclament des "sanctions". D'autres internautes, scandalisés, accusent l'hôpital de racisme. Les hôpitaux universitaires de Strasbourg, qui hébergent les services du Samu, n'ont pas souhaité en dire plus sur les circonstances de cet appel. "On a fait un communiqué de presse, une enquête est en cours. On ne dira rien de plus", a répondu l'hôpital au Monde. 
Dans leur communiqué daté du 3 mai, ils annoncent ainsi avoir diligenté une "enquête administrative destinée à faire toute la lumière sur les faits relatés dans l'article" du journal alsacien. Ses résultats devraient être connus d'ici trois semaines. En attendant, l'opératrice du Samu, employée par les hôpitaux universitaires de Strasbourg, n'exerce plus les mêmes fonctions, affirme France 3. 

Que répond le gouvernement ?
Dans un communiqué commun, deux organisations de médecins urgentistes ont demandé mardi "un rendez-vous immédiat" avec la ministre de la Santé, "pour trouver des solutions aux problèmes de régulation médicale afin qu'un tel drame ne se reproduise pas". Le président de l'Association des médecins urgentistes de France (AMUF), Patrick Pelloux, réclame notamment plus de moyens pour les services de régulation. "On ne peut pas dire que c'est normal d'avoir le même nombre de personnes qui répond au téléphone au Samu quand on avait 10 millions d'appels et quand on en a 30 millions aujourd'hui, déplore-t-il. Ce n'est pas possible. Il faut moderniser le système avec un objectif de dire que chaque appel doit être pris en charge."

Une réunion à ce sujet se tiendra dans les jours qui viennent au ministère"
, a déclaré la ministre de la Santé Agnès Buzyn, après avoir présenté ses condoléances sur Twitter. "Je suis profondément indignée par les circonstances du décès" et "je tiens à assurer sa famille de mon entier soutien", a-t-elle écrit. Elle annonce avoir demandé une enquête de l'Igas (Inspection générale des affaires sociales) "sur ces graves dysfonctionnements", s'engageant à ce que la famille "obtienne toutes les informations". (francetvinfo)


 
Nombre de lectures : 168 fois











Inscription à la newsletter